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L ES APPROCHES THÉORIQUES CLASSIQUES DE LA RÉVOLUTION

R ÉVOLUTION COMME PHÉNOMÈNE ETHNIQUE ET RELIGIEU

CRYPTO-RELIGIOLOGIE DU SANDINISME

On pourrait résumer le modèle d’analyse duboisien par cette citation : « Au fondement de toute chose, de tout être, de toute société, de tout phénomène se trouve le religieux, le sacré. » (Dubois 1997, 9). S’inspirant des thèses de Sécularisation et religions politiques de Jean- Pierre Sironneau sur les grands mouvements totalitaires du début du XXe siècle, Dubois affirme que les grands thèmes de la révolution sandiniste, « s’ils ne sont pas explicitement religieux, le sont implicitement » (Dubois 1994, 32). Dans son application du modèle de l’inversion/réversion du rapport information/transformation, Dubois homologue l’information

au mythe, au totem ou à l’ancêtre prestigieux qui modèlent ensuite téléonomiquement la transformation ou l’histoire de la société. Le mythe dans la pensée duboisienne, détermine l’évolution d’un groupe, et surtout, le surdétermine lorsque refoulé à l’état de résidus (Pareto 1968). L’étude des systèmes religieux est donc essentielle selon Dubois pour comprendre le développement historique d’une société, puisque derrière tout discours sécularisé (transformation) se cache une morphologie religieuse, qui est en fait la reprise de la structure (information) du mythe (redondance structurelle du mythe) fondateur d’une société.

Son modèle religiologique cherche donc à décrypter le religieux « sous » le séculier : il le fait en remarquant d’emblée les concordances frappantes entre le concept de fête religieuse et celui des mouvements de revitalisation. Nous verrons ici que pour interpréter le sandinisme, Dubois fait intervenir plusieurs concepts religiologiques, notamment le concept durkheimien d’identité sociale hypostasiée dans l’ancêtre (Durkheim 1960), les idées de Van der Leeuw sur la « réincarnation » de l’ancêtre lors de la fête religieuse, de participation holiste, de sacré comme puissance, de régénération par la fête ou son substitut, la guerre (Van der Leeuw 1940; 1948), et celui d’inversion de l’ordre social de Caillois (Caillois 1950), etc. Toujours à partir de son modèle de l’inversion/réversion du rapport information/transformation, Dubois infère qu’une société passe, dans son déploiement historique, d’un mode de conjonction du sacré et du profane (information ou prédominance du mythe), à un mode de disjonction du sacré et du profane (transformation ou prédominance du profane). Autrement dit, les sociétés auraient tendance, à partir de la structure d’un mythe fondateur, période de conjonction sacré/profane maximale, à se laïciser ou se « profaniser » au fur et à mesure de l’usure du temps, jusqu’à ce qu’au paroxysme de la disjonction sacré/profane, un nouveau cycle ou nouveau mythe fondateur, conjoignant de nouveau sacré/profane, mais plus complexe, régisse un nouveau

cycle. C’est précisément le rôle de la révolution. On a déjà fait remarquer l’historicité de la création d’un mythe fondateur, qui s’ancre dans un événement réel, mais qui est déformé par le mythe.

La révolution sandiniste posséderait toutes les caractéristiques du religieux : en effet pour Dubois, le sandinisme 1) convoque le prestige des origines et des ancêtres fondateurs (Sandino), 2) est un discours totalisant, 3) qui met l’accent sur la participation et 4) la communion de tous en tout, 5) par conversion ou inversion de l’ordre social, 6) porte une dimension sacrificielle et 7) amène l’ensemble de la société nicaraguayenne à passer par un processus de mort/résurrection (Dubois 1994). S’il n’est pas explicitement religieux, Dubois le soupçonne d’être crypto-religieux, c’est-à-dire d’être surdéterminés par le religieux (Dubois 1994). Derrière le sémantisme sécularisé du discours sandiniste, particulièrement à tendance marxiste, opèrerait un sémantisme occulte rappelant le langage du sacré. Voyons cette idée d’un peu plus près.

Dubois part du postulat durkheimien d’une identité sociale hypostasiée dans l’ancêtre ou le Dieu de la collectivité. L’ancêtre prestigieux est hypostase (information) de la puissance du sacré de cette société, et dans cette mesure, il possède une influence considérable sur le déploiement historique (transformation) de cette société : « [l] e présent et le futur ont du sens, de la valeur, de la puissance dans la mesure où ils sont la réitération des origines, c’est-à-dire la résurrection de l’ancêtre ou de l’ancestral (archétype). » (Dubois 1994, 29) La révolution sandiniste sera perçue comme d’autant plus « puissante » selon Dubois, que son message (le sandinisme de Fonseca) s’élabore à partir de la réitération de l’ancêtre Sandino et ses qualités.

