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A- Naissance et évolution de la presse au Sénégal et en Afrique de l’Ouest

1- Les enjeux de l’introduction de la presse imprimée et radiophonique en contexte

Le processus d’implantation et d’enracinement des médias dans l’Ouest-africain sous domination française ne suscite à ce jour qu’un nombre assez limité d’études. Celle de Roger Pasquier, consacrée aux débuts de la presse dans la colonie du Sénégal, fait presque œuvre de pionnière59. L’auteur y développe l’idée selon laquelle, la presse au

Sénégal, dans la seconde moitié du XIXème siècle, et au début du XXème siècle, a permis aux métis et à une étroite élite africaine de s’affirmer socialement et politiquement60. Se-

lon Pasquier, en dépit de la volonté de l’administration coloniale de contrôler le secteur médiatique naissant, les Africains et les métis des Quatre communes (Dakar, Rufisque, Gorée, Saint-Louis), devenus citoyens français, ont pu bénéficier de tous les avantages de la loi de 1881 garantissant en France la liberté de presse. Ils arrivent à faire valoir leurs revendications politiques grâce, en partie, à des journaux qu’ils ont su créer et transformer en moyens de pression61.

59 Pasquier, « Les débuts de la presse… », p. 477-490. 60 Ibid., p. 478.

L’historien Diegane Sène a publié en 2017 une large étude, tirée de sa thèse d’his- toire, dont la particularité a été d’établir une typologie très poussée de la presse imprimée au Sénégal, des origines jusqu’à la fin de Seconde Guerre mondiale62. L’auteur y distingue

plusieurs catégories de presse : des journaux institutionnels liés à l’administration colo- niale, des publications classiques d’informations et enfin des supports servant la propa- gande de lobbies politiques et économiques plus ou moins bien identifiés. Sène souligne dans son étude que cette presse « n’a finalement pu émerger de sa préhistoire que tardive- ment63 ».

Il fonde cette affirmation sur le constat qu’il a fallu attendre la veille de la Première Guerre mondiale pour que la gestation débutée en 1856 débouche sur une presse diversi- fiée. L’apparition de celle-ci, indique Sène, est alors favorisée par la confrontation entre camps opposés autour de l’enjeu de la représentation parlementaire des populations habi- tant le territoire. L’auteur en tire la conclusion que le caractère très politique de la presse à cette époque est un héritage qui perdure et impacte encore aujourd’hui le modèle domi- nant de journalisme au Sénégal.

L’origine de la presse en Afrique de l’Ouest et au Sénégal fait également l’objet d’une monographie de la part de l’historien Jean-André Tudesq. Il avance que dès les origines, c’est-à-dire essentiellement au début du XIXème siècle, quatre types de presse ont pu être recensés : la presse de l’administration coloniale, celle des colons européens, la presse des missions chrétiennes et enfin celle des élites africaines urbaines64. Selon lui,

62 Diegane Sène, Histoire de la presse sénégalaise, Tome 1 : des origines à la Seconde Guerre mondiale

(1856-1945), Dakar, L’Harmattan, 2017, 580 p.

63 Ib., p. 527.

ces quatre formes de presse ont pu, dès la première moitié du XIXème siècle, prendre racine dans la partie colonisée par les Anglais, alors que l’Afrique sous administration française a dû attendre beaucoup plus longtemps pour avoir droit à un espace médiatique pluriel. Tudesq explique, qu’à la différence de l’Afrique française, beaucoup de colons en terre coloniale anglaise se sont dressés contre l’administration et que très tôt une opinion publique africaine restreinte s’y est formée dans les villes65.

La rupture qui voit éclore une véritable presse africaine au Sénégal et en Afrique occidentale française, se produit à la veille de la Première Guerre mondiale selon Tudesq. Celui-ci identifie trois causes ayant accéléré cette évolution : les rivalités entre les com- munautés métisse et africaine d’une part, ensuite entre celles-ci et les représentants des maisons de commerce bordelaises qui dominaient l’économie de la colonie, et enfin les mésententes entre l’administration et les colons66.

