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CHAPITRE 1 : AFFIRMATION D’UNE COMMUNAUTÉ URBAINE

2 L’affirmation d’une communauté

2.2 La révolte de 1141

Sur ce sujet, l'un des premiers marqueurs temporels déterminant est la révolte de 1141. Encouragée par la famille des Aimoin, à laquelle celle des Guilhem avait inféodé une partie de ses pouvoirs politiques sur la ville en 1103, cette révolte prend sa source dans les changements socio- économiques situés au tournant du XIIe siècle. Ces derniers ont engendré des désirs de

transformation et d’espérance, auxquels l’institution seigneuriale Guillemide ne pouvait répondre43. Concrètement, cette révolte commence par une émeute qui éclate au mois d’août 1141.

Elle force Guilhem VI, seigneur de la ville, à se retirer dans son château de Lattes. Il est important de mentionner qu’à ce moment le seigneur avait été affaibli par les coûts associés aux croisades en Terre sainte et à l’entretien de sa force armée44. Une fois la révolte lancée, la communauté dut faire

face à une pression politique de la part du pape Innocent II qui entretenait de bonnes relations avec

42André, Gouron. Op.Cit., 1963, p. 57; Geneviève Dumas, « L’enseignement au Moyen Âge », Histoire de Montpellier, Toulouse, Éditions Privat, 2015, p. 57.

43Jean Baumel, op. cit., 1969, p. 129-130; Pierre Chastang, op. cit., 2013, p. 48; Liber instrumentorum memorialis, no 5.

Guilhem VI. Le pontife frappe d’ailleurs la ville d’une première vague d’excommunications en 1141, qu’il renouvelle en 1142 et en 1143. Guilhem VI se trouvant dans l’incapacité de reprendre la ville par ses propres moyens, dut aller chercher une aide extérieure pour le soutenir dans son entreprise. C’est donc grâce aux hommes de guerre du comte de Barcelone, de quatre galères armées génoises, de quelques seigneurs locaux et de leurs hommes qu’il réussit à reprendre la ville à la suite d’un siège qui se termina dans les derniers mois de l’année 114345.

Loin d’être un simple acte de violence contre l’ordre seigneurial, cette révolte représente une première expérience pratique d’indépendance politique, mais surtout une première expression politique des « hommes de Montpellier »46. En effet, c’est durant cette révolte que les probi homine

accaparent les pouvoirs judiciaires et mettent en place un consulat fonctionnel47. Évidemment, au

lendemain de la défaite, le consulat est aboli, mais cette période de liberté laisse un stigmate qui marque la mémoire collective de la communauté et de son élite urbaine48.

Afin de répondre aux problématiques des sources de cette révolte, les Guilhem renforcent dans un premier temps le pouvoir des officiers responsables de l’administration de la communauté. Pour répondre aux transformations démographiques et socioéconomiques de celle-ci, ils permettent à une faction de l’élite urbaine d’accéder à une partie de la gestion de la ville49. On pense

notamment à l’apparition du statut de prud’homme durant la décennie 1180, qui regroupe des

45Jean Baumel, op. cit., 1969, p. 129-138.

46Vincent Challet, « Le temps des Guilhem (985-1204) ou l’histoire d’un miracle urbain », Histoire de Montpellier. Édition Privat, 2015, p. 55; Jean Baumel, op. cit., 1969, p. 129-138.

47Ibid., 1969, p. 129-130. 48Ibid., 2015, p. 55.

49 Pierre Chastang, « L’émergence et l’affirmation du consulat aux XIIIe siècles », Histoire de Montpellier, Toulouse, Édition Privat, 2015, p. 64; Ghislaine Fabre, Thierry Lochard, op. cit., 1993, p. 62-63.

membres de la population qui reçoivent des privilèges particuliers et agissent en tant qu’auxiliaires du pouvoir seigneurial au sein de la vie politique de la ville50. La même année, on dote aussi le

baile, alors simple collecteur d’impôt, de fonctions judiciaires. En 1196, la communauté reçoit « une première reconnaissance institutionnelle » avec la création du poste d’administrateurs de la « commune clôture"51. La « commune clôture », est une murale qui ceinturent une quarantaine

d’hectares de la ville. Elle devait englober Montpellier et Montpelliéret, tout en laissant de côté certains faubourgs plus récents. En tant qu’« idéogramme urbain », dont l’utilisation reposait sur l’organisation des métiers de la ville, la muraille devient un symbole identitaire de la communauté urbaine52. Lorsque les futurs consuls se dotent de leur premier sceau collectif, c’est cette enceinte

qui figura au premier plan53

Au sein de l’acte de dotation, Guilhem VIII délègue à huit notables, déjà proches conseillers du seigneur et dotés du titre d’administrateurs de la ville, la charge de la gestion des fortifications avec le droit de nommer leurs successeurs54. Dès le début, cet organisme est autonome et ne rend

pas de comptes au pouvoir seigneurial, ce qui marque bien l’importance de cette institutionnalisation dans l’affirmation de la communauté. Cela explique aussi la valeur sociale culturelle de la commune clôture pour la communauté55.

50Le terme prud’homme provient des textes de l’époque qui les nomme Probi homini. Pierre Chastang, op. cit., 2013, p. 49. Liber instrumentorum memorialis, No. 239 (1201))

51Ghislaine Fabre, Thierry Lochard, op. cit., 1993, p. 112; Pierre Chastang, op. cit., 2015, p. 65.

52Lucie Galano, Montpellier et sa lagune. Histoire sociale et culturelle d’un milieu Naturel (XIe-XVe siècles), thèse (Ph.D), Université Paul-Valéry Montpellier 3 et Université de Sherbrooke, 2017, p. 168-169.

53Vincent Challet, « Le temps des Guilhem »,Privatp. 56; Pierre Chastang, « L’émergence et l’affirmation du consulat aux XIIIe siècles», Histoire de Montpellier, Toulouse, Édition Privat, 2015, p. 64-65; Pierre Lavedan, La

représentation des villes dans l’art du Moyen Âge, Paris, Vanoest Éditions d'art et d'histoire, 1954, p. 33-35; Voir l’annexe 8.

54Ghislaine Fabre, Thierry Lochard, op. cit., 1993, p. 113. 55Pierre Chastang, op. cit., 2015, p. 65; Ibid., 1993, p. 112.

Afin d’accomplir leur mandat et d’assurer la gestion quotidienne de la commune clôture, ces administrateurs se reposeront sur les associations professionnelles de la ville. Les « seigneurs ouvriers » de la commune clôture seront sélectionnés dans les sept métiers considérés comme les plus importants par la communauté urbaine. Ces regroupements professionnels, que l’on nomme échelles, sont associés à une journée de la semaine et ont la charge du guet des portes de la ville lors de cette journée. Cette organisation doit s’assurer de la gestion financière et matérielle des murailles de la commune clôture, qui représente le fondement institutionnel de l’universitas et de son élite. Ces échelles forment éventuellement la base de l’organisation communale au XIIIe siècle.

De plus, la question de la gestion de cette « commune clôture » et des ressources qui doivent lui être allouées se retrouveront au centre des enjeux politiques constituant le discours politique de la ville56.