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Conclusion : Méthodologie

I. 1970-78 LE TEMPS DES PIONNIERS.

I.1. Le milieu de l’informatique de gestion.

I.1.2. Le rôle de l’Etat.

Considérant l’évolution de cette technique et le potentiel de modernisation de l’économie qu’elle représente, l’Etat intervient avec force dans ce secteur d’activité. L’objet ici n’est pas de retracer les politiques de l’Etat français dans le domaine informatique75 mais de comprendre comment

l’intervention de l’Etat conditionne l’usage des ensembles électroniques de gestion, comment elle influence les utilisateurs. Le propos s’organise en quatre temps. Sera d’abord évoqué le climat dans lequel se met en place l’intervention de l’Etat pour saisir comment les nouvelles institutions ont pu être perçues par les utilisateurs. Suivent les politiques de l’Etat qui impactent directement les grands utilisateurs avec notamment l’effort de constitution d’un système industriel du traitement de l’information, la promotion de l’usage de l’informatique de gestion et le développement de la formation informatique et de la recherche.

I.1.2.1. Le climat du Plan calcul

L’évolution du discours des institutions en charge du plan Calcul a été évoquée au travers des dossiers parus dans le Monde Diplomatique pour justifier les bornes de la recherche (paragraphe I.3.1.1.3). J’y reviens pour montrer l’évolution des représentations au cours du temps.

I.1.2.1.1. Une équipe néophyte en quête d’indépendance nationale

L’intérêt de l’Etat pour l’informatique est antérieur au Plan calcul comme le montre la création de la COPEP dès 1961 et des actions concertées de la DGRST à partir de 1962. La loi du 30 novembre 1965 d’approbation du Plan de Développement Economique et Social (Vème plan, 1966-70) explique le lien qu’opère le Plan entre technique de traitement de l’information et développement du pays :

« L’avènement des équipements électroniques pour la direction et la gestion des entreprises publiques et privées, leur utilisation pour toutes les formes de la recherche scientifique et technique, aussi bien que leur mise en œuvre dans des applications industrielles et militaires, ont ouvert des possibilités immenses de perfectionnement, de souplesse, d’efficacité et d’économie. A tel point que la maîtrise de ces équipements organisés en réseaux sur l’ensemble d’un pays peut être désormais considérée comme une des clés du développement de ce pays dans toutes ses activités. »76

75 Pour une approche complète, se référer à Mounier-Kuhn (1991, 1994, 2010b, Grossetti and Mounier-Kuhn 1995),

Beltran et Griset (2007, 2006)

Le paragraphe expose l’incidence de la technique électronique sur l’amélioration des performances en évoquant d’abord son application aux entreprises et administrations pour la gestion et la direction, avant d’élargir aux autres domaines (scientifiques, industriels ou militaires). Il en déduit que la « maîtrise » de cette technique est une condition du développement du pays : la tournure de phrase indique plus une dimension d’usage (« équipements organisés en réseaux ») qu’une dimension industrielle.

Lorsque cette conception se concrétise en plan d’action en juillet 1966, le glissement est sensible. Il est particulièrement patent dans un document un peu plus tardif, la convention du 13 avril 1967 qui règle les relations entre l’Etat et les industriels concernant la CII. Le préambule rappelle la conception de l’informatique exposée dans la loi d’approbation du Vème Plan citée ci-dessus et en induit :

« Il en résulte pour la France la nécessité absolue d’avoir dans un délai rapproché une industrie nationale du calcul, si elle veut demeurer maîtresse de son destin. »77

La maîtrise de la technique, plutôt centrée sur l’usage en décembre 1965, est pensée comme résultant de la construction de calculateurs à partir de juillet 1966. Le Plan Calcul vise « à constituer une industrie informatique garantissant l’indépendance française vis-à-vis des constructeurs américains » (Mounier-Kuhn 1994, page 123). Cette volonté de protéger l’industrie informatique nationale n’est pas une exception française. Le Royaume-Uni et l’Allemagne se lancent dans des politiques similaires à l’époque (Owen 2003). Le Plan Calcul se focalise à ses débuts sur les idées de construction d’équipements et d’indépendance nationale. Dès octobre 1966, un Délégué à l’informatique rattaché directement au Premier ministre est responsable de mettre en œuvre le plan78. Relèvent de ses fonctions :

− la proposition d’une « politique générale de l’informatique » (article 1),

− l’élaboration d’un plan pour « développer une industrie du traitement de l’information en France » (article 2) et la responsabilité de sa mise en œuvre (article 3),

− la liaison avec les organismes susceptibles de concourir au développement en France de l’industrie de l’informatique (article 4),

− et le développement de la recherche et de la formation (article 5).

