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Conclusion : Méthodologie

I. 1970-78 LE TEMPS DES PIONNIERS.

I.2. Les utilisateurs face à la technique.

I.2.1. Perceptions de la technique nouvelle par l’entreprise.

Au début des années 1970, il n’existe pas un corpus de connaissances reconnu valide et disponible sur l’informatique, à partir duquel un décideur dans l’entreprise pourrait élaborer une compréhension transparente et complète. Pierre Lhermitte le regrette dans le Pari informatique (1968) et incite l’Etat à intervenir (voir I.1.2.4.3) pour ne pas laisser le champ libre aux seuls intérêts privés, constructeurs, organismes de formation et SSCI. Il revient donc au décideur d’appréhender par lui-même la nouveauté, de la qualifier. Il doit se construire une conception de l’informatique au travers des représentations que lui communiquent des acteurs informés du marché. Deux canaux sont particulièrement actifs dans ce transfert d’informations.

Primo, la technique informatique n’émerge pas ex nihilo. L’ordinateur n’est d’abord qu’une nouvelle machine de traitement de l’information qui s’inscrit dans la filiation des machines mécanographiques. L’informateur « naturel », logique est donc le constructeur de machines, qui, par son devoir d’information et de conseil, doit éclairer son client. La première section vise à dévoiler la nature des relations qui existent entre fournisseur et client et à montrer comment elles conditionnent les représentations et la mise en œuvre de la technique.

Secundo, le décideur soucieux de rechercher une pluralité de points de vue peut s’appuyer sur les informations disponibles. Le domaine s’avère prolifique en publications sur le sujet. De nombreux discours affichent des conceptions, des représentations sur la technique nouvelle. Ces communications qui s’adressent au grand public ou aux professionnels de l’entreprise sont le fait d’acteurs ayant quelques intérêts à s’exprimer. La seconde section présente les discours qui foisonnent et marquent durablement l’image de la technique nouvelle.

I.2.1.1. L’attitude des constructeurs.

Le caractère oligopolistique de l’offre de machines mécanographiques confère aux constructeurs un pouvoir sur leurs clients, pouvoir accru par la rareté des compétences techniques sur les machines électroniques sur le marché. Cette position dominante se reflète dans les méthodes de vente mises en œuvre et se reproduit par le caractère fermé de l’offre.

I.2.1.1.1. Les talents commerciaux d’IBM.

IBM, le principal constructeur, fait preuve de talents particuliers en matière de vente. Ses commerciaux exercent à cette époque un réel pouvoir de conviction sur leurs prospects. En 1971, Gérard Bauvin décrit rétrospectivement les pratiques commerciales des constructeurs informatiques des quinze dernières années :

« Ces derniers, au prix d’efforts et de prouesses commerciales probablement sans équivalent dans toute l’histoire économique ont réussi jusqu’à présent à tenir des objectifs de vente très ambitieux. Ils l’ont fait avec des produits sans mode d’emploi, auprès de clients qui n’avaient au départ que peu d’idée de leur utilisation possible, pas de personnel pour les servir ou qui croyaient (sans bien sûr qu’on cherche à les détromper pour ne pas perdre la vente) qu’ils pourraient en profiter sans efforts ni changements. En somme, une réussite comparable à la vente de chasse-neige à la Côte d’Ivoire. »196

Gérard Bauvin suggère que le constructeur dominant a montré des « prouesses commerciales sans équivalent » pour vendre son matériel en dépit de toute logique rationnelle. Son propos est satirique, caricatural. Il est en outre partial : l’auteur représente une SSCI dont le cœur de métier se fonde sur l’incapacité des constructeurs à répondre intégralement aux besoins des utilisateurs197. Mais on retrouve un propos analogue chez Yves Bossard, dirigeant d’un cabinet de conseil en organisation qui reste à l’écart du marché naissant du service informatique. Celui-ci parle d’ « hypnose » pour caractériser la force de persuasion des équipes de vente des constructeurs :

196 « La fin d’une mythologie » publié dans CEGOS-informatique, 44, novembre-décembre 1971, pages 3-5 et dans le

Monde, 23 novembre 1971.

