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A- Naissance et évolution de la presse au Sénégal et en Afrique de l’Ouest

2- La radiodiffusion de masse, un nouvel instrument de pouvoir convoité

Les enjeux de pouvoir qui entourent la radio au Sénégal après l’accession du pays à la pleine autonomie politique ou à l’indépendance, ont suscité une série d’études, émanant le plus souvent de professionnels des médias. Dans une thèse de doctorat de troisième cycle en sciences de l’information consacrée à l’évolution de la place et du rôle de la radio au Sénégal, Saïdou Dia démontre que celle-ci a été, dès l’indépendance du pays, au cœur du système politique sénégalais76. Selon Dia, la radio a été constamment instrumentalisée

durant la première décennie d’indépendance dans le but de conquérir ou de consolider des positions de pouvoir, comme en attestent les événements d’août 1960 (éclatement de la Fédération du Mali) ou de décembre 1962 (crise Senghor/Dia)77. La conclusion qu’en tire

Dia demeure que la radiodiffusion s’est révélée un moyen d’affirmation, de justification et de légitimation du nouveau pouvoir d’État78.

Le souci du régime en place de se servir de la presse en général, et de la radiodiffu- sion nationale en particulier, pour renforcer ses bases est au cœur de l’étude du journaliste Moussa Paye consacrée aux relations entre la presse et le pouvoir au Sénégal79. Le pré-

texte de la construction nationale sert selon lui à distiller les discours du pouvoir sénégalais dominés par les thèmes nationalistes et socialisants. Pour gagner l’adhésion des masses, Paye avance que le parti au pouvoir s’appuie sur des « volontaires de l’indépendance ». Ceux-ci sont des cadres issus des rangs du Part-État, formés pour animer des comités d’information sur lesquels s’adosse à son tour la radio en vue d’affiner sa propagande.

76 Ibid., p. 17. 77 Ib., p. 168. 78 Ib., p. 175.

Avec un tel dispositif, indique l’auteur, les autorités mettent en place tous les outils pour endoctriner les masses80.

La conséquence d’une telle politique de propagande est cependant d’aboutir à un « monologue autoritaire » dans le secteur radiophonique au Sénégal, explique Paye dans une deuxième étude qui offre une vision plus négative du rôle de la radio durant la pre- mière décennie d’indépendance81. Ce « monologue autoritaire », qui renvoie à l’emprise

totale du Parti-État sur la radio, a pour conséquence d’amplifier le phénomène de la ru- meur. Au point que celle-ci s’est alors érigée, selon Paye, en institution informelle de contradiction permanente de la radio officielle82. Cette rumeur publique, appelée par

Senghor « Radio Cancan », « Radio Njongolor » ou « Radio Sicap Baobab », illustre se- lon l’auteur, les limites du rôle de la radiodiffusion nationale dans le contexte postcolonial. Celle-ci, en se mettant selon Paye au service d’une « clique » restreinte de la classe diri- geante, serait incapable de satisfaire les besoins d’information des masses83.

Cette thématique revient dans l’étude que le politologue Ndiaga Loum consacre aux relations entre les médias et l’État au Sénégal, en théorisant ce qu’il appelle l’impossible autonomie84. Selon Loum, au Sénégal, le poids des déterminismes sociaux l’emporte sur

les tendances à l’autonomie professionnelle85. Il souligne les limites culturelles (le poids

du pouvoir maraboutique par exemple) et politiques (la frilosité de l’État) du travail des

80 Ibid., p. 332.

81 Moussa Paye, « De Radio-Mali aux stations Fm, la fin du monologue autoritaire » dans Momar Coumba

Diop (dir.), La société sénégalaise, entre le global et le local, Paris, Karthala, 2002, p. 465-490.

82 Ibid., p. 471. 83 Ib., p. 472.

84 Ndiaga Loum, Les médias et l’État au Sénégal, l’impossible autonomie, Paris, l’Harmattan, 2003. 85 Ibid., p. 197.

médias, pour affirmer que l’information reste encore sous surveillance puisque n’assu- mant pas totalement la critique du système social86.

La question de l’autonomie des médias en général et de la radio en particulier, est également largement abordée dans l’ouvrage de Kadialy Diakité qui a passé toute sa car- rière de journaliste à Radio Sénégal87. Diakité affirme que durant tout le règne du Parti-

État, le travail des journalistes de la radio consiste essentiellement à vulgariser la politique gouvernementale et à se livrer à un culte de la personnalité centré sur le Chef de l’État88.

L’auteur défend cette thèse en analysant également la place occupée par les griots, appelés aussi « communicateurs traditionnels », dans le dispositif de propagande de la radio. Selon Diakité, le chef de l’État du Sénégal a toujours un griot attitré dont le temps d’antenne sert exclusivement à défendre le régime en place et son chef89.

Le journaliste Karim Fall, auteur d’une étude sur les pouvoirs et les médias au Sé- négal, est plus catégorique dans l’analyse du rôle de la radio et des enjeux qui l’entourent durant le règne du Parti-État90. Il avance que la radio était un instrument de pouvoir direc-

tement géré par le président de la République, Léopold Sédar Senghor. En intervenant très souvent pour corriger la diction des journalistes à l’antenne, censurer des reportages ou

86 Ib., p. 200.

87 Kadialy Diakhité, Promesses et désespoirs d’un service public, la Radiodiffusion Télévision Sénégalaise,

Paris, l’Harmattan, 2013.

88 Ibid., p. 149.

89 Ib., p. 160-161.

manifester son mécontentement sur le traitement d’un sujet jugé sensible, le père de l’In- dépendance illustre selon Fall toute l’importance stratégique que revêt la radio pour son régime91.

3- L’information radiodiffusée comme outil de développement du Sénégal indépen-