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Chapitre I : Naissance et développement de la radio coloniale : 1930-1957

2- Début de sénégalisation des ondes

2-1 Radio-Saint-Louis ou les particularités d’une expérience radiophonique « séné- galaise »

Le territoire du Sénégal sert, à partir de l’année 1952, de laboratoire d’expérimen- tation d’une radio plus proche des populations africaines. Avec la création de Radio Saint- Louis à cette date, il s’agissait de pallier non seulement le caractère très centralisateur de Radio-Dakar qui s’adressait à l’ensemble des territoires de la Fédération de l’AOF, mais surtout de concevoir des émissions susceptibles de capter l’intérêt des Sénégalais. Pour le gouvernement français, le moment était venu, cinq années après la fin du second conflit mondial, de faire évoluer la radiodiffusion coloniale vers une prise en compte des besoins des populations africaines.

C’est dans ce cadre qu’un arrêté en date du 25 avril 1950 instituait une commission mixte, composée de parlementaires et de divers ministères, et dont la mission était de favoriser cette évolution vers l’africanisation partielle des émissions de la radiodiffusion coloniale23. La création en 1952 de Radio-Saint-Louis s’inscrit dans le sillage des travaux

de cette commission qui préconisait notamment l’utilisation des langues africaines sur les

ondes ainsi que le recrutement d’Africains pour produire des émissions culturelles 24. Ces

deux réformes sont appliquées à la nouvelle station de Saint-Louis du Sénégal dès les deux premières années de son existence 25.

Radio Saint-Louis se voit ainsi attribuer dès le début la vocation de couvrir exclu- sivement le territoire du Sénégal en relayant des émissions diffusées par des stations mé- tropolitaines et Radio-Dakar mais aussi en expérimentant des productions dans deux langues locales, le wolof et le pulaar 26. Pour atteindre cet objectif, la station est dotée

d’un émetteur d’un kilowatt en ondes moyennes, d’une unité d’enregistrement, de retrans- mission et de radioreportage. Ses capacités techniques sont donc modestes mais cadraient bien avec sa vocation de radio de proximité proposant des émissions sur la vie sportive, sociale et culturelle locale. La station amorça également dès son démarrage le recrutement d’Africains dans son personnel.

Un homme était au cœur de l’africanisation des émissions de Radio Saint-Louis : Papa Abdoul Sy, le premier Africain à exercer à partir de 1953 comme reporter radio en Afrique occidentale française. Nommé en 1954 directeur de Radio-Saint-Louis qui couvre désormais les territoires du Sénégal et de la Mauritanie, il acquiert l’année suivante une vraie formation journalistique grâce au studio-école de la Société de radiodiffusion de la

24 Ibid.

25 Dia, « De la TSF coloniale à l’ORTS… », p. 86-87.

26 Ibid, p. 87. Il s’agissait essentiellement de bulletins d’informations en pulaar produits par Papa Abdoul

Sy et Djibril Racine Kane, et plus tard de bulletins en wolof produits par Alioune Diop « Addis » qui était instituteur de son état, et Mady Diallo.

France d’Outre-Mer (SORAFOM), chargé d’assurer la formation accélérée des journa- listes et techniciens africains27. Le rôle pionnier de Papa Abdoul Sy est d’autant plus re-

marquable que ses premières chroniques au micro de la radio interviennent bien avant la création de la SORAFOM le 20 janvier 1955. Car c’est seulement à partir de cette date qu’une politique volontariste fut mise en place par le gouvernement français pour doter chaque territoire de l’AOF d’une station de radio, en encourageant concomitamment le recrutement d’un personnel africain et la diffusion d’émissions en langues nationales28.

2-2 Les premières émissions destinées au public sénégalais

Les premières émissions de Radio Saint-Louis, même celles animées par des Afri- cains, n’imprimaient pas vraiment une dimension sénégalaise aux programmes de la sta- tion. Dès 1953, était ainsi lancée l’émission ludique, le Disque des auditeurs qui participe à populariser la station29. Co-animée par Papa Abdoul Sy et Madame Jumaligini, cette

émission faisait surtout la part belle aux chansons françaises. Il faut attendre l’année 1954 pour que démarre la diffusion d’émissions recoupant l’intérêt des auditeurs africains

Parmi celles-ci, on pouvait noter Le carnet saint-louisien, une chronique de la vie politique et sociale de la ville Saint-Louis alors chef-lieu de la colonie du Sénégal 30. Cette

émission diffusait également des informations de service comme les heures d’arrivée et

27 Il n’y a pratiquement pas d’écrits consacrés à la carrière pionnière de cet homme de radio sénégalo-malien.

Sa disparition en avril 2016 a cependant été l’occasion de la publication d’un long portrait, enrichi de té- moignages de certains de ses contemporains, retraçant les grandes étapes de sa carrière professionnelle dans la radio, des années 1950 aux années 1970. http://www.essor.ml/2016/04/disparition-de-abdoul-sy-une- des-dernieres-grandes-voix-de-radio-mali-sest-eteinte/ (consulté le 11 décembre 2016)

28 Momar-Coumba Diop, Le Sénégal à l’heure de l’information : technologies et société, Paris, Karthala,

2002, p. 299.

29 Dia, « De la TSF… », p. 80.

de départ de l’autorail reliant Saint-Louis à la capitale fédérale Dakar ou relatives au trafic de l’aéroport de Saint-Louis. L’année 1955 marque une réelle rupture puisque Radio Saint-Louis ouvre sa programmation à des thématiques reliées à la valorisation de l’his- toire africaine.

