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Conclusion : Méthodologie

I. 1970-78 LE TEMPS DES PIONNIERS.

I.2. Les utilisateurs face à la technique.

I.2.2. La position des entreprises.

En l’absence de formation générale et de compétences aisément accessibles, l’entreprise doit se fier aux acteurs jugés compétents, à leurs discours et à leurs actes. Elle perçoit la technique à travers ces filtres. Elle fait l’objet de pressions. Comment prend-t-elle la décision d’intégrer la technique nouvelle ? De quelle nature sont ses motivations ? A quelles difficultés se heurte-t- elle dans la mise en œuvre ? En quoi l’établissement de relations avec des pairs constitue-t-il une solution ?

I.2.2.1. Motivations de l’entreprise pour se saisir de la technique.

Les discours sur la démarche d’acquisition d’ordinateurs pour la gestion montrent qu’elle s’opère rarement au nom d’une rationalité calculatrice à des fins d’efficacité ou d’économie. Ils esquissent

trois profils : les « croyants » qui développent une foi dans le potentiel de la technique nouvelle ; les sociétés déjà engagées dans le calcul scientifique ; et ceux qui se soumettent à l’injonction sociale.

Certaines entreprises se saisissent de la technique parce qu’elles croient au potentiel nouveau pour la gestion offert par l’électronique. Cette foi se nourrit souvent des discours des constructeurs. Le cas d’Amédée Serieys, qui préside la société de traitement à façon CCMC, relève de cette catégorie. « Animateur charismatique et passionné », il cultive une culture informatique dans toute l’entité. Son approche consiste à « toujours suivre la dernière version du système du constructeur », en l’occurrence IBM. La CCMC est longtemps une « vitrine de Big Blue » (Mounier-Kuhn 2005). On retrouve la même foi et la même confiance dans les préconisations techniques IBM dans les propos de Pierre Bouchaud-Ayral264. Confronté à des problèmes ardus

de planning, il fait appel à IBM pour des machines de traitement de l’information. Convaincu du potentiel des ensembles électroniques pour augmenter la productivité, il orchestre la montée en gamme en s’efforçant de justifier les investissements successifs :

« Mais les patrons étaient intéressés, enfin les patrons répondaient au quart de tour. Eux aussi avaient des problèmes. Est-ce que ils pouvaient, vis-à-vis de leurs actionnaires, se payer le luxe, je ne sais pas en dollars de l’époque combien ceci faisait, mais les gros ordinateurs, les 360/50, les ..., etc. Pour nous, c’étaient des machines très chères, alors il fallait quand même justifier parce qu’il y a un ensemble de machines mais tout le personnel autour, et puis toute l’électricité pour… pour le faire tourner. [...]

puis ensuite, favoriser l’accord de la direction, des directions des différentes sociétés, appuyer ceux qui étaient responsables de l’informatique dans… à Sollac, à progresser dans la puissance de l’appareil, et puis en même temps plus les années passaient, plus IBM pourrait sortir des appareils formidables parce que le 605 c’était rudimenaire mais c’était énorme à l’époque au point de vue travail, mais aujourd’hui c’est rien du tout. »

Aux yeux de Pierre Bouchaud-Ayral, l’enjeu n’est pas tant de convaincre les « patrons » ou les actionnaires de l’intérêt des techniques nouvelles, mais de donner des atours de rationalité à la prise de décision, en trouvant d’autres domaines d’action, d’autres problèmes à traiter dans l’entreprise pour justifier les investissements successifs.

La foi peut aussi trouver sa source dans les compétences particulières du dirigeant. Georges Tattevin, président-salarié du groupe mutualiste d’assurance Drouot, en est l’archétype. Il prend « la tête de plusieurs missions effectuées pour le compte de l’Agence européenne de productivité qui bénéficie des crédits Marshall » (2009, page 28). A son retour en 1951, il fonde le Comité d’Action pour la Productivité de l’Assurance (Capa), qui devient un organe de diffusion d’une idéologie managériale à l’américaine. Attentif à ce qui se pratique outre-Atlantique, il a très tôt

l’intuition du potentiel que représentent les calculateurs électroniques pour moderniser la gestion dans son métier : « J’étais prêt à commander l’ensemble électronique tout de suite, non par fantaisie mais parce que j’avais foi dans l’électronique et dans l’avenir » écrit-il quelques années plus tard265. Polytechnicien (X17), il s’investit dans la technique électronique et fait installer le

premier ordinateur IBM 705 en France en 1957. Jacques Maisonrouge relate le fait :

