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Ralentir la dynamique : quel solvant ?

5.3 Contraction droite d’un canal simple

6.1.2 Ralentir la dynamique : quel solvant ?

J’ai montré dans la partie II que pour avoir accès à la viscosité élongation- nelle de l’ADN en régime dilué il était nécessaire d’avoir un solvant suffisamment visqueux (pas d’effets inertiels) et newtonien (effet de l’ADN seul). C’est ce qui m’a conduit à utiliser une solution de glycérol dans les mêmes conditions que la référence [69]. La caméra rapide permet de suivre en détail l’amincissement du fi- lament, qui dure typiquement de 100 ms à 1 s pour des concentrations de glycérol de 75 à 90 %.

La fréquence d’acquisition est telle qu’une dizaine d’images représente 600 ms. Cela impose d’utiliser un solvant d’une viscosité supérieure à ≈ 200 mP a.s pour les solutions d’ADN lambda à 40 ppm, soit plus de 90 % de glycérol. Le choix du

solvant doit toutefois être réexaminé dans le cadre d’une observation microscopique d’ADN fluorescent avec adaptation d’indice.

Viscosité et colorant

L’ADN est marqué avec un colorant, le POPO-3 (Molecular Probes). Ce der- nier s’intercale entre les paires de bases de l’ADN en formant un complexe. Cette réaction est régie par un équilibre réversible dont la constante de dissociation est particulièrement basse (de l’ordre de la nanomole/litre) : l’affinité du colorant pour l’ADN est très élevée. L’ADN est tout d’abord marqué avec une concentration suf- fisante pour que la réaction soit quasiment totale (typiquement à 1 ppm d’ADN et un rapport colorant/ paires de bases de 1 pour 5), avec un temps d’attente de l’ordre de 1 heure à 1 journée. Ce complexe est stable pendant des années. On le dilue ensuite fortement (typiquement par 100 à 1000) avant les expériences pour n’observer que des chaînes marquées isolées (éventuellement entourées d’ADN non marqué). La plupart des observations en fluorescence est donc réalisée hors- équilibre, sur une durée de l’ordre d’une heure. Ceci est rendu possible grâce à une cinétique particulièrement lente de décomplexation (le colorant est fortement enchassé dans la structure en double hélice).

Il s’est avéré que les échantillons d’ADN marqué dans un solvant à ≈ 90 % de glycérol perdaient leur fluorescence après dilution beaucoup plus rapidement (typiquement en une dizaine de minutes) que ceux dans le tampon (cf. 2.1.1) sans glycérol, alors même que leur intensité avant dilution était bien supérieure. Cette modification de l’équilibre ou de sa cinétique empêche donc l’observation de l’ADN au sein d’un filament à base de glycérol.

Ce comportement n’est pas observé pour les solutions à base de sucrose, plus couramment utilisé que le glycérol pour augmenter la viscosité des solutions d’ADN. Cela pose un problème : la viscosité maximum d’une solution de sucrose à satu- ration est d’environ 200 mP a.s. Cela ne permet pas de préparer un échantillon d’ADN à 40 ppm de viscosité supérieure à 200 mP a.s à partir de la solution com- merciale à 512 ppm (dans un tampon à base d’eau), au contraire du glycérol, de viscosité ≈ 1 P a.s. Il faut donc trouver un solvant ayant une viscosité maximale de l’ordre de celle du glycérol et les propriétés du sucrose par rapport au complexe colorant-ADN.

Viscosité et indice de réfraction

Il est important de maintenir un indice optique le plus faible possible pour l’échantillon car cela conditionne le choix du milieu d’immersion, dont le rôle est expliqué en 6.1.3. On cherche en effet à maintenir la viscosité du milieu d’immersion significativement plus faible que celle de l’échantillon. Or on constate généralement que pour une même catégorie de liquide, l’indice de réfraction augmente avec la taille de la molécule, tout comme la viscosité.

À ma connaissance, les additifs augmentant la viscosité de manière la plus importante, compatible avec l’ADN d’une solution, et gardant un caractère com- plètement newtonien sont le glycérol pour les polyols et le sucrose (saccharose) pour les sucres. La viscosité des solutions de sucrose augmente plus vite avec la fraction massique que celle des solutions de glycérol, alors que l’indice augmente dans les deux cas linéairement. Toutefois, l’augmentation des indices en fonction de la viscosité est en fait la même (fig. 6.2).

