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CHAPITRE 6 PERSPECTIVES DE RENOUVELLEMENT : OÙ EN SONT

6.2 PRÉSENCE

Présence : Nuage des mots extirpés du premier niveau d’interprétation

La conscience du moment présent créée non seulement une interruption dans le flot des pensées, mais également dans l’enchaînement entre le passé et le futur. Rien de véritablement nouveau et créatif ne peut advenir en ce monde, sauf par l’intermédiaire de ce décalage, de cet espace qui ouvre sur d’infinies possibilités.

Mouvement d’écriture performative

En quoi la notion de présence influence-t-elle le devenir père ? Comment devenir sans un état de présence à soi ? L’absence de soi mène à la soumission. Se soumettre aux normes, valeurs et croyances des autres et de ses environnements. À l’opposé, la présence favorise la création de son propre code. La pratique de l’attention au silence intérieur mène à un état de présence à soi. Elle est primordiale pour développer l’observateur, agir en congruence plutôt que réagir avec inconscience. C’est parce que je suis présent à ce qui vit en moi, à ce qui est, que je peux influencer mon devenir.

Lorsque j’en arrive à contacter ce lieu de présence à soi, je ressens une forme de chaleur envahir mon corps. Je suis en mesure de ressentir certaines parties du corps plus que d’autres. Je peux ressentir la peau qui m’englobe, parfois l’intérieur des os (moelle) qui servent de structure et, à maintes occasions des organes internes. Qu’ils soient en paix ou souffrants ce sont des repères de présence à soi. Quand le corps et l’esprit sont détendus et que le silence est, je me sens présent à soi, dans un lieu de renouvellement et de création. Comme si la présence à soi donnait accès au mouvement de vie. Une mise en mouvement d’un processus d’actualisation. Un vent de renouveau qui se frotte à l’habituel.

La présence à soi ne m’est pas donnée gratuitement. Elle demande une certaine discipline, une rigueur, un engagement face à soi. Devenir père, c’est choisir de s’engager à se créer des conditions pour être l’auteur de sa vie. Être engagé, s’est apprendre à se définir en relation avec la présence à soi, la présence à l’autre et la présence au monde. Cette présence me donne à vivre des relations authentiques, réciproques et actualisantes avec l’autre et le monde. C’est cette présence qui fait naître de nouvelles manières de percevoir le monde. Je perçois le monde d’un œil nouveau. Je suis davantage conscient des normes, valeurs et croyances qui m’habitent. J’avance dans la communauté en veillant à rester conscient de celles-ci pour ne pas me perdre dans celles des autres et celles du monde.

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La présence à soi, c’est l’ingrédient qui m’aide à lâcher prise sur mes attentes et exigences intentionnelles. Je n’attends rien de l’autre et du monde. Je suis davantage accueillant de l’autre. La perfection réside dans la capacité à vivre dans l’inconnu. Pour paraphraser François Roustang (2006), il n’y a rien de plus certain que l’incertitude. Se laisser aller dans l’inconnu de ce qui nous attend. Ne rien attendre de la vie. Laisser la vie faire son chemin à travers soi. S’éduquer à la présence à soi, c’est accepter l’immuabilité des choses et des êtres. Accueillir le vertige de ne pas savoir de quoi sont constitués les événements à venir. Être père aujourd’hui, c’est accepter d’être une identité mouvante qui trouve la sécurité de grandir dans sa capacité de contacter le mouvement créateur, siège de la confiance, qui réside dans la présence à soi.

La présence m’apparaît alors comme un chemin d’engagement vers cette paternité active. Être père pour soi en allant à la rencontre de sa solitude. Un endroit de solitude initiatique et formateur par la découverte de ses ressources internes. Corneau l’amène ainsi :

Une solitude initiatrice tel que le conçoit Corneau : la solitude peut être formatrice, car l’individu peut y découvrir qu’il possède des ressources sur lesquelles il ne pensait pas pouvoir compter. La solitude est initiatrice en ce qu’elle oblige l’individu à affronter et à surmonter sa propre misère (Corneau, 1989, p. 151).

Un lieu en soi qui écoute l’intimité corporelle. Une présence engagée qui dissout les pensées habituelles pour accéder à un lieu de connaissance et reconnaissance de soi dans une confiance immuable. Un espace où l’identité prend forme car elle « sent qu’elle peut être neuve parce

qu’elle sent qu’elle ne disparaît pas » (Hillion, 2015). Un lieu où le mouvement de la vie croissante et actualisante se frotte aux résistances générées par l’habituel. Ici, la performativité prend pour moi tout son sens.

Dans de son ouvrage doctoral, Genest Dufault introduit la performativité pour situer le paradigme dans lequel la masculinité se retrouve aujourd’hui, en cette période de postmodernité.

La masculinité en tant que pratique est assujettie à la manière dont les sujets la performent. (…) Par exemple, ce n’est pas la manière dont le genre influence le sujet qui

importe mais plutôt l’inverse, c’est par ce processus de performativité que se construit l’identité. La performativité est comprise comme une performance théâtrale, où le sujet se remet en scène de manière constante. Buttler avance que “l’attente fait advenir son objet” (Genest Dufaut, 2013 p. 41).

L’exploration des pratiques de pères faites dans cette recherche montre aussi que la paternité n’est plus un statut, une donnée, mais un processus à actualiser. D’où l’importance d’accompagner des sujets dans une démarche qui offre un espace d’éducation à l’attention au silence et à la présence à soi, sans oublier les instants de réflexion sur leurs expériences à partir de moments où l’intelligence pratique porte en elle la trace d’un savoir unique à conscientiser, à partager, à renouveler.