Ce sémantisme, on l’a vu, n’est pas à l’abri de la dissipation prigoginienne : une société, on l’a vu, doit périodiquement régénérer son ordre. Avec l’usure, on assiste, selon Dubois, à la

« disjonction progressive du sacré et du profane ». Au fur et à mesure que la société se laïcise, se « profanise », que le désordre altéritaire effrite l’identité (ordre) sociale hypostasiée dans l’ancêtre divinisé, elle cherchera à entamer un nouveau cycle de revitalisation en se réinvestissant du prestige de ses origines. L’usure progressive de la société ou « profanisation », constitue donc un processus de l’ordre de la réforme n’effectuant que des changements qui ne bouleversent pas fondamentalement l’ordre instaurateur, alors que la révolution serait un processus de sacralisation en reconvoquant l’ancêtre prestigieux et ferait appel à la réversion ou au renversement radical de cet ordre :

Au moment de sa régénération, la société redevient incarnation de l’ancêtre − dont on s’était écarté jusqu’à son contraire. L’ancêtre informe de nouveau le tout et les parties du tout confondues entre elles et avec le tout, car, alors, tout participe à tout et de tout. Le sacré et le profane sont en conjonction; le mal est converti en bien, l’impuissance (minuscule) en puissance. (Dubois 1994, 29‑30)

Selon Dubois, toute la fête tourne autour d’un rituel crucial, celui du sacrifice girardien (Girard 1972; 1982). Dans la conception de René Girard, le désordre social consiste en une perte graduelle des différenciations sociales causée par la « fusion » des désirs : au fil des générations et de l’usure du temps, les désirs individuels finiraient par converger autour des mêmes objets, ce qui entraînerait une hausse des rivalités mimétiques qui perturberait l’équilibre des règles du jeu des différences, nécessaire au bon fonctionnement des sociétés. Bref, il y aurait passage d’une rivalité ordonnée, régulée par un système hiérarchique hautement différentié, à une rivalité mimétique désordonnée, indifférenciée. Ainsi, selon Dubois qui s’appuie sur la thèse de Girard, au paroxysme de l’usure, du désordre, de l’effacement des différentiations, les sociétés cherchent par le sacrifice à réitérer l’ancêtre prestigieux qui, par le mythe, consacre l’ordre instaurateur, c’est-à-dire celui qui, pour Girard, est pris pour avoir magiquement sorti la communauté d’une crise originelle :

Le but du sacrifice est donc de réinstaurer des différences, un nouvel ordre social, de réinvestir le groupe d’une nouvelle puissance. La récompense du sacrifié est alors l’immortalité et la divinisation puisqu’il devient après sa mort le dieu qu’il représente lors du don de sa vie. La mort sacrificielle confère donc à l’humain la toute-puissance divine et la future résurrection20. (Dubois 1994, 35-36)

C’est donc à travers le sacrifice que se joue la synchronisation sociale, toute distance qui sépare normalement le peuple et le dieu, des uns et des autres, est abolie. Selon Dubois, ces occasions constituent des moments forts de conjonction du sacré et du profane : Dubois parle de véritable communion, de fusion mystique et d’identification à l’ancêtre, à la collectivité et au territoire, par une vaste « participation mystique [où] tout est à tout et dans tout » (Dubois 1994, 32‑33). C’est d’ailleurs à ce signe, celui de la confusion de la partie, l’individu, et du tout, la société, qu’on peut affirmer avoir affaire à un phénomène authentiquement religieux :

Alors, les identités individuelles sont floues et leurs limites avec le monde s’estompent. « La distance entre le sujet et l’objet est plus petite »21 chez l’homme religieux, écrit Van der

Leeuw. D’après lui, c’est ce qui donne au religieux « le sentiment de la totalité » qui, au plan social, correspond au collectivisme22. Ce collectivisme a sa condition de possibilité individuelle : la participation de la personne à l’autre et de l’autre, au tout et du tout. En effet, le religieux ne « pense ni d’une façon exclusive (aut-aut) ni de façon additionnelle (et-et), mais fait participer les choses les unes aux autres, de telle sorte qu’elles soient l’une dans l’autre

(in) »23. Aussi, doit-on s’attendre à ce qu’un être soit lui-même et/ou un autre24. Ainsi la mort

