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CHAPITRE 6 PERSPECTIVES DE RENOUVELLEMENT : OÙ EN SONT

6.3 AUTORITÉ ET AUTONOMISATION

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Mouvement d’écriture performative

L’autorité et la paternité ont longtemps fait équipe. Le père d’autrefois, de l’époque coloniale aux années soixante et soixante-dix, faisait régner la loi et l’ordre dans sa famille. On attendait de lui qu’il agisse comme « maître de pensée et guide moral » (Deslauriers, 2002, p.151)20. On dit de ce père qu’il était un homme de pouvoir, un homme qui avait de l’autorité, qui avait du pouvoir sur l’autre (Portelance, 2011, p.258).

Quand je suis devenu père, ma perception de l’autorité était grandement influencée par des croyances, des normes et des valeurs extérieures. Je vivais une paternité davantage basée sur l’intervention que sur l’accompagnement. Le ton et les mots employés ainsi que ma rigidité corporelle (gestuelle) me renseignaient d’une manière d’être et de faire. Je vivais une forme de paradoxe entre les influences transmises par les générations qui m’ont précédé, ce que je suis réellement et ce qui cherche à s’incarner. Je me suis rarement bien senti dans ces moments où mon corps se serre en étau et se met à trembler, où les mots exprimés sont empreints d’une charge émotive non-gérée, où le ton fait réagir l’autre négativement, où je vis de l’insatisfaction face à mes interventions, où je me sens comme un père médiocre. Après avoir vécu un véritable processus de transformation à travers cette maîtrise, je me sens davantage devenir un modèle d’autorité, un guide, un créateur qui « fait clairement respecter ses valeurs, (…) pose avec

fermeté les limites et les règles, dont le but est d’assurer le bien-être, l’évolution, le dépassement, l’autonomie et le bonheur de son enfant (…). Ses règles sont cohérentes parce qu’il incarne lui-

même ce qu’il demande » (Portelance, 2010, p.134). Il en va de même pour l’accompagnateur de pères que je deviens : je suis une autorité pour le groupe qui agit comme un initiateur, un guide, un créateur. Pour paraphraser Ardoino, l’autorité se rapproche davantage d’une démarche, d’un processus d’autorisation de devenir soi-même son propre co-auteur, de s’autonomiser (Ardoino, 2006, p.62).

20 Référence au chapitre 2, section 2,7.

S’autonomiser, c’est une quête perpétuelle de définition. Définir le sujet qui se crée à travers la conscience des changements qui l’habitent, qui l’appellent. C’est se rendre disponible à nos richesses intérieures. C’est remettre en mouvement ce qui dans notre vie est inerte. C’est transformer une contrainte subie en une action créative choisie. C’est un doux rêve de bonheur. Entrer dans un processus d’autonomisation, c’est se rendre disponible à la présence à soi pour être en mesure d’identifier à partir du mouvement créateur singulier qui nous habite, le projet à mettre en œuvre et les ressources extérieures nécessaires pour le faire.

Marquer les passages par le rituel pour donner sens et vitalité aux événements vécus en tant qu’homme devenu père. Le défi ultime, devenir père au quotidien, où que nous soyons et en toute lucidité. Le groupe de pères est un lieu créateur de rituels. Chaque rencontre pose les bases d’un rituel éminent. Tous les pères à un moment du groupe vivent un tournant, une forme de mort et renaissance. À ce sujet, pour reprendre les propos de Paul :

L’initiation concerne l’être dans sa totalité (corps, âme et esprit). Si elle constitue

symboliquement une “seconde naissance”, c'est-à-dire, le passage à une nouvelle

ontologie, à une autre manière d’être (Eliade, 1957, p.13), elle présuppose nécessairement

une mort initiatique : l’initiation comme ars morendi constitue une manière de mourir à

soi-même pour donner accès à une autre réalité (Paul, 2004, p173 ; cité par Noël, 2009, p.100).

À travers le groupe de pères, le projet d’autonomisation vise à mettre en action le père dans un lieu stagnant de sa vie pour qu’il puisse devenir un modèle vivant pour ses enfants, pour qu’il soit en mesure de s’autoaccompagner dans l’advenir. Ainsi, je porte une attention particulière à la mise en place de dispositifs d’accompagnement initiatiques qui mènent, comme le dit Paul, à une nouvelle ontologie.

Aller à la rencontre de l’autre. Rencontrer l’autre comme un miroir qui reflète la lueur d’une nouveauté. Être solidaire à soi pour vivre avec l’autre une solidarité plurielle et créative. Trouver l’autre et créer de la solidarité, un sentiment d’appartenir. Appartenir au masculin dans

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une communauté de libres penseurs, de libres créateurs. Appartenir à un groupe, au masculin, au cœur d’une communauté alternative où tout est possible. S’appartenir dans le creux de la présence où le silence règne.

Silence, appartenance à soi, à l’autre, au monde. Lieu de tous les possibles. Lieu de ressources et de potentialités. J’accède à mes potentiels quand je peux observer les pensées sans les juger, vivre la plénitude des silences, écouter ce mouvement qui donne l’élan. Choisir de vivre à partir d’une nouveauté vivante et créatrice participe au renouveau du monde. S’autonomiser dans un projet de définition des normes, d’une éducation basée sur la reconnaissance des besoins de créativité interne, procure le sentiment d’être vivant. Être vivant, c’est être acteur d’un monde qui a besoin de ce renouvellement. Devenir père, c’est accepter de ne rien savoir de son rôle, car nul rôle n’est à jouer. Parlons plutôt d’une performance théâtrale de l’être qui se remet constamment en jeu, en mouvement dans le présent. Une réflexivité qui agit dans l’instant.