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CHAPITRE 1 : AFFIRMATION D’UNE COMMUNAUTÉ URBAINE

2 L’affirmation d’une communauté

2.3 Pierre II d’Aragon et le consulat de Montpellier

À la mort de Guilhem VIII, en 1202, la seigneurie de Montpellier connaît une crise dynastique qui transforme profondément la pratique politique des habitants de la ville57. Cette crise

se concrétise par une révolution de palais en 1204 à la suite du mariage, la même année, de Marie de Montpellier, fille de Guilhem VIII et d’Eudoxie Comnène, avec Pierre II d’Aragon. Le soulèvement aboutira à l’abdication de Guilhem IX, fils de Guilhem VIII, au profit de Pierre II58.

56Pierre Chastang, op. cit., 2015, p. 49-65. 57Ibid., 2015, p. 66.

58Jean Baumel, op. cit., 1969, p. 232-235; Vincent Challet. « Le temps des Guilhem », 2015, p. 58-59. Et AMM, série AA 9. Petit Thalamus, année 1204, folio 70

Le rôle joué par les probi homines de Montpellier au sein de ce changement dynastique est particulier. En théorie, à la suite de la révolte de 1141-1143, une partie des probi homines accède à des postes d’importance au sein du système d’administration urbaine, notamment au conseil de régence, laissant plus de place à leur épanouissement et sécurisant leurs positions. Malgré cela, la prise de la ville en 1204 n’aurait pas été possible sans la complicité des probi homines. Ces derniers se structurent en plusieurs factions selon les impératifs dynastiques et leur relation avec le pouvoir seigneurial59.

En effet, une partie de la petite bourgeoisie issue des corporations de métier saisit cette occasion pour accéder aux postes de pouvoir, au détriment des grandes familles qui s’étaient rapprochées du pouvoir seigneurial à la suite de la rébellion. C’est notamment la raison pour laquelle la prise de possession de la ville est suivie d’une série de bannissements des individus qui ont joués des rôles marquants au sein de l’administration des Guilhem60. Dans une volonté de

damnatio memoriae61 et dans un rituel d’appropriation politique, on confisque leurs biens. La

nouvelle élite s’approprie l’hôtel de la famille Lambert, qu’elle utilise comme lieu central du consulat à naître, et celle des Tournemire comme lieu de la résidence royale62.

Le nouveau souverain, Pierre II, est d’ailleurs plus favorable aux revendications de l’élite urbaine de Montpellier. À partir de 1204, il commence par s’atteler à une « stabilisation » des écrits de droit urbain qui ont cours dans la ville. Cela permet à la communauté d’officialiser la préséance

59Ghislaine Fabre, Thierry Lochard, op. cit., 1993, p. 62-63. 60Ibid., 1993.

61Qui se traduirait littéralement par damnation de la mémoire. C’est une condamnation employée pour effacer les traces historiques d’une personne pour les crimes qu’elle a commis. Laurent Hackworth Petersen, «The presence of "Damnatio Memoriae" in roman art», Notes in the histry of Art, Volume 30, No. 2, 2011, p. 1.

des coutumes de la ville dans le domaine juridique et politique. Les coutumes sont approuvées le 15 août par le roi et le 29 août par sa femme. Ces coutumes participent à la structuration des fondements identitaires de l’universitas de la ville. On peut faire ressortir la création d’un conseil de 12 prud’hommes qui doit gérer les affaires du territoire de la ville et qui fonctionne grâce à un système de cooptation. Le 13 juin 1205, aux 123 articles qui composent la coutume s’ajoutent 17 autres. Parmi eux, deux transformations notables doivent être mentionnées pour notre étude. La première est le changement du serment de fidélité au seigneur pour un serment à la bonne gestion de la communauté. La deuxième est un premier règlement régissant l’élection des prud’hommes qui tentent de limiter le népotisme. En effet, on ajoute sept électeurs, choisis au sein des échelles de métiers, aux douze conseillers sortants pour participer à l’élection des nouveaux prud’hommes63.

Malgré ces acquis, le consulat continue ses tentatives d’affirmation de l’universitas et, à la suite d’une seconde révolte, réussit à obtenir de plus grandes libertés. Cette deuxième tentative d’émancipation survient en 1206, dans un contexte où le roi d’Aragon contracte plusieurs emprunts avec la ville de Montpellier, notamment la somme colossale de 100 000 sous. En garantie de ce prêt, il met en gage la ville elle-même, son château et les droits afférents qui y sont liés64. Le refus

de Marie de Montpellier de signer cette entente entraîne une révolte qui se conclut la même année par la paix de Villeneuve. Cette paix prévoyait « un pardon réciproque […], les biens confisqués par le roi d’Aragon […] étaient rendus, les prisonniers des deux camps libérés avec leur biens, et

63Pierre Chastang, op. cit., 2015, p. 67; Vincent Challet, Les annales occitanes : Commentaire historique - 1204, [En ligne], http://thalamus.huma-num.fr/annales-occitanes/annee-1204.html# (Consulté le 7 septembre 2018); Jean Baumel, op. cit., 1969, p. 260-261.

64Ibid., 2015, p. 68; Ibid., 1969, p. 272-273; Maïté Ferret-Lesné, « Droit coutumier et liberté contractuelle : le prêt et sa garantie, à Montpellier, aux XIIe-XIIIe siècles », Aysso es lo comessamen : écritures et mémoires du Montpellier

médiéval, Montpellier, Presse universitaire de la Méditerranée, 2017, p. 168; AMM, Grand Chartier, Louvet 1204, cote 101.

les habitants de Montpellier conservaient les châteaux de Montpellier et de Lattes »65. Ces deux

châteaux ne seraient rendus à Pierre, ou à sa femme ou à ses enfants si les deux époux se séparaient, que s’il rembourserait les sommes qu’il devait à la ville. Celle-ci s’engagerait alors à verser 40 000 sols pour réparer les fossés et les divers dommages au château durant la révolte66.

Incapable de rembourser ce qu’il devait à la ville, le seigneur dut se tenir loin de Montpellier. La plus grande marge de manœuvre dont les consuls disposèrent grâce à cet emprunt leur permit d’affirmer l’autorité du consulat et de l’universitas qui lui est associée67. Les habitants

de la ville vont notamment détruire les châteaux de Montpellier et de Lattes pour éviter une reprise militaire de la ville par le seigneur68. Cette situation continue jusqu’au début de la décennie 1230

grâce au support et à la protection du Saint-Siège et du roi de France. Elle est cependant limitée par Innocent III qui veut assurer les droits de Jacques Ier, mais aussi par l’opposition entre le

consulat et l’évêque de Maguelone69.