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CHAPITRE 2 : MONTPELLIER, VILLE ROYALE

1 Entrée de Montpellier dans le domaine du roi de France

1.1 Le rachat de la ville par le roi de France

Montpellier appartient dans un premier temps au pouvoir ecclésiastique, tout comme sa ville- sœur Montpelliérêt, aussi nommée Part antique. Puis, elle est donnée en fief à la famille des Guilhem en 985. En 1204, la ville devient la seigneurie de la dynastie aragonaise et éventuellement celle du roi de Majorque2. Le traité de Corbeille de 1258 allait cependant permettre au roi de France

de s’immiscer subtilement dans les affaires de la seigneurie de Montpellier. Suite à ce traité, l’évêque de Maguelone, détenteur de la Part antique de la ville, reconnaît le roi de France comme suzerain de la ville. Deux ans plus tard, en 1260, Jacques I, fils de Pierre II d’Aragon, reconnaît lui la suzeraineté de l’évêque sur Montpellier3. Ces reconnaissances transforment l’équilibre des

forces au sein de la ville et pavent la voie de l’annexion de celle-ci au sein du domaine du roi de France4.

2Vincent Challet, « Malheur des temps ou reconfiguration du politique ? Montpellier dans la guerre de Cent Ans »,

Histoire de Montpellier, Édition Privat, Toulouse, 2015, p. 137-139.

3Pierre Chastang, « L’émergence et l’affirmation du consulat aux XIIIe siècles », Histoire de Montpellier, Toulouse, Édition Privat, 2015, p. 79-80.

C’est en effet à travers l’acquisition de Montpelliérêt que Philipe le Bel s’introduit durablement en Montpellier. La première étape décisive pour réaliser l’acquisition de Montpellier survient en 1293 lorsqu’il achète la part antique qui appartient à l’évêque de Maguelone5. Cette

cession lui donne, entre autres, la charge de la justice temporelle, mais elle le substitue surtout à l’évêque comme suzerain direct du seigneur de la ville de Montpellier. En effet, cette entente lui permet d’acquérir le droit de fief, dont le serment de fidélité du seigneur de la ville de Montpellier, mais aussi le château de Lattes et ses dépendances. Cependant, le roi a aussi le devoir de ne pas aliéner la seigneurie ou la séparer du royaume6. Ainsi, si le seigneur de la ville restait le roi de

Majorque, le royaume auquel cette seigneurie appartenait allait être sous la suzeraineté du roi de France. L’exercice de la justice allait être divisé entre les deux autorités, en fonction de l’importance du droit de chacun sur la seigneurie et de la hiérarchie du pouvoir en place. Les profits liés à cette seigneurie allaient eux aussi être séparés entre les deux parties7.

Malgré quelques développements importants pour la ville, tel que le conflit sur la reconnaissance du consulat, des libertés et coutumes de la communauté en échange de 15 000 livres tournois, ou la fondation d’Aigues-Mortes par Louis IX, il faut attendre un demi-siècle pour que le rapport avec le roi de France se transforme à nouveau de façon conséquente8.

À ce moment, Jacques III de Majorque se retrouve expulsé de son royaume par son frère Pierre VI. Précédemment, les tensions entre les deux frères étaient déjà palpables durant le tournoi

5Jean Baumel, Histoire d’une seigneurie du midi de la France : Montpellier sous la seigneurie de Jacques le

conquérant et des rois de Majorque. Rattachement de Montpelliéret et de Montpellier à la France (1213-1349), Montpellier, Édition causse & Cie 7, 1971, p. 172-174.

6Jean Baumel, op. cit., 1971, p. 172-174 7Ibid., 1971, p. 180-181.

de 1341. La relation entre Jacques III et le roi de France s'était elle aussi envenimée à la suite des tentatives de rapprochement avec l'Angleterre et de son refus de reconnaître la cession de Monpelliéret de 1293. Cet exil fait suite au procès sur l'émission de la monnaie, où Jacques III refuse de se soumettre à son frère et de se présenter devant lui. Prévoyant l'annexion de Majorque depuis quelque temps, Pierre VI décide de prendre possession du territoire avec ses soldats, ce qui force Jacques III à se réfugier à Montpellier9. Débordé par les dépenses liées au conflit avec son

frère, Jacques III doit se résoudre à vendre la ville de Montpellier, son palais, la baylie, le château, la chancellerie de Lattes et toutes leurs dépendances au roi de France pour la somme de 120 000 écus d'or en 134910. La ville cessait donc d’être un territoire autonome sous la gouverne de plusieurs

autorités seigneuriales, pour être intégrée au domaine du roi de France11.