197 Font and Quiniou (1968) complètent le regard des SSCI. Dans le chapitre 5 « Les maîtres du mystère ou une

nouvelle corporation » (page 109-110), ces deux consultants jeunes diplômés décrivent l’image et les techniques de

« Qui n’a pas souffert de l’hypnose de l’informatique, de la farce de l’informatique, lorsque les techniciens voulaient vendre à tout prix leur machine et qu’ils ont littéralement truandé des chefs d’entreprise en ne leur proposant aucun software ? »198

.

Dans le cas d’IBM, il semble que l’entreprise ait su construire cette force de persuasion, ces compétences de vente particulières. Les mémoires de Jacques Maisonrouge sont particulièrement éloquentes en la matière. Centralien, Jacques Maisonrouge entre chez IBM aux Etats-Unis en 1948 dans le cadre d’un séjour à l’issue de ses études199. Après son expérience outre-Atlantique, il

rejoint la filiale française où il occupe différentes fonctions. Il poursuit toute sa carrière chez IBM (36 ans) et en dirige pendant plus de dix ans les activités internationales. Ses mémoires sont un manifeste pour le management à l’américaine, et en particulier pour les savoir-faire commerciaux et marketing. Les souvenirs de Jacques Maisonrouge montrent que les compétences commerciales de la firme s’appuient sur une conception de la vente et une politique de recrutement et de gestion de la force des ventes.

Voici comment Jacques Maisonrouge conçoit la vente :

« Le vendeur doit maîtriser un certain nombre de techniques : bien connaître les produits et services qu’il propose, connaître leurs utilisations, savoir quelque chose sur leur fabrication, comprendre les circuits administratifs des commandes, la détermination des délais de livraison, avoir des références. Tout ceci lui donne la compétence technique. Il doit en plus avoir des qualités humaines très solides : écouter les autres, se faire apprécier, être combatif, persuader, se rendre indispensable, répondre vite et avec précision aux questions posées, ne pas hésiter à se montrer aussi aimable avec la réceptionniste qu’avec le chef du service acheteur. L’amour de son métier doit être évident à tous comme la fierté qu’il éprouve de représenter sa société. […]

Il a dû convaincre, quelquefois, pendant des mois, que ce qu’il proposait était bon pour l’entreprise, il doit maintenant convaincre la personne qui peut apposer sa signature sur la dernière ligne du contrat.

Voilà donc un homme ou une femme – et les femmes sont aussi capables que les hommes d’exercer ce métier – qui sans avoir aucune autorité hiérarchique sur ses interlocuteurs les aura convaincus de faire un investissement important sur sa compétence, sa façon de la faire accepter et la confiance inspirée par sa volonté de fournir le meilleur service possible. » (Maisonrouge 1985, pages 87-88)

Son insistance sur le tempérament du vendeur et la nature des relations qu’il doit nouer donne le sentiment que le « vendeur » ne cherche pas à écouter le client, à comprendre ses besoins ou à établir une relation de confiance avec lui pour déterminer une proposition adaptée à son cas. Le

198 Entretien, L’Entreprise, 13 février 1971, cité par (Cérisy-la-Salle 1971page 434-435)

199 A sa sortie de Centrale, Jacques Maisonrouge obtient une bourse auprès du service des affaires culturelles pour

réaliser une étude technique outre-Atlantique. Le sujet retenu est « l’utilisation de l’électronique dans les calculateurs », après un cours facultatif d’électronique donné par le professeur Lehmann à Centrale. Jacques Maisonrouge est autorisé à faire le même travail dans l’industrie pour compléter sa rémunération. (Maisonrouge 1985, page 37)

terme « client » n’apparait pas dans le texte. Toute la description est centrée sur la personne du vendeur. En forçant un peu le trait, le paragraphe suggèrerait que le vendeur charme le client par ses qualités personnelles, que sa conviction à l’égard de son produit et de son employeur irradie. Une fois que le charme a opéré, vient l’offensive finale pour obtenir la commande. La méthode de vente décrite par Jacques Maisonrouge met en exergue la nécessité de qualités « humaines » pour réussir dans le métier. Il qualifie ainsi ses collègues de la vente :