(souffrance) est-elle la vie (jouissance et résurrection) et l’être actuel possédé à ce point par l’ancêtre qu’il en devient la réincarnation, la résurrection, « car tout peut participer à tout et cette participation signifie unité »25. L’union ou la participation de l’être religieux à sa communauté (totalité sociale) s’incarne dans un territoire sacré. Selon Van der Leeuw, « il y a participation entre l’homme et le lieu où il demeure. [...] il ne demeure pas dans une maison, dans un pays, dans une contrée, il les habite. Ils sont avec lui, de sorte qu’il ne saurait vivre, ni prospérer sans eux.26 (Dubois 1994, 32‑33)

20 Cf. la théorie sacrificielle de R. Girard, La violence et le sacré, op. cit., Le bouc émissaire, op. cit. 21 G. Van der Leeuw, op. cit. , p. 34.

22 Ibid., p. 40. 23 Ibid., p. 43. 24 Ibid., p. 44. 25 Ibid., p. 47. 26

On retrouve, selon Dubois, ces particularités religieuses dans toutes les sphères idéologiques du discours, culturel, politique, socio-économique, familial, individuel, etc. Dubois en conclut que la révolution est donc non seulement une revitalisation nativiste, mais qu’elle constitue une manifestation de conversion ou de réversion sociale, de même nature que celle retrouvée lors de la fête rituelle. Ce renversement fait passer la société nicaraguayenne de « l’impuissance du peuple » écrasé sous le diktat du régime somoziste, à la puissance du peuple par la réitération de Sandino et du sandinisme qui est son prolongement. Cette puissance, trouvée dans la réitération des origines ou de l’ancêtre prestigieux est pour Dubois, la définition même du sacré : « L’accès au sacré est donc rendu possible par la conversion du somozisme au sandinisme, conversion qui est fondamentalement une transgression de l’ordre établi. Ici, le peuple devient puissant s’il devient révolutionnaire. » (Dubois 1994, 130) En somme, la révolution est, en plus d’être nativiste, religieuse : elle cherche à réactualiser l’ancêtre prestigieux afin de se réapproprier ses qualités, sa puissance. La révolution sandiniste a finalement été un vaste mouvement de « conjonction du sacré (l’ancêtre) et du profane (l’humain ou peuple pré-révolutionnaires) » (Dubois 1994, 393) déterminant un nouveau cycle historique, une nouvelle structure, plus complexe. Cette nouvelle structure, contrairement à Lévi-Strauss et en accord avec Durand, est historique, elle est le produit de la révolution.

APPROCHE STRUCTURALE DE LA CONSTRUCTION IDÉOLOGIQUE : NATIVISME EXPLICITE ET NATIVISME IMPLICITE

Rappelons qu’à la dimension tensionnelle de la structure sacré/profane, s’ajoute une dimension transversale : le système tend inéluctablement vers le désordre, et de ce dernier surgit un ordre nouveau ou nouvelle information. Selon Dubois, l’histoire n’est rien d’autre

que le passage progressif de la primauté du sacré (information) à la primauté du profane (transformation) jusqu’à son renversement discontinu par la fête, la conversion ou encore la revitalisation révolutionnaire (réversion). Ce processus, à l’échelle d’une nation, peut s’opérer sur des siècles, et on a vu que, pour Dubois, la révolution sandiniste joue le rôle d’un tel renversement. L’analyse duboisienne ne s’arrête pas au décryptage du sémantisme religieux sous-jacent au langage séculier des révolutionnaires sandinistes. Sous son langage moderne, sécularisé, elle véhicule un mythe de libération nativiste qui semble d’autant plus efficace qu’il se joue de manière inconsciente. Une trame encore plus profonde surdéterminerait l’opposition religieuse structurale Sacré-Sandino/Profane-Somoza mise en lumière lors de la section précédente, un « système et un sémantisme propre à la méso-amérindianité précolombienne […] qui hantent la globalité et les particularités (thèmes isotopiques) du discours sandiniste. » (Dubois 1994, 394) À travers l’étude de l’histoire, de la culture, de la socio-économie et de la politique sandiniste, Dubois montre l’omniprésence du thème de l’indianité, et se demande pourquoi, en plus de s’identifier à l’ancêtre Sandino, le discours sandiniste est-il si préoccupé de son indianité, et ce, malgré plusieurs siècles d’acculturation et de dévalorisation. Quelles(s) caractéristique(s) ou qualité(s) Sandino possède-t-il qui le rend si essentiel à la révolution? Pour Dubois, c’est précisément son caractère indien.

