• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 QUELLES THÉORIES DU DEVENIR PÈRE ET DE SON

2.2 RÔLES ET FONCTIONS DU PÈRE

À travers les époques, les transformations liées aux modes de vie des familles ont eu des effets importants sur le rôle du père québécois. À cette fin, Jean-Martin Deslauriers,

professeur de travail social à l’Université d’Ottawa, retrace les différentes constituantes du rôle du père à travers le temps, depuis l’époque coloniale. Lire et écrire sur la transformation du rôle paternel dans le temps m’apparaissait indispensable pour connaître les conditionnements, enjeux et influences passés, actuels et à venir.

À l’époque coloniale, le père était considéré comme un « maître de pensée, guide

moral ». Durant la période de l’industrialisation, il apportait le pain quotidien. Dans les années cinquante, s’ajoute aux deux rôles précédents, la « fonction d’agent de

socialisation ». Dans les années soixante, « l’autorité et la légitimité du père (...) sont

sérieusement ébranlées ». Dans les années soixante-dix, « l’avènement de contre-modèles

masculins et féminins poursuit l’éclatement du modèle d’homme ». À cette époque, « les

chercheurs s’interrogent sur la capacité des pères à s’engager et à supporter émotivement

leurs enfants et à prodiguer des soins quotidiens » (Deslauriers, 2002, p.151). Dans les années 1980, « la modification de la loi sur le divorce rend la procédure plus accessible en

y ajoutant la notion de “divorce sans faute”, c’est-à-dire qui reconnaît une incompatibilité entre deux individus comme raison valable d’une séparation » (Deslauriers, 2002, p.145). Depuis, le nombre de séparation n’a cessé d’augmenter. Les familles se réinventent et se reconstruisent. Beaucoup d’enfants vivent avec un seul des deux parents et, plus souvent qu’autrement, avec la mère : « le nombre de pères absents de la vie de leurs enfants a

atteint des niveaux importants » (Blanckenhorn, 1995, Quéniart, 1999, cité par Deslauriers, 2002). Toujours dans les années 1980, l’identité du rôle du père est ébranlée considérant qu’un « bon père, c’est une bonne mère » (Deslauriers, 2002, p.151). Pour être un père adéquat, il doit être en mesure d’imiter la mère. Il commence alors à jouer un rôle dans l’éducation des enfants. Les années 1990 sont marquées par le créneau de la diversité et de l’égalité entre les parents. Selon Deslauriers, « l’importance du rôle du père dans le

Aujourd’hui, fait remarquer Deslauriers, « une reconstruction accélérée et

contradictoire de la paternité » a lieu depuis la fin du 20e siècle (Deslauriers, 2002, p.156.). Selon lui, cette reconstruction est rapide et se fonde sur de nouvelles bases :

On demande au père de partir d’un rôle qui exigeait force, stabilité pour braver les éléments et du même coup, une certaine négation de l’aspect émotif de sa personne, pour aller vers un être sensible porté vers l’intérieur, l’intimité (Dulac, 1993, cité par Deslauriers, 2002, p. 156.).

Pour Mortelmans, le rôle du père reste ambigu et paradoxal. Bien que la paternité contemporaine se transforme, les nouveaux modèles côtoient les anciens :

L’image souvent avancée des nouveaux pères (Mortelmans 2007) révèle des

changements mais pas forcément un mouvement uniforme de modification de rôle pour l’homme en tant que principal pourvoyeur de revenus de la famille ou breadwinner. De nombreuses études montrent en effet que les hommes se définissent encore par rapport à leur activité professionnelle (Rosh White 1994) en même temps

qu’ils se détachent de plus en plus d’anciens modèles hérités de leurs parents. La paternité est alors une reconstruction avec le déplacement d’un rôle symbolique et institutionnel à une paternité de lien, où les nouveaux pères assimilent un rôle paradoxal et ambivalent principal reflet des ambiguïtés de l’identité moderne

(Castelain-Meunier 2007 ; cité par Mortelmans, 2008, p.85).