« La plupart des vendeurs d'avant 1954 étaient de vrais vendeurs musclés, arracheurs, entreprenants, passionnés par leur métier. Comme le matériel était assez simple, on leur demandait surtout les qualités nécessaires à la vente et aussi d'avoir quelques relations. Il y avait des membres de grandes familles françaises, 4 comtes et aussi plusieurs anciens internationaux de rugby et d'autres sportifs connus parmi mes collègues. Après l'arrivée des ordinateurs, nous embauchâmes des ingénieurs des grandes écoles et des diplômés d'HEC, Sciences-Po, des licenciés ou docteurs d'université. Il fallait qu'ils aient en plus de leurs diplômes les qualités d'un bon vendeur. » (page 79)

Un bon vendeur arrache les commandes ; il s’appuie sur son engagement et un bon réseau pour réussir. Le recrutement tente de déceler ces tempéraments (page 79).

La gestion des forces de vente contribue à maintenir la force de conviction des équipes.

« Chaque vendeur avait un objectif précis : un quota qui correspondait à un volume d’affaires. Chaque machine, chaque service correspondait à un certain nombre de points. […]

Ce système qui a continué avec des variantes était déjà une application du management par objectifs. Il créait en plus une saine émulation car tous les vendeurs qui atteignaient les objectifs fixés pour l’année étaient considérés dignes d’entrer au club des 100%. Ce club existe toujours, sa valeur de motivation est reconnue. » (page 74)

Un système est en place, chez IBM France, qui fixe un objectif –le quota– au commercial. L’atteinte du « quota » conditionne l’entrée dans le « club » envié des « 100% », des « bons ». A l’inverse, la récidive dans la non-atteinte du quota enclenche un processus d’exclusion, selon une règle tacite que j’évoquerai dans quelques lignes. Outre ce système de récompense–sanction, la motivation est entretenue par des rites. L’exemple que je cite est nord-américain ; je n’en ai pas cherché l’équivalent transposé à la France. Pendant leur formation aux Etats-Unis, les vendeurs d’IBM apprennent un chant, censé les galvaniser. Gérard Bauvin en donne une traduction tirée d’une biographie à tendance hagiographique de Thomas Watson :

« A chaque étape d’IBM

Nous tenons le record pour que tous voient L’Alma Mater des hommes

Qui servent la meilleure compagnie du monde. A chacun qui entre ici

Le souvenir restera longtemps

Nous construisons, nous travaillons ensemble Aux acclamations du monde. »200

Ces modalités de fonctionnement pourraient rester lettres mortes. Deux anecdotes montrent qu’elles sont bien actives chez IBM France dans les années 1950. La première relate comment, quand Jacques Maisonrouge prend un poste de vendeur, il commence par « le nettoyage de la situation du compte ». Son quota est impacté des annulations de commandes enregistrées par son prédécesseur ; il commence son année avec des ventes négatives à hauteur de son « quota ». Peut- être est-ce l’exception qui confirme la règle… On peut aussi craindre que le système récompense- sanction ne suscite quelque dérive.

La seconde expose le spectre de la sanction si le vendeur ne « fait pas son quota ». Parce qu’il est l’un des seuls vendeurs qui parlent anglais, Jacques Maisonrouge est en contact avec Jack Brent, d’origine canadienne, tout juste nommé directeur européen d’IBM.

« Vers la fin de l’année, il me demanda : [JB] Vous avez fait votre quota ?

[JM] Non, et je n’ai pas l’espoir de le faire.

[JR] Vous savez qu’il faudra le faire l’année prochaine sinon vous devrez quitter les ventes. […] Je lui expliquai la composition de mon territoire, et il me répondit :

[JR] Les mauvais vendeurs trouvent toujours que leurs prospects n’ont pas le potentiel pour s’équiper, que la concurrence est trop dure, que l’économie n’est pas favorable. Les bons, eux, vendent dans toutes les circonstances.

C’est une leçon que je n’ai jamais oubliée. » (page 75)

Si le vendeur n’atteint pas son objectif deux années de suite, il n’a plus sa place dans l’équipe commerciale.