« Le démarrage [calculateurs électroniques du type 701, 702] se fit bien malgré les balbutiements du départ et le premier utilisateur d’un 705, successeur du 702 en France fut le groupe Drouot dirigé par un patron remarquable, M. Tattevin, qui connaissait l'informatique au moins aussi bien que nous tous. » (Maisonrouge 1985, page 79)

René Dessal, proche collaborateur et successeur de Georges Tattevin à la tête du Capa, exprime le scepticisme qui accueille l’engagement électronique du groupe Drouot.

« Cette introduction d’un puissant matériel de gestion dans le secteur administratif se fait au milieu du scepticisme et des critiques de la communauté patronale qui n’hésite pas à parler de mégalomanie et s’interroge sur le coût et l’efficacité de l’opération. Les séminaires se transforment en tribunal où Tattevin est sommé par ses pairs de se justifier, notamment sur le plan de la rentabilité. » (2009, chapitre 2, pages 34-35)

Ces premiers adeptes enthousiastes, ces croyants s’efforcent de partager leur foi (voir I.2.1.2.1.2.1). Amédée Sérieys publie plusieurs articles dans Informatique et gestion266 en sus de

l’ouvrage en trois volumes publié en 1969 déjà cité. Georges Tattevin continue sa « croisade » au sein du Capa avec entre autres le cycle des semaines internationales de l’électronique (SIEA) qui réunissent tous les trois ans plusieurs centaines de spécialistes internationaux de l’assurance. D’autres entreprises, comme EDF (Giandou 2010a), la SNCF ou Air France, connaissent déjà les machines électroniques pour les avoir utilisées pour le calcul scientifique ou la recherche opérationnelle. Elles ont perçu leur puissance logique et accumulé des compétences en matière de programmation. Il s’agit pour elles d’élargir l’emploi des machines à la gestion, domaine où règnent les machines mécanographiques. Il leur faut comprendre comment la nouvelle génération de machines peut amender le traitement automatique de l’information.

Mais la grande majorité des entreprises n’ont pas les compétences techniques nécessaires pour s’approprier la nouvelle technique par une démarche de rationalisation calculatrice, dans une perspective de gain économique ou d’efficacité pratique. Le moteur de l’informatisation n’est pas une logique wéberienne. La prise de décision informatique ne suit pas la logique générale des décisions gestionnaires, comme le montre le propos d’Octave Gélinier :

265 « L’automation administrative », Georges Tattevin, Hommes et Techniques, 183, 1960, page 35, cité par Neumann

(2013, page 223)

266 « De la plume d’oie à l’ordinateur », Informatique et gestion, 1, octobre 1968 ; « Informatique de gestion à IBM

« Ainsi armé, le manager doit réintégrer les décisions informatiques dans la logique générale des décisions de gestion […], [il doit] répudier la magie, la métaphysique, l’esthétique et l’orgueil qui ont si souvent influencé les décisions informatiques. » (Préface, Duverger 1971, pages 15-16)

Si les entreprises se lancent dans l’informatisation, c’est poussées par des forces institutionnelles, par des pressions sociales puissantes (DiMaggio and Powell 1983). René Dessal du Capa illustre ce phénomène pour le secteur de l’assurance :

« Mais au delà de ce débat de nature économique, l’ ‘électronique’ révèle des attitudes irrationnelles, assez inattendues de la part de chefs d’entreprise. Irrationnelle, cette représentation d’un fait technique sous forme d’une religion avec son grand prêtre, ses dévots et les aveuglements de la foi. Irrationnelles encore, ces décisions de s’y rallier par mimétisme, jalousie vis à vis d’un rival, peur d’apparaître comme dépassé aux yeux de l’opinion, fierté de pouvoir, à son tour, se prévaloir de capacités de mémoire ou de temps d’accès. » (2009, chapitre 2, page 35)

En faisant l’acquisition de machines électroniques, les dirigeants cherchent à se conformer à ce qui s’apparente à une norme sociale informelle. Avoir un ordinateur confère une légitimité, comme le souligne Denys Bansillon, ingénieur à la Compagnie Générale d’Organisation :