Ce nativisme explicite, qui rappelons-le à partir des thèses de Wallace, consiste en la résurgence, sur le plan idéologique, d’une identité culturelle après une acculturation sévère – dans le cas de la révolution sandiniste il s’agit de la revitalisation à partir des qualités de l’ancêtre Sandino – ne serait selon Dubois, qu’une pointe consciente d’un processus ethnique encore plus vaste. Un nativisme implicite surdéterminerait l’opposition Sandino/Somoza évidente dans le discours révolutionnaire sandiniste. Un peu à la manière de l’inconscient

individuel freudien, qui se manifeste de manière indirecte à travers certains signes ou indices, notamment dans le rêve, le lapsus, ou d’autres mécanismes de défense, etc., et qui comme tel « n’en sur-détermine pas moins tous les aspects de la vie consciente » (Dubois 1994, 394), l’obsession de l’indianité par le fantasme du paradis des origines indiennes, thème récurrent dans le discours révolutionnaire sandiniste, serait l’indice d’un inconscient ethnique méso- amérindien qui « n’en sur-détermine [rait] pas moins tous les aspects et la globalité du discours sandiniste » (Dubois 1994, 395). Ainsi pour Dubois, le nativisme explicite ou l’idéologie consciente de la révolution sandiniste ne se comprendraient que partiellement sans le dévoilement d’un nativisme implicite duquel il est issu, et, en même temps, auquel il s’oppose superficiellement. Voyons cette hypothèse d’un peu plus près.

Il faut d’abord comprendre que jusqu’à une période contemporaine de la révolution, l’indianité est méprisée au Nicaragua, d’abord « refoulée par l’hispanité et finalement mis à mort par le racisme impérialo-somoziste » (Dubois 1994, 453). À travers leur opposition à Somoza, les Nicaraguayens sandinistes finissent par s’identifier à l’Indien historique opprimé : la révolution est conçue dans le prolongement des luttes indigènes anticolonialistes, particulièrement autour de figures héroïques ancestrales reconnues pour avoir combattu l’oppression coloniale. C’est précisément cette figure de l’Indien qui réémerge selon Dubois, avec le triomphe révolutionnaire, particulièrement sous les traits de Sandino :

Et si les héros fondateurs de l’identité nicaraguayenne sont des Indiens, les principaux continuateurs, les généraux Zeledón et Sandino, seront tout aussi Indiens, ou fils d’indiennes, pour les Nicaraguayens. Ceux-ci seront tellement déclarés Indiens qu’on oubliera qu’ils sont Ladinos. Et comme ils symbolisent toute l’identité nationale, c’est-à-dire le « patriotisme », alors, l’identité nationale fait référence à la seule indianité. Ces paroles souvent rapportées de Sandino : « Je suis Nicaraguayen et je me sens fier que dans mes veines circule, plus que tout autre, le sang indien américain qui, par atavisme, renferme le mystère d’être patriote, loyal et sincère », deviennent un véritable slogan qui va surdéterminer le patriotisme nicaraguayen et la nouvelle identité culturelle explicite ou consciente. (Dubois 1994, 458)

À travers Sandino, les révolutionnaires cherchent à rompre avec un passé récent d’oppression, historiquement associé à l’Espagnol allié à l’impérialiste blanc, étatsuniens particulièrement. Cette rupture réactualise ou « re-suscite » un passé lointain idéalisé ou fantasmé identifié à l’Indien et à ses qualités, particulièrement à sa combativité. Ainsi, un premier niveau sémantique se dégage de l’analyse, un nativisme explicite, qui, opposant deux termes, l’un se fondant sur un passé lointain et qui renvoie de manière récurrente à Sandino l’Indien, le libérateur nationaliste, et l’autre, se fondant sur un passé récent, et qui renvoie à Somoza l’Espagnol ou le Blanc, l’oppresseur anti-nationaliste. (Dubois 1994)

Contrairement aux thèses postmodernes pour qui le retour à la tradition s’effectue par une sélection de traits culturels passés en fonction d’enjeux politiques actuels (Clifford 2001; 2004), chez Dubois, c’est tout le passé qui revient sous forme de rémanences inconscientes : « [s] i le Nicaraguayen retourne en arrière, c’est que cet arrière s’imposerait à lui » (Dubois 1994, 460). L’audace de l’hypothèse duboisienne concernant cette surdétermination, consiste à affirmer qu’au cœur de la revitalisation, opère un principe de nahualisation de la culture méso-amérindienne. À la différence du structuralisme de Lévi-Strauss, Dubois postule que chaque trait culturel ou symbole est motivé27. Il en découle à partir des thèses de Durand,