Deux émissions historiques, Évocations historiques et Rendez-vous avec l’IFAN, proposaient de vulgariser des pans de l’histoire africaine31. Évocations historiques, ani-

mée par Birahim Gallo Fall, entrait dans ce cadre. Elle dressait des portraits de personna- lités comme Blaise Diagne ou Galandou Diouf. L’écrivain et dramaturge Abdoul Anta Ka s’efforçait de vulgariser les travaux de l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) sur le Sénégal et l’Afrique, à travers l’émission Rendez-vous avec l’IFAN 32. Fall et Ka agis-

saient à titre de collaborateurs extérieurs de la station et ne faisaient donc pas partie du personnel de la radio. Leurs émissions détonnaient cependant par rapport à la mission de vulgarisation de l’idéologie coloniale assignée à la radiodiffusion.

Dans le contexte de l’époque, alors que le régime de l’autonomie n’est pas encore à l’ordre du jour et que l’autorité coloniale contrôlait encore totalement la politique radio- phonique, l’existence de ce type d’émissions historiques constituait une véritable brèche dans la politique de propagande coloniale pratiquée par la radio. On peut penser cependant que le processus était parfaitement maîtrisé par l’autorité coloniale qui entendait ainsi li- bérer sur les ondes quelques espaces de liberté d’expression destinés aux Africains. Cette

31 Ib.

32 Fondé en 1936, l’IFAN, aujourd’hui intégré à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, s’investit dans

stratégie prudente était du reste dans l’esprit des conclusions de la Conférence de Brazza- ville qui incitait à une participation contrôlée des Africains à la vie publique des colonies dans une perspective lointaine d’autodétermination33.

Dans le contexte du milieu des années 1950, ce processus né de l’esprit de la Con- férence de Brazzaville semblait en voie de maturation. La gestion de la politique éditoriale de Radio Saint-Louis illustrait de plus en plus la volonté d’aller plus loin dans l’africani- sation des émissions. Saint-Louis Midi, d’une durée de 45 minutes, animée par un journa- liste européen, était l’émission de référence de la radio en matière d’informations. Cette émission accordait ainsi une place aux informations locales grâce à la participation de Papa Abdoul Sy et de Djibril Racine Kane qui y contribuaient comme journalistes34.

La création de la station saint-louisienne doit être ainsi comprise comme le premier jalon de la « territorialisation » de la politique radiophonique française en AOF. Celle-ci connaît son apogée à partir du 23 juin 1956 avec l’adoption de la Loi-cadre qui ouvre la voie à la mise en place de radios dans tous les territoires de l’AOF. Radio Saint-Louis préfigurait également, dans une certaine mesure, la configuration de la politique radiopho- nique française après le référendum de septembre 1958.

Si un effort d’africanisation s’enclenche dès 1953, il reste que la gestion de Radio- Saint-Louis comme la conception et le contenu de ses émissions demeuraient essentielle- ment le fait des Européens, en dépit du rôle joué par Papa Abdoul Sy35. La mise en place

33 De Benoist, l’Afrique occidentale française…, p. 80. 34 Niang, « La radio dans l’éclatement… », p. 33-34. 35 Dia., p. 89.

de Radio-Saint-Louis semblait avant tout obéir à une volonté de la France de voir sa pro- pagande toucher davantage les populations autochtones. Un rôle que Radio-Dakar, la sta- tion fédérale de l’AOF, du fait de sa centralisation excessive, ne pouvait jouer correcte- ment. L’examen de la programmation de Radio Saint-Louis avant la Loi-cadre laisse ap- paraître en effet la prépondérance d’émissions conçues à Paris et portant sur des sujets ne cadrant pas forcément avec les préoccupations des auditeurs africains36.

Des émissions comme Les maitres du mystère, un dramatique radiophonique, Ana- tomie et physiologie de la chanson, consacrée aux artistes français, reflétaient le caractère généralement récréatif et centré sur la culture française de cette programmation. Radio Saint-Louis, malgré ses ouvertures sur l’histoire africaine et l’information locale, semblait, jusqu’en 1958, obéir à une logique coloniale de l’information. C’est seulement après cette date que le gouvernement autonome sénégalais dirigé par Mamadou Dia se résout à s’ap- proprier la station saint-louisienne37. Le premier jalon de cette rupture est posé un an plus

tôt par le gouvernement autonome sénégalais. En vue de s’impliquer plus fortement dans la gestion technique, administrative et politique de Radio Saint-Louis, il rattache celle-ci, à partir de juin 1957, à la Direction de l’information qui dépendait du ministère de l’Inté- rieur et de l’Information38. Radio Saint-Louis jusque-là autonome et desservant également

le territoire de la Mauritanie, devient alors, par la même occasion, une composante de Radio-Sénégal. La nouvelle mission assignée à la radio sénégalaise et découlant de ce

36 Ibid., p. 77-81.

37 Niang, « La radio dans l’éclatement… », p. 34. 38 Décret n° 59-12 du 3 juin 1959 ; Voir S. Dia, p. 142.

rattachement était ainsi résumée : faire connaître le Sénégal et les Sénégalais au plan in- ternational, mieux faire connaître à ces derniers leur pays et les tenir informés des activités de leur gouvernement39. À partir de ce moment, se met en place une politique radiopho-

nique progressivement libérée de la tutelle coloniale.

Deuxième partie