« Dans les sociétés demeurées de style classique, avec prépondérance absolue du patron, celui-ci s'inspire trop fréquemment de considérations futiles, où une certaine fantaisie écarte les études sérieuses au détriment d'appréciations de prestige, l'électronique participant de l'imitation sociale pour devenir un élément de standing au même titre que le golf ou le vison. »267

Les différents discours idéalisés et exaltés sur l’ordinateur et l’informatique de gestion portent et incitent à l’action en ce domaine. Ils associent la technique nouvelle aux enjeux de modernisation socio-économique de la nation. Ils sont portés par l’Etat, les professionnels intéressés (SSCI et constructeurs), mais aussi par des hommes de presse comme Jean-Jacques Servan-Schreiber ou Roger Priouret, des cabinets de conseil en stratégie comme Mc Kinsey268, par des cercles de

dirigeants qui se veulent innovants en matière de management comme le Centre des Jeunes Patrons (CJP)269, les anciens élèves d’HEC ou encore des organismes qui visent à diffuser les nouvelles

méthodes de gestion comme l’Institut Technique des Administrations Publiques (ITAP)270 ou la

CEGOS, pour ne citer que quelques cas d’horizons variés… Les avancées de sociétés de renom dans le domaine sont relayées par la presse (voir I.2.1.2.1.1.2). Finalement, toute cette communication légitime l’informatique : elle la positionne en symbole de patriotisme puis de

267 « La greffe de l’ordinateur », Denys Bansillon, Le Monde, 4 septembre 1969.

268 Getting the most out of your computer , Mc Kinsey & Company, Inc, 1963 traduite en français et diffusée par le bureau

local ; Une richesse méconnue : l’ordinateur. McKinsey & Company, Inc., traduction en français du bureau parisien, non datée mais de 1968 d’après le texte.

269 « Il faut changer la mentalité, les méthodes, les structures, déclare le non président M. Cousté », Le Monde, 10 juin

1958

modernité gestionnaire ; elle la rend souhaitable et appropriée. Les dirigeants sont fortement incités à s’en saisir pour se conformer à la représentation collective, même si l’efficacité économique reste très incertaine. Des isomophismes normatifs et mimétiques (DiMaggio and Powell 1983) participent à la diffusion de l’informatique de gestion chez les clients potentiels en situation d’incertitude faute de formation.

Cette diffusion qui s’appuie sur la volonté de se conformer à une convention tacite de l’environnement conduit parfois à des adoptions de la technique purement formelles, qui ne relèvent que de l’affichage vis à vis de l’extérieur. Gérard Bauvin décrit de telles démarches de découplage (Meyer and Rowan 1977)271 :

« Ils [les constructeurs] ont, bien sûr été aidés en cela [dans leurs prouesses commerciales] par certains dirigeants d’entreprise pour lesquels la possession d’un ordinateur était un brevet du standing élevé de leur firme. Tant pis, si une fois les traites de l’ordinateur payées, on n’avait plus les moyens de l’entourer de personnel de qualité (on avait, en outre l’excuse de la difficulté à les trouver) et si, de ce fait, l’ordinateur était mal utilisé. […] Le mur du snobisme de l’ordinateur chez soi commence à se fissurer, et l’on en vient à préférer montrer un système informatique adapté à son entreprise, qu’elle utilise ou non son propre ordinateur, que de montrer une belle salle d’ordinateur. » (Bauvin 1971, page 27)

Dans les années 1960, il n’est pas rare que l’ordinateur serve plus de vitrine de la modernité de l’entreprise que de machine transformant réellement le traitement de l’information.

Les utilisateurs potentiels soumis aux discours et attitudes des acteurs du domaine acquièrent rarement la technique nouvelle par une démarche rationnelle de recherche d’efficacité et d’économie. Certains croient au potentiel de la technique nouvelle, ils adhèrent à la foi qui leur est proposée et font parfois même œuvre de prosélytisme à leur tour. La plupart se conforment à la norme sociale construite par les discours des acteurs du domaine et des références en matière de gestion moderne (DiMaggio and Powell 1983). Cette préhension de la technique, qui s’opère sous de fortes pressions sociales, en vertu de représentations plus prospectives que déjà à l’œuvre et au nom de valeurs, marque durablement l’image de l’informatique de gestion.