Le rachat de la ville entraîne une transformation importante du rapport que celle-ci entretient avec son suzerain. Cette nouvelle relation s’intègre dans un contexte de conflits conjoints aux révoltes populaires, où plusieurs communautés urbaines s’opposent au roi durant les XIVe et XVe

siècles. Ces conflits prennent entre autres leurs racines dans des causes structurelles et conjoncturelles12.

On peut notamment relever les inégalités croissantes causées par les développements économiques de cette période qui engendrent de nouvelles formes de dépendance économique et augmente l’endettement. Cela s’ajoute au problème de pauvreté déjà inhérent au fonctionnement

9Jean Baumel, op. cit., 1971, p. 207-213. 10Ibid., 1971.

11Ibid., 1971, p. 226.

12Michel Mollat, Philippe Wolff, Ongles bleus Jacques et Ciompi : Les révolutions populaires en Europe aux XIV et

du système social, économique, mais surtout aux diverses crises sanitaires et militaires de l’époque. Rappelons que la peste noire arrive à Marseille le 1er novembre 1347 et la guerre de Cent ans bat

son plein depuis 133713. Le poids des crises sanitaires et celui des activités militaires sur la ville,

sont notamment visibles à travers plusieurs des suppliques de la ville de Montpellier au roi que nous analysons au chapitre trois de ce mémoire. Celles-ci utilisent les crises sanitaires pour justifier la situation de pauvreté sous laquelle le consulat veut se présenter14.

À cela s’ajoute l’augmentation démographique significative du XIIe et XIIIe siècle, qui allait

dépasser les capacités de production alimentaire et engendrer des famines importantes au cours du XIVe siècle. Ces problèmes d’approvisionnements donneront le coup fatal à la conjoncture difficile

de l’époque et feront entrer l’Europe occidentale et centrale dans une période de récession au moment même où la pression fiscale allait en augmentant15.

Il faut aussi soulever le poids du système seigneurial, qui imposait à une part de la population de soutenir financièrement la noblesse. À cela s’ajoute la complexité du fonctionnement de ce régime. En effet, bien des seigneurs peinent à effectuer convenablement leur tâche du fait des modalités administratives, politiques et juridiques de leur statut. Dans le cas des seigneuries ecclésiastiques, il faut savoir que les évêques sont connus pour être particulièrement zélés. Ils sont notamment critiqués pour le rôle séculier que ce patrimoine engendre, mais aussi pour le luxe dans lequel baigne le haut clergé. Dans les seigneuries qui ont connu des mouvements d’affirmation consulaire réussis aux dépens du pouvoir seigneurial, comme ce fut le cas à Montpellier, s’ajoute

13Michel Mollat, Philippe Wolff, op. cit., 1970, p. 270-278.

14 AMM, Grand Chartier, Pièces extraites, BB 194-34, 1404, et AMM, Grand Chartier, Pièces extraites, BB 187-4, 1460 et BB 187-5, 1460.

le poids d’une élite sociale et économique qui était plus encline à servir ses intérêts personnels et à mettre en place de nouvelles réglementations et structures dont la forme ne servait pas nécessairement les intérêts de la communauté16.

La mise en place progressive de l’État allait elle aussi jouer un rôle dans cette période de conflit. Dans un premier temps, le développement de l’État engendre, dans des mesures variables, un empiètement sur les instances et coutumes locales. Ces derniers sont parfois la source du litige des mouvements populaires, notamment dans les milieux urbains, mais cela dépossède aussi la communauté des recours de sauvegarde traditionnels. La construction de l’État engendre aussi un alourdissement des finances qui se matérialiseraient par une augmentation et une normalisation des impôts extraordinaires, de la forme qu’ils prendraient, mais aussi des mutations monétaires aux répercussions discutables17.