Le tandem qui prend en charge cette mission n’a aucune expérience de l’informatique :

77 Trois premiers paragraphes de la convention du 13 avril 1967, document disponible en ligne le 21/3/2014 à

http://www.feb-patrimoine.com/projet/histoire_informatique/convention_plan_calcul_13apr67.htm (site de la Fédération des Equipes Bull qui s’est donné pour mission de sauvegarder et mettre en valeur le patrimoine historique et culturel de Bull).

« La délégation manifeste cependant, au moins à ses débuts, une certaine indifférence à l’égard des aspects techniques de l’informatique, qui conditionnent la stratégie à mettre en œuvre. Robert Galley, pas plus que son adjoint et successeur Maurice Allègre79, ne connaît d’expérience l’informatique, ses technologies, ses

marchés. Il a dirigé la construction de l’usine de séparation isotopique de Pierrelatte, l’une des pièces maîtresses de la force de frappe – le type de programme où l’on raisonne en termes d’investissements, non de rentabilité ou de marketing. Cette logique semble parfois inspirer la conception du Plan Calcul. » (Mounier- Kuhn 1994, page 126)

L’équipe qui rejoint la délégation est jeune et isolée. Pierre Audoin80, fonctionnaire qui participe

au Plan Calcul de sa genèse au Plan jusqu’à la suppression de la Délégation à l’informatique fin 1974, explique quinze ans après les faits, l’hostilité des ministères (Finances, PTT, Industrie et dans une moindre mesure Recherche et Armées) contre ce nouvel organisme interministériel puis souligne :

« On constate donc que loin de pouvoir s'appuyer sur un lobbying puissant (comme le pétrole, le nucléaire ou le spatial), le plan calcul n'avait pour le soutenir que la conviction d'une petite minorité d'hommes, essentiellement composée de jeunes fonctionnaires et une décision arrachée de haute lutte le 19 Juillet 1966 au plus haut niveau de l'État ». Pierre Audoin, Colloque « Les grandes décisions de politique industrielle 1950- 1980 », mai 1980, cité par (Brulé 1993, page 114)

Jean-Pierre Brulé81, dans son ouvrage à charge de 1993 « L’informatique malade de l’Etat : du

plan Calcul à Bull nationalisée, un fiasco de 40 milliards », décrit, dans son langage direct et volontiers polémique, l’équipe qui prend en charge le Plan Calcul au départ comme constituée de fonctionnaires inexpérimentés et arrogants, imbus d’indépendance nationale:

« Primo, les initiateurs en sont toujours des fonctionnaires - jamais des entrepreneurs privés. Secundo, ces fonctionnaires pensent en terme d'indépendance nationale - plutôt que de viabilité économique. Enfin, leur modèle d'intervention publique est le contrat d'études, généralement utilisé pour les armements. » (Brulé 1993, page 95)

« Au départ, la Délégation rassemble un petit groupe de fonctionnaires de divers corps, mais, notons-le, aucun informaticien professionnel, personne ayant travaillé chez un constructeur ou écrit soi-même un quelconque programme d'utilisation. Choix surprenant pour qui ignore la suffisance des grands corps de l'État. Choix décisif pour les orientations technico-économiques qui vont venir. » (Brulé 1993, page 99)82

79 Robert Galley occupe le poste du 6 octobre 1966 jusqu’à sa nomination comme ministre de l’Equipement et du

Logement en mai 1968. Il est remplacé par Maurice Allègre, officiellement nommé en septembre 1968. La fonction est supprimée le 16 octobre 1974 (décret 74-860, JORF du 17 octobre 1974, page 10660).

80 Pierre Audoin est au Commissariat général du Plan à partir de 1964 et jusqu’à son transfert comme secrétaire

général puis délégué-adjoint de la Délégation à l’informatique de sa création en octobre 1966 à sa suppression fin 1974.