271 A nouveau, Font and Quiniou (1968) offrent un regard complémentaire de consultants de SSCI (On ne peut les

taxer de défendre les intérêts de leur profession : ils sont jeunes diplômés et au moins l’un d’entre eux est très transparent sur ses convictions marxistes.). Ils décrivent dans l’ouvrage les ordinateurs laissés sans alimentation faute de compétences.

I.2.2.2. La difficile préhension de la technique.

Une fois la décision prise de s’équiper, les entreprises doivent entreprendre un apprentissage de la technique nouvelle. Pour ce faire, elles s’efforcent de développer des compétences en interne en s’appuyant sur les acteurs reconnus du marché –constructeurs et SSCI.

I.2.2.2.1. L’entreprise démunie face aux constructeurs et SSCI.

Pour leur préhension de la technique informatique, les entreprises se heurtent à « l’asymétrie d’information entre clients et grands constructeurs dans cette industrie oligopolistique, dont la haute technicité formait à tous points de vue une barrière à l’entrée » (Mounier-Kuhn 2010c, page 158). Les deux barrières –déséquilibre dans le rapport de force entre constructeurs et entreprises ; rareté des compétences électroniques dans les entreprises – ont déjà largement été évoquées. Elles mettent les entreprises en situation de faiblesse face aux constructeurs, comme le confirme Pierre Lhermitte :

« or on doit reconnaître que les utilisateurs de gestion, beaucoup moins bien informés des problèmes techniques que les utilisateurs scientifiques –car ils ne disposent pas d’équipes techniques de niveau comparable- n’ont pas reçu en général, de la part des constructeurs de matériels l’aide et le soutien qu’ils pouvaient en attendre. Ceci est particulièrement vrai en France, par suite de la prédominance des grandes sociétés américaines sur le marché des calculateurs. » (Lhermitte 1968, pages 238-239)

Les constructeurs, sollicités par les utilisateurs scientifiques exigeants et moins manipulables, traitent l’informatique de gestion « en parent pauvre » (Lhermitte 1968, page 238). Un recours contre cet abus de position dominante pourrait être trouvé chez les sociétés de service. Pierre Lhermitte évoque avec circonspection et précaution la création de ces sociétés dans le Pari informatique (pages 47 et 54) ; avec plus de conviction en 1969 dans un entretien accordé à la revue publiée par la SEMA :

« Il est à mes yeux, essentiel, si la France ne veut pas gaspiller la matière grise dans la mise en place de l’informatique, qu’il existe dans notre pays un certain nombre de sociétés d’études qui, ayant été associées totalement ou partiellement à des expériences pilotes, aient pu en tirer la leçon, en faire leur profit, réfléchir, et, disons, disposer d’un capital d’expérience qui puisse être mis à la disposition de l’ensemble des entreprises qui se tournent vers l’informatique.

Ce capital ne peut pas se transmettre par des enseignements scolaires ; il faut vraiment avoir été sur le terrain. La seule façon de ne pas multiplier inutilement ces expériences est précisément de disposer d’équipes ayant vécu la mise en place de l’informatique, depuis les premières expériences celles des pionniers. C’est la raison première et fondamentale de la place des sociétés de conseil dans l’informatique. » Informatique Actualités, 2, 1969, page 13, cité par Neumann (2013, pages 185-186)

Les SSCI pourrait accumuler savoirs et savoir-faire au cours de leurs différentes missions et ainsi remédier aux insuffisances des constructeurs dans le domaine gestionnaire. Mais n’est ce pas

tomber de Charybde en Scylla que de s’inféoder à des entrepreneurs, visant leurs propres intérêts en cette période de forte croissance et qui ont eux-aussi à faire face à la rareté de compétences, plutôt qu’aux constructeurs ? Comment construire en interne les compétences nécessaires à la maîtrise de la technique ?

I.2.2.2.2. Des équipes informatiques délicates à gérer.

Pour mettre en œuvre son informatisation, le dirigeant doit s’appuyer sur une équipe, expérimentée autant que faire se peut, en informatique de gestion272. Mais l’entreprise-utilisatrice

n’est pas un îlot préservé des tensions de la profession naissante. La rareté et la mobilité des personnels informatiques rendent difficile la constitution d’une équipe pérenne et accentuent la difficulté à mener avec succès l’informatisation de l’entreprise.

