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CHAPITRE 2 : MONTPELLIER, VILLE ROYALE

1 Entrée de Montpellier dans le domaine du roi de France

1.2 Les problèmes sociaux-économiques de Montpellier

En théorie, le roi doit tirer ses revenus et entretenir ses activités personnelles grâce à la stricte exploitation des revenus ordinaires du domaine royal selon une maxime qui stipule que « le roi doit vivre du sien »18. Cependant, en pratique, la conjoncture force le roi à augmenter ses dépenses et à

décréter différents types de prélèvements extraordinaires. Parmi ces dépenses, on trouve certes celles qui sont liées à la mise en place d'une administration royale grandissante et envahissante, mais surtout à celles liées à la défense du royaume et aux diverses guerres dans lesquelles le roi de

16Michel Mollat, Philippe Wolff, op. cit., 1970, p. 278-292. 17Ibid., 1970, p. 283-288.

18Lydwine Scordia, « Le Roi doit vivre du sien » La théorie de l’impôt en France (XIIIe-XVe siècles), Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2005, p. 9.

France s’est engagé. Ces dépenses militaires sont pour l’essentiel constituées de « la construction ou de l’entretien des fortifications, des frais de communication stratégique et de surveillance territoriale, l’entretien des milices urbaines ou la levée d’une armée nationale »19.

Déjà en germe avec les guerres du règne de Philippe le Bel de 1285-1314, les conflits deviennent endémiques en 1337, avec la guerre de Cent Ans, et apportent avec eux une augmentation de la pression fiscale sur le royaume20. Cette pression est l’une des préoccupations

que l’on distingue dans les suppliques de Montpellier, qui mentionnent que les communautés urbaines comme Montpellier doivent supporter l’entretien des infrastructures locales de la communauté comme la « muraille de la dite ville », ce qui les empêcheraient de contribuer convenablement aux tailles et autres charges que la communauté a le devoir de supporter. Pour Donner un autre exemple de ce phénomène, on peut s’intéresser aux villes d'Aix-en-Provence, de Brignoles ou de Tarascon, où ce sont en moyen 75% des dépenses urbaines à la moitié du XIVe siècle qui sont liées aux ponctions militaires. Durant les siècles qui suivent, c’est la menace et la peur d'un éventuel conflit qui sont utilisés pour justifier de tels pourcentages des budgets urbains21.

Évidemment, « [i]l ne suffit pas [...] de décider de lever un impôt, de justifier et de légitimer sa levée puis d'en établir l'assiette et d'en fixer le barème, encore faut-il se donner les moyens de le faire rentrer »22. Pour faire face à cette problématique au cœur de leur réalité, les conseils

19Miche Hébert, « "Bonnes villes" et capitales régionales : fiscalité d’état et identités urbaines en Provence autour de 1400 », L’impôt dans les villes de l’Occident méditerranéen (XIIIe-XVe siècle), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, p. 530.

20Michel Hébert, op. cit., 2005, p. 530; Bernard Chevalier, Les bonnes villes de France du XIV au XVIe siècle, Paris, Aubier Montaigne, 1982, 1982, p. 43.

21Ibid., 2005, p. 530-531.

22Denis Menjot, Manuel Sánchez Martínez, « Présentation», La fiscalité des villes au Moyen Âge (occident

municipaux se lancent dans diverses expérimentations de gestion des finances locales. Mais, surtout, ils participent à la mise en place d’une administration qui sert de relais entre le niveau local et royal23. À Montpellier, comme dans les autres villes du royaume, on doit généralement se reposer

surtout sur l'impôt direct proportionnel, mais aussi sur l'impôt indirect ou l'endettement24. Sur ce

sujet, les activités de prélèvement ne sont pas toujours des succès et peuvent durement affecter l'intégrité de l'universitas25. En effet, dans le cas montpelliérain, le consulat a tendance à privilégier

les taxes sur les produits de consommation directe qui pèsent plus lourd sur les gens du commun que sur l'élite de la ville26. S’ajoute aussi les problèmes climatiques que connait la ville, soit la forte

chute de neige de 1261, la famine de 1285, le tremblement de terre de 1308, le débordement du lez de 1309 et les sécheresses de 1313,1323 et 133027.