Ce regard porté sur l’organisation commerciale d’IBM France aux débuts de l’électronique ne constitue pas une preuve. Mais, le propos de Jacques Maisonrouge converge avec ceux de Gérard Bauvin ou Yves Bossard. Il corrobore la présomption de méthodes de ventes agressives chez IBM, d’un pouvoir de persuasion particulier vis à vis leur clientèle, centrés sur les qualités des machines. Les pamphlets de Gérard Bauvin et Yves Bossard désignent les constructeurs au pluriel ; s’agit-il d’éviter de s’attaquer directement à IBM ou y a-t-il un phénomène analogue chez Bull ? Je n’ai pas cherché à appréhender les méthodes de vente de Bull. Mais son emprise sur les clients par le caractère fermé de son offre est similaire à celle de son rival américain.

200 Cité dans « Un dictateur de génie », Editorial, CEGOS-informatique, 40, mars-avril 1971, page 3 à l’occasion de

l’édition française de la biographie de Thomas Watson L’empire IBM, Williams Rodgers, Editions Robert Laffont, Paris 1971, 379 pages.

I.2.1.1.2. L’offre fermée des constructeurs.

L’ordinateur est une innovation radicale qui ne se dévoile que progressivement (section I.1.1.2.3). Dans un premier temps, les constructeurs ne proposent les machines électroniques à leur portefeuille de clients existants qu’en qualité d’outils rendus plus performants par l’adjonction de l’électronique. La différence de nature de l’ordinateur, sa capacité à servir des usages plus larges qui peuvent être définis par l’utilisateur, n’apparaît que très progressivement, dans une dialectique entre évolution matérielle et conception de l’usage. Peu à peu, il n’apparaît plus comme un outil destiné à remplir une tâche spécifique, mais comme un instrument dont le potentiel se révèle dans l’usage pensé, par le software. Un bref rappel de dates permet de restituer l’épaisseur chronologique de la constitution de l’ordinateur comme instrument : on qualifie de premiers ordinateurs des machines mises sur le marché en 1955-56 ; la convergence entre méthodes de gestion et calculateurs électroniques s’amorce dans les sociétés savantes en 1959 ; le néologisme informatique qui sanctionne l’émergence du traitement automatique de l’information est créé en 1962 ; avec la troisième génération d’ordinateurs, annoncée en 1964, les possibilités de programmation s’élargissent ; la thèse du Pari informatique201

, qui décrit comment l’ordinateur peut améliorer la gestion des entreprises, est publiée en décembre 1967. Pendant une longue période, de 1955 à 1964 au moins, les ensembles électroniques de gestion restent des machines dédiées à des tâches spécifiques ; leur évolution est lente vers une pluralité d’usages puis un usage gestionnaire défini par l’utilisateur.

I.2.1.1.2.1. Offre globale et pensée de l’usage

Tant que la machine est censée satisfaire des fonctions déterminées, le constructeur offre une prestation globale qui comprend tout à la fois la fourniture de la machine, l’assistance technique et la formation des personnels. Choisir une machine, c’est alors entrer dans le système fermé d’un constructeur ; c’est adopter sa conception de l’usage de la machine. Trois modalités d’assistance y contribuent. Primo, le constructeur retenu pour la fourniture du matériel forme les personnels à la programmation pendant quelques semaines. La CEGOS, qui considère en 1963 que la formation technique relève des constructeurs202, explique dans Le Monde en 1968 les limites de cet

enseignement :

« Les constructeurs apprennent comment programmer des procédures toutes précisées : ce sont les langages pour parler à l’ordinateur qu’ils enseignent. […] Rien n’est enseigné sur la façon de trouver une solution utilisant efficacement l'ordinateur, sur la meilleure façon de dessiner les fichiers ni sur le fond des problèmes

201 C’est le rapport du Conseil économique et social qui est approuvé le 14 décembre 1967. Le Pari informatique est

édité en 1968. J’utilise le nom de l’ouvrage pour désigner sa doctrine.

administratifs et de gestion. Après de tels cours, finalement d'assez courte durée, les programmeurs connaissent une nouvelle langue étrangère, le langage de programmation, mais ils ne savent pas par quel bout attaquer l'étude d'une application, faire une analyse efficace des besoins des utilisateurs, imaginer les meilleures solutions, rédiger les dossiers qui assureront la pérennité de l'automatisation. »203

Le programmeur, salarié de l’entreprise-cliente, apprend le langage, spécifique à la machine, permettant de lui indiquer les consignes à suivre. Il n’apprend pas à définir, à concevoir les dites consignes. Secundo, le constructeur lui ouvre sa « programmathèque ». Pour reprendre l’analogie du langage, les programmateurs y trouveront des assemblages de mots déjà constitués, prêts à l’emploi. Jusqu’en 1965, date à laquelle arrivent les ordinateurs de troisième génération, la logique de programmation s’impose au programmeur ; la programmation est une opération longue et fastidieuse (page 40). Par la « programmathèque », l’utilisateur trouve un moyen d’alléger le travail qui lui incombe. Pierre Lhermitte, dans le Pari informatique (1968) en explique les enjeux pour les deux parties.