Dans Les ordinateurs, mythes et réalités publié en 1968, les auteurs273 intitulent fort à propos leur

chapitre consacrés aux informaticiens « les maîtres du mystère… ou une nouvelle corporation » (Font and Quiniou 1968, page 109). La loi de l’offre et de la demande conduit à une surenchère salariale, qui empêche l’intégration des informaticiens dans l’ensemble du personnel de l’entreprise. La mobilité est la règle pour aller au plus offrant. Leur compétence spécifique et rare leur donne une liberté d’action peu commune chez les autres salariés :

« Moins soumis que tout autre employé ou ingénieur, il connaît sa force sociale, son importance dans le système économique, il en tire une certaine aisance, une philosophie de l’action, très individualiste sans doute, mais qui, à y regarder de plus près, contient peut-être la clé d’une certaine libération de l’homme. […] Cette dignité, le jeune programmeur la trouve, une fois passé le stade du pesage où il a été testé comme un œuf chez l’aviculteur. » (page 115)

Il faut oser pour entrer dans cette profession nouvelle. L’accès aux formations est conditionné par des tests. Des témoignages montrent que l’entrée dans la filière peut être un choix par défaut, faute d’obtention d’une orientation plus établie. Au tournant des années 1960, Bull trouve parmi les étudiants recalés de médecine un vivier de recrues potentielles274. Au début des années 1970,

les tests organisés par NCR pour recruter constituent un accès à l’emploi pour des jeunes en

272 Il faudrait ici ajouter une nuance chronologique. Tant que les machines sont dédiées à des tâches spécifiques, les

tâches de conception sont limitées et l’apprentissage de la programmation reste accessible sans formation initiale. Dès que les usages commencent à s’élargir, les compétences requises pour la programmation et pour l’analyse sont sensiblement réévaluées.

273 La préface de Louis Leprince-Ringuet présente les auteurs comme d’ « excellents spécialistes » qui œuvrent dans

un centre d’organisation. Jean-Marc Font et Jean-Claude Quiniou sont tous deux jeunes ingénieurs à la CGO lorsqu’ils écrivent l’ouvrage. Jean-Claude Quiniou est à l’époque marxiste (courriel de Jean-Marc Font du 2 mai 2014).

274 Entretien avec André Le Garff du 23 mai 2014. Ancien directeur informatique du groupe Elf, André Le Garff

échec dans le système scolaire275. Après la sélection aux tests, il faut suivre la formation et

acquérir quelque expérience. L’avenir à court terme est assuré, mais le plus long terme est hasardeux. On pense que l’évolution rapide de la technique nécessitera des remises à niveau fréquentes et des aptitudes croissantes276. Le corollaire de cet accès délicat à la profession sans

garantie de pérennité, est la volonté des intéressés de « rentabiliser » leurs compétences pendant les années fastes. Les informaticiens se montrent ambitieux, avides de réussite sociale. Font and Quiniou (1968) décrivent ce processus de formation et l’état d’esprit qu’il induit, dans leur langage teinté politiquement :

« Cette dignité, le jeune programmeur la trouve, une fois passé le stade du pesage où il a été testé et miré comme un œuf chez l’aviculteur. Il la retrouve après deux ans de schlague ‘à la mécano’, après un ou deux ans comme employé aux écritures [...] : il vit maintenant dans un monde sur lequel il a prise et dont il est capable de voir les contradictions. »277 (page 115)

Les constructeurs, dans leurs discours, participent de cet état d’esprit. Ils positionnent l’informatique comme une technique porteuse d’espérances de promotion sociale. Elle est une innovation de rupture, qui créé un nouveau territoire où des places sont à prendre. On trouve cette rhétorique dans une brochure « Etudes avant automatisation » éditée par IBM France, division cartes perforées-ordinateurs au 4ème trimestre 1968. L’avant-propos insiste tout d’abord

sur « la difficulté majeure de la conduite des études », l’« incompréhension et la résistance du milieu » puis le document invoque l’opportunité de carrière que constitue la technique nouvelle :

« Mécanisation et automatisation n’ont de tout temps cessé d’accroître les possibilités d’emploi et les espérances de promotion sociale. […] Il appartient à chacun de saisir cette chance et c’est le rôle des personnes chargées de la réorganisation de le faire comprendre à tous. » (page IV)