81 Jean-Pierre Brulé, polytechnicien (X50), travaille pour IBM de 1955 à 1967 puis entre chez Bull à cette date. Il est

révoqué de son poste de président en 1981. En 1986, il est responsable d’une mission, confiée par la première cohabitation, d’évaluation de l’intervention de l’Etat dans l’informatique.

Retenons de ces témoignages et analyses rétrospectifs, que la Délégation à l’informatique cherche avant tout dans les premiers temps à créer un champion national de la construction d’ordinateurs, sans avoir d’expérience de la technique, ni de réelle préoccupation de comprendre le monde de l’informatique existant, notamment dans ses usages, en particulier gestionnaires. Ce que confirme le propos d’époque de Gérard Bauvin, alors Directeur général de Cegos-Informatique, le 20 octobre 1970 :

« Cette désaffection vis-à-vis de l’informatique « de tous les jours » s’est également traduite au niveau des pouvoirs publics, qui ont créé le Plan Calcul, au départ, pour réaliser de grosses machines scientifiques (nécessaires au CEA pour ses calculs, mais impossibles à recevoir des Etats-Unis en raison de l’embargo). Si cet objectif n’est pas encore atteint, très longtemps l’effort du Plan Calcul s’est polarisé vers des techniques nobles (software de base, analyse numérique, recherche...) et ce n’est que depuis deux ans environ que l’importance de l’informatique de gestion est reconnue ainsi que le souligne M. Allègre dans la préface de ce livre. » (Bauvin 1971, page 26)

Comme le souligne Gérard Bauvin, l’ouverture aux préoccupations gestionnaires ne se produit que vers 1968, deux ans après le lancement du Plan. Les relations entre utilisateurs et Délégation à l’informatique s’établissent entre des fonctionnaires en charge d’un Plan et des administrés, sans terreau de connaissances ou d’expériences communes entre acteurs.

I.1.2.1.2. L’informatique pour combler le management gap

J’ai souligné dans la définition des bornes de ce travail le glissement de l’idéologie qui porte le plan Calcul, d’un objectif d’indépendance nationale, à celui de modernisation des entreprises et administrations. Comment s’est opéré ce changement de perspective ?

Lors de l’élaboration du Plan calcul en 1966, l’attention est focalisée sur un fossé technique, le technological gap, qui existe entre la France et les Etats-Unis, notamment dans les travaux de Pierre Cognard, chef du service du plan à la DGRST. Une explication à ce fossé technique se développe progressivement, notamment par des américains. Dans le dossier du Monde Diplomatique de février 1967, Ivan L. Bennett Jr, directeur-adjoint du bureau Science et Technique de la Maison Blanche cherche dans sa contribution à « démystifier l’écart » et invite à s’interroger sur « l’aptitude d’une nation à utiliser efficacement et judicieusement le potentiel dont elle dispose en matière de développement scientifique et technologique à des fins de croissance économique ou au service d’autres objectifs nationaux ». Pour lui, « la croissance économique dépend de l’application du savoir, non de sa création »83. L’origine du retard européen ne proviendrait pas

83 « L’écart entre les Etats-Unis et l’Europe Occidentale est un fait réel qu’il importe avant tout de spécifier », Ivan L.

Bennet Jr, dossier « L’informatique donnera un nouveau visage à la France », Le Monde Informatique, février 1967, page 5

d’une déficience de la recherche, mais d’une mauvaise application dans l’appareil productif des connaissances générées. Quelques mois plus tard, le fossé technologique, technological gap, est expliqué par un « management gap », un fossé dans les compétences gestionnaires. Ce point de vue est porté par Jean-Jacques Servan-Schreiber, dans son ouvrage Le défi américain publié fin 1967. L’auteur s’appuie sur des propos qu’aurait prononcé Robert Mc Namara84 sur le fossé entre vieux

continent et nouveau monde :

« Les Européens appelle ce fossé, depuis quelque temps, le ‘technological gap’. Leurs craintes et leurs critiques consistent à dire que nous sommes en train de prendre une telle avance dans le développement industriel, par rapport à eux, que nous créons une nouvelle sorte de colonialisme qui est le colonialisme technologique. [...] C’est le problème majeur de notre temps ; mais le mot même de technological gap n’est pas tout à fait exact. Il ne s’agit pas tellement d’un gap technologique que d’un gap de management, c’est à dire de gestion. Et si tant de savants européens émigrent vers les Etats-Unis, ce n’est pas essentiellement parce que nous avons une technologie plus avancée, mais c’est surtout parce que nous avons des méthodes plus modernes et plus efficaces de travail en équipe – de management. » (Robert McNamara, cité par Servan-Schreiber 1967, page 116, italique dans le texte d'origine)