1 1 0 1 0 0 1 0 0 0 1 , 3 0 1 , 3 5 1 , 4 0 1 , 4 5 1 , 5 0 Sucrose Glycérol

n

Viscosité relative à l'eau à 20°C

Fig. 6.2 – Indice optique en fonction de la viscosité pour les solutions de glycérol et sucrose.

Ces deux additifs semblent fixer une limite aux gains de viscosité accessibles

en utilisant un seul additif1. Cela conduit à rechercher un solvant dont la compo-

sition contiendrait plusieurs sucres (comme le miel) afin d’augmenter fortement la viscosité, sans pouvoir limiter l’augmentation de l’indice optique de l’échantillon.

Mélange de sucre

Des viscosités de l’ordre de 400 mP a.s ont été obtenues en ajoutant du glucose à une solution de sucrose proche de la saturation. L’ADN était observé en régime très

dilué (≈ 10−5c∗), donc la viscosité initiale du solvant restait quasiment constante

après ajout de l’ADN. À fraction massique égale le glucose seul a une viscosité plus faible que le sucrose, mais un mélange des deux pourra avoir à l’équilibre une viscosité plus élevée que du sucrose à saturation. Les petites molécules du glucose

1De plus je n’ai pas observé de différence significative de rhéologie entre les échantillons d’ADN

à base de glycérol ou de sucrose bien qu’il ait été suggéré que la double hélice de l’ADN adopte une structure légèrement différente dans le glycérol par rapport à celle dans une solution tampon plus classique [128, 129, 130].

inhibent la cristallisation2 du sucrose [156]. Néanmoins cela ne permet toujours

pas d’obtenir cette même viscosité avec une solution d’ADN à 40ppm à cause de l’étape de dilution à partir de 512 ppm : le contenu en eau augmente de 8 %, et la viscosité redescend à moins de 100 mP a.s.

Pour contourner cette difficulté j’utilise une recette consistant à passer par un sirop initial de sucrose et de glucose (ou sorbitol) de viscosité beaucoup plus élevée, mais instable à température ambiante. Sa préparation se fait à température élevée, donc avec une limite de solubilité plus importante. L’ADN est ensuite dilué (à 40

ppm, en homogénéisant pendant une nuit dans un tambour tournant à une dizaine

de tours par minute) sans difficulté dans ce sirop (a priori seulement métastable) à température ambiante, avant la cristallisation, ce qui donne une solution d’ADN finale stable et suffisamment visqueuse de 200 à 600 mP a.s.

Je décris ici en détail le protocole typique suivi pour obtenir 50 ml de solvant de viscosité 1,4 P a.s. L’ordre des étapes est crucial pour sa réussite en un temps raisonnable.

1. Moudre le sucrose anhydre aussi finement que possible (Sigma Aldrich, cris- taux de quelques millimètres de côté) dans un environnement propre et sec. 2. En dissoudre 32 g dans 10 g de solution tampon TE (filtrée) à 60˚ Celsius dans un tube à centrifugeuse refermable. C’est l’étape la plus longue (plus de 60 min) car le sucrose se solubilise moins vite que le glucose. Il est néces- saire d’agiter la solution régulièrement et vigoureusement jusqu’à dissolution complète.

3. Dissoudre 8 g de glucose (Sigma Aldrich, grains de quelques dizaines de microns) dans la solution précédente, toujours à 60˚Celsius pendant quelques dizaines de minutes.

4. Vérifier que la solution est limpide et transparente, sinon continuer à chauffer à 60˚ Celsius et agiter jusqu’à disparition totale de tout grain diffusant ou de variations de l’indice optique.

5. Ramener à température ambiante. En cas de problème de recristallisation, il est possible de maintenir la solution à 50˚ Celsius pendant une ou deux nuits.

Ce sirop visqueux se conserve pendant plusieurs semaines à température am- biante. Il a un comportement newtonien, même après plusieurs balayages de la

gamme de taux de cisaillement 1-5000 s−1, sans cristallisation induite par le ci-

saillement. Une solution d’ADN à 40 ppm réalisée à partir de ce sirop a typiquement une viscosité de 0,4 P a.s, ce qui permet la mesure de la viscosité élongationnelle. Enfin la fluorescence de chaînes d’ADN λ marquées avec du POPO-3 à 1 : 5 à 1 ppm dans de l’eau puis diluées à 0,005 ppm dans ce sirop concentré est encore

2C’est ce qui se passe pour le miel, mélange de nombreux sucres et protéines, qui peut avoir

possible une heure après la dilution, contrairement au cas de la dilution dans le glycérol.

6.1.3

Adaptation d’indice : immerger le pont