« Pour l’utilisateur, et plus particulièrement l’utilisateur de gestion, il est indispensable que la programmation spécifique, dont il est responsable, soit aussi simple à écrire et aussi réduite que possible. L’idéal serait que, pour un certain nombre d’applications-types, il dispose de programmes-standard directement utilisables. » (pages 47-48).

Les constructeurs ont compris qu’un large éventail de programmes disponibles aidait à vendre leurs machines.

« Tous les constructeurs de matériel sont maintenant bien convaincus que l’essor de leur production est très directement lié aux facilités d’utilisation dont disposeront leurs clients et, par conséquent, à la qualité et à l’étendue des programmes disponibles. » (page 47).

« Le constructeur qui présente un matériel associé à une bibliothèque de programmes et à une ‘programmation’ performante acquiert, de ce fait, une position dominante. » (page 42).

Pour établir la programmation spécifique qui est sous sa responsabilité, le programmeur utilise un langage et des tournures de phrases qui lui sont donnés par le constructeur204. Tertio, le

constructeur assure l’aide à l’analyse et la programmation pour s’assurer que l’entreprise-cliente, par l’entremise de son programmeur, obtient bien le fonctionnement voulu. Son intérêt est de dupliquer des usages connus et efficaces de la dite machine. Ces 3 modalités de transfert de compétences, organisées autour de la machine, ont tendance à imposer une manière de faire propre au constructeur et à répliquer des usages établis de l’ordinateur, pour plus d’efficacité pour

203 « Les leçons de 10 ans d'informatique de gestion » [visiblement écrit par CEGOS informatique même si le

document n’apparaît pas signé], Le Monde, 18 octobre 1968

204 Gérard Bauvin propose le même raisonnement, mais pour lui, il ne s’applique qu’en 1967 : « Il a fallu environ

le constructeur. Il n’incite pas à la définition de l’usage en fonction de l’organisation, à l’adaptation de la machine au contexte dans lequel elle s’intègre.

I.2.1.1.2.2. Conditionnement

Le témoignage de Lucien Duverger illustre le conditionnement exercé par les constructeurs, avec un autre niveau d’analyse. Dans son ouvrage publié en 1971, il juge nécessaire d’expliquer en avant-propos sa posture par rapport à l’informatique de gestion ; il expose comment sa conception s’est construite au cours de sa vie professionnelle, d’abord chez un constructeur puis au sein d’une société de service :

« J’ai eu la chance, chez Bull, de m’occuper d’abord de technique machine en vue de l’enseigner […]. J’ai eu la chance, chez Bull, d’être attaché à la propagande et à la promotion des ventes pour l’étranger ; cela me fit connaître la ‘clientèle’ vue du côté constructeur. J’ai ensuite eu la chance de rencontrer Gérard Bauvin qui, dans son équipe si hardiment et si libéralement conduite, m’a donné de rencontrer les vrais ‘utilisateurs’ et non les clients des constructeurs. J’ai pu ainsi me débarrasser de beaucoup de jugements a priori qui forment la cuirasse des informaticiens purs.

Je dois dans cette décantation, beaucoup à mon charmant collègue Robert Paya dont le jugement reste toujours centré sur l’homme, permettant au technicien de ne pas devenir technocrate. Enfin mes collègues de Cégos-Informatique m’ont montré par la forme même de leurs interventions que le succès d’une implantation ne tenait pas primordialement à l’excellence des machines et de la programmation. […]

Et pour terminer qu’il me soit permis de rendre hommage à ces constructeurs qui m’ont permis de connaître avec objectivité leurs positions et de les apprécier. On devient vite chauvin quand on doit agir pour l’un