L’influence du contexte socio-économique sur l’émergence de la presse au Sénégal et en AOF est également mise en exergue pour le journaliste Thierry Perret67. Ce dernier

insiste cependant sur le fait que la presse sénégalaise est très marquée à l’origine par la partisannerie politique et se transforme en presse de propagande au service des leaders de la communauté métisse et africaine des Quatre communes. Selon Perret, le développement de la presse privée dévouée à la cause des colons, ne survient qu’en 1933 avec le lance- ment de Paris-Dakar, le premier quotidien d’informations en Afrique occidentale fran- çaise68.

65 Ibid., p. 31-33. 66 Ib., p. 43-44.

67 Perret, Le temps des journalistes…, p. 18-21. 68 Ibid., p. 20.

Dans une étude que nous avons menée dans le cadre de notre mémoire de maîtrise, centrée sur Paris-Dakar, le premier quotidien d’informations à avoir vu le jour en Afrique occidentale française, nous faisions ressortir la prépondérance des enjeux politiques do- mestiques dans le développement de la presse dès la fin du XIXème siècle69. Cette étude

situe l’épicentre de l’éclosion de la presse écrite au Sénégal entre la dernière décade du XIXème siècle et le début du XXème siècle70. Elle met l’accent sur la personnalité clivante

de Blaise Diagne qui a suscité l’explosion du nombre de titres de presse destiné au petit corps électoral sénégalais, à cause notamment de ce qu’on a appelé le « Pacte de Bor- deaux71 ».

Mais notre étude insiste surtout sur le fait que les évènements de la seconde guerre mondiale, de par leur impact considérable sur la vie sociale, économique et politique au Sénégal et en AOF, ont été l’occasion pour le seul quotidien d’informations existant, Pa- ris-Dakar, de se transformer en puissant instrument de propagande, tour à tour vichyste et gaulliste, de l’administrations coloniale72. Dans une étude consacrée à l’histoire de la

presse au Sénégal, le journaliste Moustapha Barry s’intéresse également à ce rôle de pro- pagandiste jouée par les journaux au service de l’administration coloniale, particulière- ment durant la phase de conquête de l’hinterland73. Citant Pasquier, Barry soutient lui

aussi que le groupe métis de Saint-Louis et les Africains des Quatre Communes ont été

69 Niang, « Le journal Paris-Dakar… », p. 8-13. 70 Ibid., p. 11.

71 Ib., p. 12 ; Le Pacte de Bordeaux désigne un accord entre Blaise Diagne et les milieux d’affaires bordelais

pour favoriser les activités de ces derniers dans la colonie du Sénégal. Lire à ce propos Babacar Fall, Le

travail forcé en Afrique occidentale française, 1900-1946, Paris, Karthala, 1993, p. 126-145.

72 Ibid., p. 101-102.

73 Moustapha Barry, Histoire des médias au Sénégal, de la colonisation à nos jours, Paris, L’Harmattan,

les principaux artisans de l’enracinement de la presse dans la colonie du Sénégal, notam- ment à partir de 1900.

Cette histoire de la presse imprimée est donc beaucoup plus enracinée que celle de la radiodiffusion de masse dont les premiers pas au Sénégal sont fortement reliés aux évè- nements de la seconde Guerre mondiale. Cet aspect transparaît beaucoup dans les mono- graphies de Tudesq et de Bebey74. Tous les deux sont d’accord que ces évènements ont

bouleversé la physionomie de la presse en contexte colonial en favorisant, à la fin des années 1930, l’implantation de la radio à Dakar, alors capitale de l’AOF. Cette initiative obéissait-elle à des préoccupations sécuritaires reliées à la montée des tensions militaires en Europe? Cette thèse est soutenue par Saidou Dia qui souligne que la puissance coloni- satrice, confrontée à la menace fasciste, avait le souci de contrer la propagande adverse qui pouvait toucher et influencer ses administrés75. Les études de Tudesq, Bebey et Dia

renvoient ainsi à l’utilisation de la radio comme instrument de commandement colonial. Ce dernier aspect est également fortement présent dans l’analyse du rôle de la radio durant la période postindépendance. L’implication de la radio dans le processus de construction de l’État-nation postcolonial, mettant en avant des préoccupations identi- taires, sociales, économiques et des quêtes de légitimation politique, ouvre en effet, éga- lement, la question de son utilisation comme outil de commandement.

74 Tudesq La radio en Afrique noire… ; Bebey, La Radiodiffusion… 75Dia, « De la TSF coloniale à l’ORTS... »