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CHAPITRE 2 : MONTPELLIER, VILLE ROYALE

1 Entrée de Montpellier dans le domaine du roi de France

1.4 Dichotomie entre réciprocité et devoir de gouvernance

De 1381 à 1384, le Languedoc connaît une révolte majeure au cours de laquelle Montpellier reste en retrait43. À ce moment, la ville de Montpellier se trouve à évoluer au sein de deux

mouvements d’appartenance identitaire. Le premier favorise la relation avec le roi et son implication dans le royaume de France à travers la contribution à l’impôt et aux divers actes de dévotion envers le roi. Le second mouvement tend à affirmer l’identité propre de la ville et le respect des privilèges de son universitas44.

Paradoxalement,ces deux mouvements cohabitent et se nourrissent mutuellement. En effet, la participation aux diverses causes du royaume permet à la fois de développer un attachement particulier au royaume de France, mais aussi de prendre compte du particularisme de la communauté par rapport à d’autres45. Le développement de cette relation plus directe avec le roi

permet au consulat de la ville de confirmer et défendre régulièrement la validité de son identité, de ses privilèges et des intérêts de la communauté. Ce rapport avec le souverain français ne s’envisage pas comme une relation qui relève de la domination ou de l’obligation, mais bien comme un amour qui se doit d’être théoriquement réciproque46. Cet amour permet de distinguer la personne royale

42Vincent Challet, « Malheur des temps », 2015, p. 140-143. 43Ibid., 2015, p. 137-145; Sylvie Quéré, op. cit., 2016, p. 367-369. 44Jean Baumel, op. cit., 1973, p. 183-185.

45Vincent Challet, « Malheur des temps », 2015, p. 143-145.

46Lydwine Scordia, op. cit., 2005, p. 333-334; Jacques T. Godbout, Et Alain Caillé, L’esprit du don, Montréal, Boréal, 1995, p. 87-89; Sylvie Quéré, op. cit., 2016, p. 146-148.

de la fonction qu’il occupe, mais surtout de normaliser l’obéissance que la communauté doit au roi47. D’un autre côté, la démonstration d’amour et de loyauté dont témoignent les sujets se doit

normalement d’engendrer le devoir d’assurer la paix, militaire et figurative, et le maintien de la justice au sein de la vie commune du royaume48. Ainsi, l’utilisation des émotions permet d’altérer

les décisions du roi en créant un contexte politique particulier où la réciprocité entre le roi et ses sujets se doit de prévaloir49. Nous reviendrons plus amplement sur ce sujet dans le chapitre trois.

Le rapprochement entre les deux acteurs permet à la communauté de profiter d’un rapport plus particulier avec le souverain. Cependant, le roi ne pouvant superviser constamment les affaires du Languedoc, il doit déléguer son pouvoir par la mise en place d’un ensemble d’officiers qui forme l’administration royale de la région, soit pour Montpellier, la sénéchaussée de Beaucaire et de Nîmes50. Or, on remarque un envahissement progressif des officiers royaux de la sénéchaussée

dans les affaires de la ville. De plus, puisque le roi rachète le titre de seigneur de la ville de Montpellier, les institutions qui y sont associées, comme la baylie, entrent dans le giron du souverain. Ce dernier crée aussi plusieurs postes aux divers mandats, mais il implante surtout plusieurs intermédiaires qui permettent à la couronne d’imposer son autorité sur les juridictions locales et de remédier aux nombreux besoins administratifs nécessaires pour contrôler, avec une efficacité discutable, la région51.

47Sylvie Quéré, op. cit., 2016, p. 286-287

48Jacques Krynen, Idéal de prince et pouvoir royal en France à la fin du Moyen Âge (1380-1440) : Étude de la

littérature politique du temps, Paris, Éditions A. et J. Picard, 1981, p. 155-199.

49Sylvie Quéré, op. cit., 2016, p. 286-287; Vincent Challet, « Émouvoir le prince. Révoltes populaires et recours au roi en Languedoc vers 1380 », Hypothèse, 1,5, 2002, p. 325-333.

50Jean Baumel, op. cit., 1973, p. 173-174; Vincent Challet, « Malheur des temps2015, p. 129-148. 51Ibid., 1973, p. 173-174; Vincent Challet, « Malheur des temps », 2015, p. 129-148.

Comme énoncé précédemment, les relations entre le consulat de la ville de Montpellier et les officiers royaux sont tendues. Les raisons de cette relation conflictuelle entre les représentants du roi et ceux de la ville de Montpellier sont multiples52. Dans un premier temps, certains des

officiers royaux sont associés à une pression financière dont les retombées semblent invisibles53.

C’est cette invisibilité qui pèse sur les communautés plus que le poids fiscal. L'incapacité de pouvoir mesurer ou observer les répercussions de l'impôt donne l'impression qu'il est injustifié, ce qui s'oppose à la notion de réciprocité sur laquel repose la relation entre la ville de Montpellier et le roi54. De plus, ces divers intermédiaires ignorent parfois, volontairement ou non, les coutumes

et droits de la ville pour tenter d’imposer leur pouvoir et de faire respecter les privilèges royaux55.

Du fait de ces critiques, le roi se prononce à de multiples occasions en faveur des demandes du consulat de Montpellier pour tenter de ramener à l’ordre les officiers royaux et de faire respecter les droits et coutumes de celle-ci56. Pour ce faire, il doit généralement en appeler aux gouverneurs

de Montpellier, et autres représentants locaux de son pouvoir, pour faire respecter les ordonnances de la ville. Cependant, en pratique, la situation reste à l’avantage des officiers royaux du fait de la nécessité de maintenir ces offices pour la gestion du royaume. Les officiers se sentent donc assez

52Sylvie Quéré, op. cit., 2016, p. 329-335. 53Lydwine Scordia, op. cit., 2005, p. 333-334. 54Ibid., 2005, p. 347.

55AMM, Grand Chartier, Inventaire no 1, , Louvet 671, 1440; AMM, Grand Chartier, Inventaire no 1, Louvet 716,1395; AMM, Grand Chartier, Inventaire no 1, Louvet 2449, 1368; Jean Baumel, op. cit., 1973, p. 175-176.

56AMM, Grand Chartier, Inventaire no 1, Louvet 4292-4293, 1333; AMM, Inventaire no 1, Grand Chartier , Louvet 197-199, 1373;AMM, Grand Chartier, Inventaire no 1, Louvet 3-4-5, 1368; AMM, Inventaire no 1, Grand Chartier, Louvet 13-14, 1371; AMM, Grand Chartier, Inventaire no 1, Louvet 17, 1386 et Ibid., 1973, p. 175-176.

libres d'ignorer les ordonnances voulant les contraindre à respecter leur mandat et de continuer leur empiétement sur des juridictions qui ne relèvent pas de leurs responsabilités57.

Ainsi, le consulat se rapproche progressivement du pouvoir royal, pour finalement être intégré au territoire de la couronne française en 1349. Cela s’effectue et est suivi par un contexte trouble alimenté par des problèmes climatiques, des transformations économique, des famines et des épidémies. Au XIVe et XVe siècle, ce rapprochement est cependant tempéré par les diverses

instances de communication, notamment les agents royaux avec qui la ville a une relation pour le moins conflictuelle. Sur cette question, le roi se retrouve pris entre son devoir de réciprocité envers ses sujets et la nécessité d’avoir un appareil administratif conséquent pour pouvoir assurer le maintien de sa domination sur le territoire.