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Pour des raisons politiques et historiques que décrit notamment Thierry Lévy dans l’Éloge de la barbarie judiciaire128, l’« adversarité » propre au système judiciaire « est loin d’opérer à armes égales : elle laisse souvent sans voix et sans moyens l’adversaire, le suspect, le prévenu, le condamné, sous les diverses appellations qu’on peut lui donner selon les étapes de la procédure à laquelle il est soumis ». On peut comprendre qu’advenant même qu’on laisse une place privilégiée au contrevenant au

127 Guy Bourgeault, « L’innovation sociale et ses implications. Considérations éthiques » dans Le

développement social au rythme de l’innovation. Actes de colloque, colloque dans le cadre du 69e

Congrès de l’ACFAS, présenté à l’Université de Sherbrooke, le 16 mai 2001, Sherbrooke, Presse de l’Université du Québec, 2004, à la p 7.

50 sein des programmes sociaux, l’autorité particulière qu’incarne le système judiciaire constitue un déséquilibre intrinsèque dans son rapport à l’autre. Néanmoins, au fil du temps, les cours de justice ont fait certains constats qui ont, en partie, modifié le rôle et la place qu’occupe le contrevenant129 : certains accusés et certaines victimes avaient besoin d’un soutien particulier; les peines étaient mal adaptées aux capacités physiques ou psychologiques de certains contrevenants et l’approche traditionnelle (accusation – procès – condamnation) ne réglait pas toujours la problématique ayant entraîné la commission du délit. Toute la question, pour le SJP, est alors de savoir comment mieux servir les intérêts de la justice en favorisant la réinsertion sociale du contrevenant et en répondant mieux à ses besoins.

En ce qui nous concerne, la question est celle de savoir si la place qui leur est faite va transformer les approches afflictives de la peine et le cadre cognitif mis en place par la RPM130. Dit autrement, va-t-on tenter d’intégrer la santé et le bien-être de l’accusé tout en conservant une « psychologie de la société punitive »131? Que l’on considère que les besoins et les particularités de chaque contrevenant ont toujours eu et continuent d’avoir un impact réel sur le fonctionnement du droit pénal n’est pas ce qui nous importe. Ce qu’il nous faut plutôt comprendre, c’est si les actuels changements qui s’opèrent dans les discours entourant les contrevenants, et leur place dans les programmes sociaux, constituent une nouveauté. L’aboutissement d’une redéfinition du rôle de la justice pénale et d’une requalification du contrevenant à travers les objectifs de l’intervention du tribunal a des conséquences sur notre

129 Ombudsman de Montréal, « Programmes sociaux à la Cour municipale… De quoi s’agit-il? » (3

décembre 2015), en ligne : <https://ombudsmandemontreal.com/programmes-sociaux-a-la-cour- municipale-de-quoi-sagit-il/4333>.

130 Qui a notamment polarisé le fonctionnement binaire victime/accusé. L’accusé ne pouvant être à la

fois responsable d’un délit et une victime (victime de son état de santé mentale, de ses dépendances, de son environnement sociale criminogène,etc.

131 George Mead, «The psychology of punitive justice » (1918) 23:5 The American journal of

51 manière d’appréhender le droit et ses potentialités. Certains voient ces changements de manière positive où l’expression des besoins des contrevenants dans le processus de traitement d’un délit fait en sorte que la peine sera plus efficace, que la dignité de l’accusé sera renforcée et que la justice sera mieux servie par une intervention visant à maximiser la réinsertion sociale du contrevenant. La prise en compte de ses besoins particuliers dans le processus pénal n’est toutefois pas, en soi, la cause d’une innovation dans le domaine des peines. En fait, ce qui s’avère préoccupant, c’est :

« […] l'absence de concurrence sur le plan de l'offre de sens proposée par le système de droit [pénal]. L'offre de sens proposée, c'est-à-dire la manière de valoriser les [besoins des contrevenants] est profondément imprégnée de la rationalité mise en œuvre par les théories modernes de la peine (dissuasion, rétribution, dénonciation, etc.). […] Ce n'est donc pas la quête de [reconnaissance des besoins du contrevenant] qui pose en soi un problème, c'est l'idée qu'une véritable et sincère reconnaissance ne puisse se faire, sans véritable concurrence sur le plan de l'offre de sens proposée, qu'à travers les structures cognitives d'une institution particulièrement hostile et concrètement peu concernée par la préservation ou la reconstruction des liens sociaux132 ».

La question demeure donc, pour nous, de savoir comment le système gère ce paradoxe entre la place privilégiée qu’il propose aux processus plus concernés par la réinsertion sociale du contrevenant que par sa souffrance et son rôle historiquement tourné vers la peine afflictive. A-t-il mis en place des stratégies qui lui permettent de participer à l’émergence d’une nouvelle « offre de sens » et à la mise en place d’idées novatrices capables de concurrencer les traditions de la RPM en matière de sanction ? Le mandat de la CMM, au sein des programmes sociaux, s’est peut-être transformé

52 autour d’une nouvelle manière de concevoir le contrevenant, son délit et le processus par lequel elle lui offre une « réponse pénale ».

2.5 Les perspectives de recherche qui observent le rapport entre réformes et