L’Europe atteint, aux alentours de 1300, son maximum de population en fonction de sa capacité de production agricole. Les hivers de 1310 à 1330 se sont cependant révélés affreusement froids alors que les étés se sont eux révélés extrêmement pluvieux ce qui devait entrainer des problèmes de production agricole et donc des famines. Il est généralement établi que le sud de la France ne semble pas avoir été aussi touché par ces problèmes que le Nord28. Ceci étant dit, l’une

23Denis Menjot, Manuel Sánchez Martínez, op.cit., 2004, p. 5.

24AMM, Greffe de la Maison Consulaire, 1479-1490, CC 562, fol. 73; AMM, Grand Chartier, Louvet 1379, cote 1735; Michel Hébert, loc.cit., 2005, p. 531; Christian Guilleré, «Structures et pratiques de gestion financière et fiscale à Gérone à la fin du Moyen Âge», La fiscalité des villes au Moyen Âge (occident méditerranéen): La gestion de l'impôt,

Tome 4, Toulouse, Privat, 2004, p. 41-47; Lydwine Scordia, op. cit., 2005, p. 62.

25Ibid., 2005, p. 534; Albert Rigaudière, « Le contrôle de l'exercice comptable des consuls sanflorains pour l'année »,

La fiscalité des villes au Moyen Âge (occident méditerranéen): La gestion de l'impôt, Tome 4, Toulouse, Privat, 2004, p. 276-278.

26Vincent Challet, « Malheur des temps », 2015, p. 140-141; Ghislaine Fabre, Thierry Lochard, Montpellier : la ville

médiévale, Paris, Imprimerie nationale, 1993, p. 182-187.

27Kathryn L. Reyerson, The art of the Deal : Intermediaries of Trade in Medieval Montpellier, Boston, Brill, 2002, p. 72-73.

28Ibid., 2002 p. 74; Kathryn L. Reyerson, op. cit, 1985, p. 46; Philippe Wolff, et al. Histoire du Languedoc, Toulouse, Privat, 1990(1967), p. 237.

des suppliques de la ville mentionne les pluies et ces conséquences sur les récoltes et les infrastructures de la ville. Jumeler à d’autres documents de la ville, cela semblerait indiquer que pour les habitants de Montpellier ce problème apparaisse comme un indicateur valide de détresse29.

La documentation montpelliéraine montre aussi que la ville a connu de mauvaises récoltes qui ont déclenché des épisodes de famine, notamment à partir de 1330. Il faut dire que même durant les bonnes années, le Languedoc compte sur l’importation des grains en provenance du nord de son territoire pour subvenir au besoin de la population, mais la production de cette zone était à ce moment elle-même déficiente30. Au moment où la production générale diminue, les importations

de grains sont durement affectées par le conflit entre Gêne, Pise et Venise, qui ont un rôle clé dans ces importations. De plus, la possession du royaume de Sicile, l’un des principaux exportateurs de grains, est au centre d’une dispute entre la dynastie aragonaise et d’Anjou. Finalement les problèmes de piraterie, surtout de la part des Catalans et des Majorcains, complexifiaient le trafic du grain31. À cela s’ajoute celui d’autres nations de la Méditerranée, comme le montre une

supplique de 1404 qui mentionne Alexandrie pour ses dangers de piraterie32.

Ces problèmes de malnutrition importante allaient accentuer l’impact de la peste. Les chroniques de l’année 1347 décrivaient d’ailleurs l’année comme celle des mortalités. En 1348, 9 des 12 consuls, ainsi qu’un remplaçant, étaient décédés de la maladie, seulement 7 des 140 frères prêcheurs étaient encore en vie. Ainsi, si la population de la ville est estimée à 40 000 personnes

29AMM, Greffe de la maison consulaire, BB 194-34.

30Kathryn L. Reyerson, op. cit., 2002 p. 74; Kathryn L. Reyerson, op. cit, 1985, p. 46; Philippe Wolff, et al. Histoire

du Languedoc, Toulouse, Privat, 1990(1967), p. 237. 31Ibid., 2002 p. 74. Ibid., 1985, p.46.

en 1300, on peut estimer qu’elle ne compte plus qu’un quart de ce chiffre à la fin du XIVe siècle33.

Cette conjoncture difficile affecte durablement les enjeux politiques internes et externes de la ville, mais elle conditionne aussi la forme et le fond des communications avec le pouvoir royal34