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II. CADRE THEORIQUE

7. R EPRESENTATION DE L ’ ALIMENTATION

Manger, un acte social

Comme évoqué précédemment, la consommation alimentaire va plus loin que la simple action de fournir de l’énergie au corps humain. En effet, selon Barthes (1961), la nourriture « … c’est aussi et en même temps un système de communication, un corps d’images, un protocole d’usages, de situations et de conduites » (p. 979). Outre la faim, des facteurs tels que l’environnement, l’image et les normes sociales peuvent jouer un rôle dans le choix de nourriture de l’individu (König, 2017). Selon Barthes op.

cit.), « se nourrir est une conduite qui se développe au-delà de sa propre fin, qui remplace, résume ou signale d’autres conduites, […] » (p. 985). De plus, l’action de manger est d’ordinaire une activité sociale, rarement réalisée solitairement. Il a été montré que la présence d’autres individus peut agir sur le type et la quantité de nourriture choisie et consommée (Polivy & Pliner, 2015).

Barthes (op. cit.) évoque la diététique et la conscience alimentaire qui se sont développées en réponse à l’extension de l’assortiment de nourriture à disposition dans nos sociétés occidentales et à l’évolution des budgets alimentaires. Face à l’éventail

36 http://www.ccnp-ge.ch/informations/troubles-des-conduites-alimentaires , consulté le 2 mai 2019.

37 Traduit de l’anglais par nos soins.

d’aliments proposés à l’achat et à la consommation, l’individu doit procéder à des choix. Tout aliment choisi et consommé « … résume et transmet une situation, il constitue une information, il est significatif » (p. 980). De plus, l’auteur avance que la nourriture ne transmet pas seulement des informations sur une situation mais également sur un mode de vie.

Comme mentionné plus tôt, plusieurs études s’accordent sur le fait que la nourriture et l’alimentation jouent un rôle majeur dans la définition de l’identité sociale de l’individu (Thouars, 2015) (Vartanian et al., 2007). D’autre part, il a été montré que « les choix alimentaires sont influencés par le désir de transmettre une certaine impression ou d’adhérer à des normes sociales »38 (McFerran et al. 2009, 916).

L’idée que l’on est ce que l’on mange est toujours présente dans nos sociétés et a pour conséquence que les individus jugent et se forgent des opinions sur les autres sur la base de la nourriture qu’ils ont choisi de consommer (Vartanian et al., op. cit.).

Ainsi, chaque aliment a deux valeurs : nutritive et protocolaire. Au vu des études réalisées et des conclusions formées, il est vrai d’avancer que la valeur protocolaire prend de plus en plus d’importance par rapport à la valeur nutritive dans le processus de choix alimentaire (Barthes, op. cit.).

Choisir sa nourriture : quelles pressions et influences

Comme nous l’avons vu, de multiples facteurs entrent en compte lorsque l’individu doit choisir la nourriture qu’il désire consommer. L’acte de s’alimenter est soumis à des pressions et influences provenant de diverses sources.

Tout d’abord, l’environnement direct tel que la famille et les pairs joue un rôle important dans ce processus. En effet, « l’action de manger a souvent lieu dans un contexte social et les choix alimentaires des autres et la quantité consommée ont un effet puissant sur les décisions de consommation de l’individu »39 (Higgs, 2015 : 38). Le groupe de pairs dont fait partie l’individu peut donc influencer grandement ses choix.

En ce qui concerne la famille, Gregório (2014) a montré dans sa recherche menée auprès d’adolescents que leurs habitudes de consommation diffèrent selon la sphère dans laquelle ils se trouvent. La cellule familiale représente et fournit plutôt une alimentation saine. Au contraire, les repas pris par les adolescents hors de cette sphère, dans un environnement de pairs par exemple, ont plutôt tendance à être composé d’aliments considérés comme non sains. Ceci montre que l’individu s’adapte à l’environnement et la situation sociale dans laquelle il évolue. Il va se comparer aux autres pour déterminer quel type de nourriture manger et en quelle quantité (Polivy &

Pliner, 2015).

A ces influences viennent s’ajouter celles acquises par le biais de la socialisation. La littérature disponible à ce sujet montre que les femmes sont et ont toujours été l’objet d’attendus et d’interdits alimentaires. En effet, déjà au sein des sociétés de chasseurs-cueilleurs, elles n’avaient pas accès à la viande de gibier (aux protéines animales) de la même manière que les hommes car il était considéré qu’elles avaient besoin de moins de force que ces derniers. Dans les sociétés industrialisées, les femmes ne se voient interdire aucun aliment mais « expérimentent des pressions sociales dont l’alimentation est aussi l’instrument et qui ne sont pas moins redoutables : celle du

38 Traduit de l’anglais par nos soins.

39 Id.

contrôle de leur apparence corporelle, et dans une certaine mesure, celle de leur pensée » (Fournier et al., 2015 : 37).