Jean-Jacques Servan-Schreiber reprend à de multiples reprises cet argument. Voici quelques exemples de son discours dans Le défi américain :

« [...] la guerre, car c’en est une, ne nous est pas livrée à coups de dollars, de pétrole, de tonnes d’acier, ni même de machines modernes, mais à coups d’imagination créatrice, et de talent d’organisation. » (p 29) « Ce qui menace de nous écraser n’est pas un torrent de richesses, mais une intelligence supérieure de l’emploi des compétences. » (page 61)

« en définitive, ce technological gap, ce management gap, ne peuvent être attaqués qu’à leurs racines : l’éducation. » (page 119)

Le fossé qui se creuse avec les Etats-Unis s’explique par la plus grande efficacité des méthodes de gestion modernes mobilisées outre-Atlantique. Jean-Jacques Servan-Schreiber fonde de grandes espérances, quoiqu’un peu floues, sur l’usage de l’ordinateur pour remédier à l’écart :

« Après la première révolution qui, au XIXème siècle, a remplacé la force physique par celle des machines (les moteurs) ; nous assistons maintenant à la deuxième révolution industrielle qui permet de remplacer chaque année un nombre croissant de tâches du cerveau humain par le travail de nouvelles machines (les ordinateurs). » (page 43)

Le défi américain est un grand succès de librairie, qui obtient un large écho en France en 1967 et 1968. Ce propos trouve une résonance dans les travaux de l’OCDE. Cette institution, lors de sa

84 Ces propos auraient été tenus selon Servan-Schreiber lors d’un séminaire à Jackson (Mississippi). On retrouve la

même référence dans Priouret, R. (1968), La France et le management, Denoël. Hommes et techniques, Paris. 411 pages. La conférence s’est tenue le 24 février 1967.

troisième conférence ministérielle sur les « Ecarts technologiques entre les pays membres » des 11 et 12 mars 1968, lie aussi technological gap et management gap85 :

« In this sense, it appears somewhat questionable to oppose the two concepts of a ‘technological gap’ and a ‘managerial gap’. The essence of the problem is the need to integrate technological capability with management decision-taking, in relation to competition in the market. » page 2586

L’idée selon laquelle les méthodes de gestion françaises doivent être modernisées en intégrant les bonnes pratiques de management américaines n’est pas nouvelle. Elle réactive un état d’esprit prégnant au lendemain de la seconde guerre mondiale. J’y reviendrai.

On peut pour le moins estimer que le rapport du Conseil économique et social publié en décembre 1967 tombe à point nommé, puisqu’il explique comment l’informatique peut moderniser la gestion. On ne peut, selon moi, établir de filiation directe entre Le défi américain et Le pari informatique. Si ils participent d’un même état d’esprit en abordant tous deux les thèmes de modernisation de la gestion et de l’informatique, les champs sémantiques et les approches sont radicalement différents. Cette concordance temporelle entre un discours sur la nécessité de rénover la gestion du vieux continent et la disponibilité d’une technique qui peut y concourir a peut-être amené la Délégation à l’informatique à se pencher sur l’informatique de gestion, dont la pertinence en la matière était soulignée par le Plan fin 1965. Dans la préface de L’informatique de gestion de Gérard Bauvin (1968), Maurice Allègre, Délégué à l’informatique, mobilise l’expression « management gap » et la lie à la diffusion de l’informatique de gestion :

« Il est bien connu que les entreprises de notre vieille Europe sont moins bien gérées que leurs concurrentes du Nouveau Monde. Le ‘Management Gap’ est, hélas, une réalité. Si les entreprises et les administrations européennes ne passent pas correctement à ce qu’il n’est pas abusif d’appeler l’ ‘ère de l’informatique’, il n’est pas douteux que le fossé se creusera encore et deviendra alors infranchissable à tout jamais. » (Préface de Maurice Allègre, Bauvin 1968, page 9)87

Après avoir explicité le contexte du glissement de l’orientation générale de la politique informatique, j’en viens aux mises en œuvre de cette politique et à son impact sur les grands utilisateurs, en reprenant tour à tour les différentes missions confiées au Délégué à l’informatique.