27 On sait que Lévi-Strauss appuie son structuralisme sur la linguistique de Saussure pour qui le signe linguistique

est toujours immotivé, c’est-à-dire qu’il n’a aucune signification par lui-même, qu’il la prend dans le contexte d’un réseau sémantique. Nous utilisons donc le terme « motivé » pour décrire le postulat inverse, soit que certains signes possèdent une charge sémantique irréductible. Dubois s’inspire ici de Gilbert Durand et de sa notion d’archétype : « L’archétype est […] une forme dynamique, une structure organisatrice des images, mais qui déborde toujours les concrétions individuelles, biographiques, régionales et sociales, de la formation des images. » (Durand 1964, 66). Cette irréductibilité, comme nous l’avons vu plus haut lors de la présentation de Durand, prend sa source dans le trajet anthropologique, lui-même issu, en partie, d’un certain déterminisme

Devereux, Pareto et d’une extension du concept de non-localité et d’intrication quantique28, un principe d’indissolubilité symbolique et un principe de conservation et de transmission des traits culturels dans l’inconscient ethnique, à travers l’histoire refoulée :

Le discours sandiniste serait, à son niveau le plus fondamental, la conscientisation de l’inconscient ethnique de la société d’où il a émergé. Mais la globalité et l’ampleur de ce processus de nahualisation (ou transformation) dépassent largement la seule référence à l’Indien mythique (nous verrons que l’Indien se caractérise surtout par son légendaire courage au combat); cette nahualisation est l’Indien (nahua) lui-même avec toute sa richesse et sa complexité religieuse, éthique, philosophique. (Dubois 1994, 395)

Cette indissolubilité symbolique expliquerait que des symboles, des personnages mythiques, des récits, etc., puissent resurgir dans leur intégralité, longtemps après avoir été oubliés ou refoulés par la culture29. Toute convocation est ainsi invocation : rappeler l’ancêtre, c’est non seulement redonner vie à cet être et à toutes ses qualités, mais c’est aussi rappeler les termes ou thèmes de la structure symbolique dans lequel il s’inscrit30. Lorsque Dubois parle de

nahualisation, il désigne le processus historique par lequel l’ancêtre prestigieux « possède »

littéralement les membres de la société qui le reconnaissent comme modèle :

28 On parle de principe de non-localité, lorsque même séparés par de grandes distances spatiales, certaines particules semblent interagir simultanément l’une l’autre. C’est précisément ce caractère de simultanéité qui pose problème puisque dans l’univers décrit par Einstein, rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière. On parle alors d’intrication. Il semble que l’état d’intrication, par le caractère simultané de l’interaction particulaire, viole la limite de la vitesse de la lumière. L’idée d’état intriqué a d’abord été énoncée par Einstein, Podolsky et Rosen dans un article de 1935, qui, visant avant tout à démontrer l’incomplétude et l’invraisemblance de la mécanique quantique, décrivent une expérience de pensée connue sous le nom de paradoxe EPR. Niels Bohr, John Stewart Bell et d’autres (David Bohm, les expériences d’Alain Aspect au début des années 80) s’opposent à l’interprétation d’Einstein, Podolsky et Rosen. Non sans polémique, ils défendent la réalité de l’intrication qui découle du formalisme quantique : on observe bien, lorsque deux particules – ou plus – sont placées dans un état intriqué, une corrélation forte (1.00 ou -1.00, soit une corrélation parfaite) entre certaines de leurs propriétés physiques, bien qu’elles puissent être séparées spatialement par de grande distance. Pour les physiciens quantiques, il en résulte qu’on ne peut pas considérer ces particules comme indépendantes, mais qu’il faut les considérer comme un système unique, global et inséparable. (Bricmont 2013  ; Greene 2005)

29 Il faut, pour cela, renvoyer le lecteur à la thèse de Dubois qui la décrit avec détail.

30Tout ancêtre prestigieux s’inscrit dans une trame narrative, accomplit différentes choses, entretient des relations

Le retour des configurations symboliques (identité ou lois) du passé d’un système tant physico-chimique que bio-psycho-sociologique […] [c]es « fantômes » du passé ne sont ni abstraits ni ésotériques; ils ont une réalité épigénétique qui se transmet de génération en génération. Les faits, aussi bien les bons que les mauvais, vécus par les personnes produisent des transformations biochimiques sur les spirales d’ADN. Ces transformations déterminent la vie de la descendance comme le fait le code génétique. […] Les lois, plus tendancielles que déterministes, qui régissent les phénomènes microscopiques et microsociologiques sont les mêmes qui régissent les phénomènes macrosociologiques et cosmiques. (Dubois)