Aujourd’hui, selon Yvon Dallaire, psychologue québécois, la fonction paternelle se manifeste dans les cinq (5) secteurs que sont : la protection, l’éducation, l’initiation, la

séparation et la filiation (Dallaire, 2008, p.2). Selon lui, la protection dépasse le modèle de l’homme fort d’hier et amène le père d’aujourd’hui à assurer une « sécurité émotive pour

ses enfants et sa femme ». Sa présence « physique et psychologique » est importante. Pour Dallaire, le père a la fonction d’éduquer son enfant à « l’apprentissage du contrôle de

soi » et du renoncement à « la satisfaction immédiate de ses besoins et désirs ». Le père doit aussi s’éduquer à répondre à ses propres besoins et à la gestion de sa propre agressivité pour ensuite aider l’enfant à « canaliser » la sienne pour l’exprimer de manière constructive. L’initiation est la troisième fonction évoquée par Dallaire. Cela consiste à « humaniser l’enfant à la frustration et au manque afin de pouvoir l’intégrer dans le monde

adulte et le monde social » (Dallaire, 2008, p.2). Le père initie l’enfant aux règles sociales afin qu’il cesse de croire que « tout lui est dû » et que les « autres sont à son service ». Selon Dallaire, les initiations et rites de passage pratiqués anciennement par certaines tribus jouaient cette fonction. Le père aurait aussi la fonction de « séparation ». Selon lui, cette fonction est primordiale pour permettre la « survie et l’épanouissement de l’enfant », par conséquent, celui de la « femme qui existe dans la mère ». Séparer « l’enfant de la mère » et la « mère de l’enfant » évite la possibilité que chacun ne « perde son identité » dans la formation de ce qu’il appelle un « sainte trinité ». Finalement, la cinquième fonction consiste en la filiation. Cette filiation doit faire en sorte que « l’enfant sache qu’il a un père

et qui est ce père ». Un père qui a non seulement des racines familiales, qui s’inscrivent dans une histoire et portent des valeurs, croyances et traditions, mais aussi, un père qui l’aide à se « sentir relié à l’humanité » (Dallaire, 2008, p.2).

Toujours dans la visée de mieux saisir le rôle et la fonction du père d’aujourd’hui, le groupe de recherche ProsPère (présenté dans le chapitre précédent) expose les résultats de sa réflexion. Ainsi, le père d’aujourd’hui serait un père qui fait preuve d’engagement auprès de ses enfants et de sa famille. En ce sens, l’équipe ProsPère propose une définition de l’engagement paternel « non normative, qui reconnaît les différentes facettes de la paternité

et le fait que chacun est “ père à sa manière” »7. La définition est proposée comme suit :

L’engagement paternel s’exprime par une participation et une préoccupation continues du père biologique ou substitut à l’égard du bien-être physique, psychologique et social de son enfant (Ouellet, Turcotte et Desjardins, 2000).

L’engagement peut se manifester par l’une ou l’autre des dimensions suivantes : 1. Un père responsable : une prise en charge des tâches indirectes et des

responsabilités relatives à l’enfant (Ex. : trouver une garderie).

2. Un père affectueux : une disponibilité et un soutien affectif et cognitif.

3. Un père qui prend soin : une participation active aux différentes activités de soins physiques de l’enfant (Ex. : donner le bain…).

4. Un père en interaction : des interactions père/enfant significatives. 5. Un père pourvoyeur : une contribution au soutien financier et matériel. 6. Un père évocateur : des évocations spontanées qui révèlent l’importance de

la relation avec son enfant ou le plaisir qu’elle suscite chez lui.

7. Une septième dimension à l’étude, un père politique (Ex. : aller dans une manifestation de promotion de l’engagement paternel).

Cette définition a été élaborée par une équipe qui réalise, généralement, des recherche-action où les réalités de pères sont prises en compte.

En guise de conclusion, on a vu que la fonction du père a vécu maintes transformations à travers le temps. Malgré ces transformations, les modèles, rôles et fonctions d’hier côtoient ceux d’aujourd’hui. La fonction paternelle reste toujours en mouvement, trouvant ancrage pour certains, dans les valeurs et croyances sociales, et pour d’autres, se modelant aux valeurs externes et internes. La paternité pourrait-elle être vécue comme un véritable rite initiatique dans lequel l’homme viril (et parfois l’adolescent

jamais devenu homme) trouverait des conditions d’autonomisation, bases importantes pour son devenir et celui de son enfant.