85 « Gaps in Technology. General report », Report prepared for discussions by the participants to the third ministerial

meeting on science of OECD countries (11th and 12th march 1968), octobre 1968, Paris, OECD, 41 pages

86 Les paragraphes 129 à 131 détaillent en page 36 les raisons pour lesquelles les différentes méthodes de gestion

américaines (marketing, planification...) favorisent plus l’innovation technique.

87 Le texte de Maurice Allègre cité est utilisé comme préface dans Bauvin (1968) et Bauvin (1971). Maurice Allègre

I.1.2.2. Le développement d’une industrie du traitement de l’information en France.

La première mission du Délégué est la constitution d’une industrie du traitement de l’information. L’objectif est de créer « un secteur industriel maîtrisant les points clés du développement des systèmes informatiques » (Audoin 1988, page 17), dans ses dimensions matérielles (calculateurs, composants électroniques, périphériques et terminaux) ou immatérielles (programmes et sociétés de service et conseil en informatique). J’évoque ici la politique qui vise à développer un constructeur national de calculateurs électroniques, parce qu’elle a un impact significatif et direct sur l’usage de l’informatique pour la gestion des entreprises88. Les aspects

concernant le software sont traités plus loin avec l’émergence des sociétés de service et de conseil informatique.

I.1.2.2.1. Par convention, l’Etat assure des débouchés à la CII naissante.

La CII est créée le 6 décembre 1966 pour devenir le champion national de la construction d’ordinateurs. « Pour ce faire, un nouveau type de relations entre l’Etat et l’industrie privée fut mis en place, à la fois souple et directif, afin de conserver le dynamisme indispensable sur ce marché évolutif, tout en restant dans le cadres des objectifs généraux fixés par le programme » (Audoin 1988, page 17). Ces relations sont établies par la convention signée le 13 avril 1967 entre l’Etat et les industriels pour la période 1967-71.

L’Etat s’engage à apporter son aide pendant le démarrage de l’entreprise « sous une triple forme : aide technique, aide financière, facilités de débouchés »89. Concernant la troisième forme, la

convention précise :

« l'État, qui contrôle une part importante du marché français, doit assurer à cette industrie, fragile et exposée à une concurrence brutale et étendue, un développement prioritaire sur une longue période en facilitant le débouché de ses produits. »90

Il ne fait aucun doute que l’administration constitue un marché captif pour la CII. Mais les grands utilisateurs en gestion du début des années 1970 ont des liens souvent étroits avec l’Etat, soit parce que l’Etat les contrôle (EDF-GDF, SNCF, RATP, Air France, nombreuses banques, Renault...), soit parce que l’Etat est un client important, soit parce que leur taille a suscité des relations avec les pouvoirs publics (Peugeot, Saint-Gobain, Péchiney-Ugine-Kuhlmann...)... Les pressions politiques incitent à la préférence nationale dans le domaine.

88 Pour une compréhension des autres pans industriels du Plan calcul (1966-75), se référer à Mounier-Kuhn (1994) 89 L’insistance est ajoutée.

90 document non paginé, disponible en ligne le 21/3/2014 :

Encore faut-il que la CII puisse fournir un ordinateur qui réponde aux besoins de l’acheteur91.

Les obligations de la CII en terme de gamme de produits sont spécifiées dans la convention 1967-1971:

« L'Entreprise devra lancer tout d'abord un programme limité dans ses ambitions, la gamme des ordinateurs développés dans une première étape ne pouvant couvrir la totalité du marché.

En particulier, elle ne pourra s'engager au départ dans le marché des petits ordinateurs de bureau ou de gestion qui nécessitent, pour autoriser une fabrication en grande série, seule susceptible de mener à des prix compétitifs, un réseau commercial très étendu restant à créer. Elle ne s'engagera qu'ultérieurement dans le développement d'un très grand ordinateur exigeant un potentiel technique spécialisé dont elle ne dispose pas à l'heure actuelle. La recherche d'État fournira à l'Entreprise une aide initiale pour déterminer diverses orientations techniques possibles et en lui permettant la formation progressive des équipes nécessaires. Les efforts de l'Entreprise doivent donc être concentrés au départ sur une gamme moyenne. Cette dernière permettra la pénétration progressive mais vigoureuse des secteurs du marché : application scientifique et de