Le résultat de ces normes sociales peut s’observer dans les goûts et les choix alimentaires dont les femmes font montre. Selon Bourdieu cité par Carof (2015),

« dans le quotidien, les femmes affirment préférer des nourritures légères, raffinées et peu nourrissantes quand celles qui sont valorisées pour les hommes sont riches, copieuses et carnées » (p. 220). L’idéal de minceur promu dans nos sociétés occidentales amène les femmes à préférer des aliments légers (Polivy & Pliner, op.

cit.). Ainsi, ce sont elles les plus concernées et adeptes des régimes et des restrictions alimentaires. Les jeunes filles et femmes particulièrement « sont les plus susceptibles de se soumettre à cette influence et d’adopter des régimes déséquilibrés, renoncer à certaines catégories d’aliments ou encore sauter des repas »40 (Gregório, 2014 : 7).

Enfin, les médias sont également des sources de pressions et d’influences sur les choix alimentaires. En effet, selon Spence et al. (2016), le cerveau humain tend à diriger son attention limitée vers les sources de nourriture qui se trouvent dans son champ de vision. Or, « au fil des dernières années, les médias, via le support papier d’abord et digital ensuite, ont rendu la nourriture virtuelle omniprésente »41 (p. 59).

Chaque jour, nous voyons défiler des images de nourriture devant nos yeux, dans un contexte totalement dissocié des repas. Ce phénomène est grandement renforcé par

« l’augmentation dramatique de l’obsession publique pour la prise de leur nourriture en photo et le partage de ces photos sur leurs réseaux sociaux »42 (p. 55). Les médias sociaux regorgent ainsi d’images de nourriture. Cette catégorie représente en effet une part très importante des photographies partagées sur Instagram (Holmberg et al., 2016). Certaines études se sont penchées sur la façon dont la nourriture est représentée sur cette plateforme.

Tout d’abord, il a été observé qu’elle est majoritairement représentée de manière positive. Deux angles principaux ont pu être dégagés. Les internautes diffusant des images de nourriture ont ainsi tendance à se focaliser sur l’esthétique ou la dimension du « fait-maison » des articles alimentaires. Il est question de mettre en avant la beauté des aliments et les compétences culinaires de l’individu. La nourriture peut également être montrée comme faisant partie d’un mode de vie ou d’une situation. Dans ce cas, les articles alimentaires sont plutôt des supports servant à mettre en lumière une occasion, une activité ou un sentiment. Ce sont donc plutôt les lieux et marques de nourriture qui seront mis en avant (ibid.).

De plus, on assiste depuis quelques années à l’émergence de la tendance du « food porn ». Le terme désigne des images de nourriture extrêmement appétissantes (et caloriques). Selon Spence et al. (op. cit.), « la façon dont l’assiette est dressée a un impact sur la perception gustative des individus et peut modifier le choix de nourriture consécutif et leur comportement de consommation »43 (p. 55). Ces images contribuent à rendre la nourriture toujours plus présente aux yeux de l’individu et attirent son attention limitée sur des plats toujours plus alléchants. Si ces photos peuvent pousser l’internaute à choisir des plats peut-être trop riches ou peu équilibrés, elles ont parfois l’effet inverse. Selon Lavis (2017), le « food porn » peut être utilisé comme un moyen de perte de poids : l’utilisateur se contente de consommer les images, sans réellement ingérer les aliments représentés, et en retire un sentiment de satiété.

40 Traduit de l’anglais par nos soins.

41 Id.

42 Id.

43 Id.

Enfin, comme vu précédemment, les médias permettent aux individus de se connecter entre eux et de diffuser du contenu dans un espace qui leur est propre. Ils renforcent des liens qui existent déjà dans la vie réelle avec la famille ou les pairs et en créent de nouveaux avec des inconnus ou des célébrités. Ces dernières peuvent également jouer un rôle dans le processus de choix alimentaire des individus. En effet, comme mentionné plus tôt, les personnalités célèbres représentent souvent l’idéal corporel de minceur promu dans les sociétés occidentales. Selon Gregório (op. cit.), elles

« peuvent refléter une image sur l’alimentation saine et la rendre "cool" »44 (p. 23).

Ainsi, en plus de l’environnement familial et de pairs et des normes sociales incorporées au fil des années, les médias sociaux représentent une source supplémentaire de pressions et influences pour les individus dans leurs choix alimentaires.