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L’intégration de communications extérieures au sein du SJP peut-être problématique lorsque l’articulation entre le système et son environnement se fait dans le cadre « d’un droit pénal [qui] n'a transformé substantiellement ni sa structure normative, ni sa rationalité »282. C’est dans un tel contexte que les opinions des acteurs sociaux peuvent créer des effets contradictoires et paradoxaux qui s’accordent mal avec les objectifs punitifs du SJP. Commençons par rappeler que la théorie des systèmes soutient qu’un système, comme le SJP, a une identité et qu’il se définit notamment à travers des autoportraits qui le distinguent des autres systèmes sociaux. Autrement dit :

« [p]our contrôler sa propre sélectivité et ses frontières face à l'environnement, le système autoréférentiel doit utiliser sa propre identité, il doit se percevoir lui-même comme système. En maniant sa propre identité, le système constitue sa différence face à l'environnement, et maintient son autonomie »283.

Le système construit cet autoportrait de manière réflexive, comme résultat de ses propres activités. La vision identitaire du système s’est construite autour de la RPM et des théories de la peine dominantes (dissuasion, dénonciation et rétribution) qui

282 Pires, supra note 7, à la p 200. 283 Amado, supra note 81, aux pp 26-27.

111 privilégient l’affliction. Ces grands principes forment un corpus d’idées dont le système peut difficilement s’écarter et qui limite ses finalités. Sans ces théories de la peine qui le composent, le SJP se sent menacé par rapport à sa différenciation avec son environnement. Cette clôture cognitive permet au SJP de se replier sur lui-même et de sélectionner les éléments ou les possibilités connus qui viennent cristalliser son identité et son fonctionnement. Ces auto-descriptions se trouvent alors comme figées dans le temps. Conséquemment, l’identité du système, qui est indissociable de ses auto-descriptions, emprunte également la voie de l’immuabilité. Le SJP structure alors cognitivement ses opérations, sélectionne et oriente ses communications et définit ses frontières à partir de ses auto-descriptions fondatrices. Ainsi, ce que nous retenons c’est que les théories de la peine sont au fondement de l’identité du système qui les utilise non seulement comme des outils théoriquement utiles à ses activités, mais plus encore comme fondement de son identité. Autrement dit, les théories de la peine contiennent les idées dominantes du SJP.

L’identité du SJP étant ce qu’en disent les théories de la peine, on perd, au moins en partie, la possibilité d’auto-descriptions qui puissent être différentes de celles-ci284. La RPM permet au SJP de se différencier non seulement avec son environnement, mais également comme sous-système à l’intérieur du système juridique. Autrement dit, la condamnation par l’imposition d’une peine afflictive permet au système de se définir et de se circonscrire dans le système juridique comme sous-système pénal. Cette fusion entre identités du SJP et la RPM à comme conséquence de rendre moins facile les autoréférences autrement qu’à travers les théories dominantes de la peine. Autrement dit :

284 Voir l’exemple avec le système politique : Niklas Luhmann, Political theory in the Welfare State,

112 « la possibilité même de s'orienter autrement sur le plan

opérationnel et d'instituer pour y arriver d'autres «théories de la réflexion» sonne l'alarme identitaire dans le système: il conclut directement sur le risque de dédifférenciation et se réfugie en se repliant sur les auto-descriptions dont lui paraît dépendre sa distinction identitaire système/environnement »285.

Dans le contexte des programmes sociaux, par exemple, le fait de traiter un délit d’une manière à laisser davantage de place à une prise en charge en marge d’une condamnation punitive se heurte aux filtres cognitifs qu’imposent les théories de la peine et pousse le système à appréhender le délit comme un calcul de risque :

« Sans nécessairement mobiliser tous les acteurs [d’un programme] pour un premier délit mineur, il faut éviter de banaliser les délits […] Cette attitude pourrait induire une augmentation du nombre et de la gravité des actes illégaux posés par ces personnes »286.

Lorsque le SJP qualifie les programmes de « mode d'adaptabilité du tribunal et du système de justice»287, ce qu’il cherche notamment c’est à ne pas s’écarter de sa culture juridique. C’est dans ce sens que l’on peut se rallier au concept emprunter à Luhmann et qualifier l’attachement aux théories de la peine dominantes comme des « formulae for redundancy »288 constituant des obstacles cognitifs à l’évolution du SJP.

Cela étant, il ne faudrait pas oublier qu’en réalité, la différenciation du SJP avec son environnement ne dépend pas seulement de ses auto-descriptions, mais aussi du jeu entre sa clôture opérationnelle et son ouverture cognitive. Le SJP peut évoluer et se

285 Garcia, supra note 89, à la p 357.

286 Programme d’accompagnement justice-santé mentale, supra note 225 287 Ibid.

113 transformer en se laissant irriter par son environnement. Il peut abandonner certaines auto-descriptions ou en substituer de nouvelles, en l’occurrence plus positives et respectueuses des droits de la personne. Au sein des programmes sociaux, par exemple, la réhabilitation sociale n’est pas assurée, mais les alternatives qu’ils proposent ont « au moins le mérite d'une approche plus humaine dans le processus judiciaire »289. En ce sens, identité et auto-description sont deux concepts que l’on peut facilement confondre (le système le fait d’ailleurs), mais on peut aussi les envisager comme distincts.

Les programmes sociaux sont, en l’occurrence, un exemple intéressant de la manière dont le système peut modifier ou limiter sa propre rationalité contraignante sans pour autant qu’il ne perde son identité. À l’heure actuelle, le SJP n’a pas encore tiré plus largement profit des nouvelles idées qu’il a mises en place au sein des programmes sociaux de la CCM. Il continue davantage à se voir et se penser en référence au cadre de la RPM. Mais, il semble considérer comme moins étranges les possibilités de mobiliser des idées et des théories lui permettant de s’auto-définir de manière plus positive. Retenons, par ailleurs, que les obstacles aux réformes et à l’innovation du SJP lui sont attribuables; « c'est bel et bien le système lui-même qui s'autolimite; elle n'est pas le fait d'une quelconque obligation naturelle qui lui échapperait »290. Ainsi, le SJP a le pouvoir de renouveler ses idées et de faire évoluer ses structures cognitives vers des formes plus proches des alternatives proposées par les acteurs sociaux, à travers la sélection et la stabilisation de structures d’accueil essentielles à la rétention des changements que les innovations supposent.

289 Programme d’accompagnement justice-santé mentale, supra note 225. 290 Garcia, supra note 89, à la p 358.

114 Les programmes sociaux pourraient ainsi favoriser l’émergence de nouvelles pratiques pouvant donner lieu à une culture juridique plus favorable aux idées s’éloignant du cadre de la RPM. Pour pousser plus loin cette possibilité, la prochaine section a comme objectif de réfléchir à ce qui peut favoriser ou inhiber les réponses pouvant concurrencer le RPM, dont dispose désormais le SJP à travers les programmes sociaux.