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Dans notre modèle d’exposition chronique à la fumée de cigarette, tout comme dans les travaux de Lim et al. (Lim et al., 2000), nous avons pu observer une augmentation de l’expression de l’IL-10 dans le poumon à la fois au niveau transcriptomique et protéique en réponse à la fumée de cigarette. De plus, la production d’IL-10 est dépendante du stress oxydatif puisque les souris recevant un traitement préventif à la NAC et exposées à la fumée de cigarette montrent une réduction de cette expression en comparaison aux souris non traitées (données non publiées). Cela pourrait indiquer le lien entre la production d'IL-10 et la réaction inflammatoire elle-même (liée à l'exposition à la fumée) puisque cette cytokine intervient pour limiter la durée de l'inflammation et empêcher sa pérennisation. L’IL-10 est une cytokine présentant une activité pléïotropique qui peut être sécrétée par différents types cellulaires (Saraiva et al., 2010). De manière à identifier les cellules impliquées dans la sécrétion d’IL-10 en réponse à la fumée de cigarette, nous avons utilisé des souris ITIB qui possèdent deux gènes rapporteurs insérés dans le gène codant l’IL-10. Ces souris ont été exposées à la fumée de cigarette et l’expression de l’IL-10 à été analysée à différents temps. Notre première constatation fut que les cellules du compartiment leucocytaire (CD45+) produisaient de l’IL-10 dès quatre jours d’exposition. La caractérisation phénotypique des cellules productrices a permis d'établir une cinétique d’expression dans certains types cellulaires. En réponse à la fumée de cigarette, les macrophages alvéolaires sont les premières cellules à produire cette cytokine. Cette production précoce peut s’expliquer par le fait que les macrophages soient en nombre important dans la lumière du poumon et qu’elles représentent la première ligne de défense de cet organe. La production d’IL-10 par les macrophages n’est pas maintenue et le relais est ensuite pris par les cellules NK jusqu’au terme des huit semaines d’exposition. De manière surprenante, les cellules T reg (source importante d'IL-10) ne sont pas activées ni recrutées dans ce contexte, ce résultat étant confirmé par l’analyse de l'expression de FoxP3.

Discussion et Perspectives

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Cela suggère que ces cellules ne jouent pas un rôle essentiel dans le contrôle de cette pathologie. Cependant, l’utilisation de souris ITIB ne nous permet pas d’établir une quantité précise de production d’IL-10 mais nous apporte plutôt une information qualitative nous permettant d’identifier la source cellulaire. En effet, l’induction de l’expression de cette cytokine par différents stimuli conduit à l’expression en parallèle d’une ou de deux molécules de β-Lactamase, et c’est cette activité β-Lactamase qui est détectée par cytométrie en flux (Bouabe et al., 2011). Cette technique permet surtout de gagner en sensibilité par rapport aux techniques classiques de détection des cytokines (marquage intra-cellulaire).

L’IL-10 joue un rôle primordial dans le contrôle des réponses immunitaires et de l’inflammation. Dans le but d’étudier le rôle de cette cytokine dans le développement de la BPCO, nous avons utilisé des souris déficientes pour IL-10, notée IL-10-/-. En effet, des études de Takanashi et ses collaborateurs (Takanashi et al., 1999) ou de Zhang et ses collaborateurs (Zhang et al., 2013) rapportent une diminution de l’IL-10 dans les crachats et le sérum de patients BPCO, ce qui suggère la présence d'un défaut de réponse de cette cytokine chez les patients développant une pathologie pulmonaire. Chez les souris IL-10-/- exposées à la fumée de cigarette, l’expression non seulement de l’IL-17, mais également de l’IFN-γ est augmentée. La production de ces cytokines a pu être observée dans des lymphocytes T, où la production est augmentée chez les souris IL-10-/- indépendamment de l’exposition à la fumée de cigarette. De plus, nous avons pu identifier une sous population de lymphocytes T exprimant à la fois de l’IL-17 et de l’IFN-γ en réponse à la fumée de cigarette chez les souris IL-10-/-. De manière intéressante, la production d’IL-17 et d’IFN-γ a également été observée dans les cellules NKT. Dans ces cellules, la production d’IL-17 est plus importante chez les souris IL-10-/- contrôle et est augmentée par la fumée de cigarette.

L’utilisation d’un anticorps neutralisant anti-IL-17 permet de restaurer la fonction pulmonaire et de réduire l’inflammation liée à l’absence d’IL-10 chez les souris fumeuses (diminution d’IL- 1β, d’IFN-γ et du recrutement des neutrophiles). Ces résultats suggèrent que la pathologie est principalement due à la présence de l’IL-17 et non directement liée au déficit en IL-10. Or l’exposition à la fumée de cigarette en absence de l’IL-10 conduit à une exacerbation de la réponse IL-17. Les mécanismes conduisant à cette production restent à déterminer dans le cadre du déficit en IL-10 mais font vraisemblablement intervenir la production d'IL-1β et l'activation des cellules présentatrices d'antigène et de lymphocytes.

L’IL-1β qui est augmentée chez les souris IL-10-/- et après exposition à la fumée de cigarette, est une cytokine impliquée dans la différenciation de la lignée Th17 pathogénique responsable du développement de certaines maladies auto-immunes (Lee et al., 2012). L’augmentation de l’expression de l’IL-1β pourrait être expliquée par un défaut de contrôle de la signalisation de cytokines. En effet, une des molécules effectrices de l’action inhibitrice de l’IL-10 est SOCS3 dont le rôle est d’inhiber l’expression de cytokines (notamment les cytokines pro- inflammatoires) et leur action (Dinget al., 2003). Cependant, l’expression de SOCS3 n'est pas

modulée (données non montrées). La cytokine IL-10 exerce également son rôle immunorégulateur au travers de son action sur les cellules présentatrices d’antigène (de Waal Malefyt et al., 1991b). Cependant, dans notre modèle, nous n’avons pas vu de variation de l’expression du CMH de classe II ou des molécules de costimulation sur les cellules dendritiques

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ou sur les macrophages spécifiquement du au déficit en IL-10, par contre les macrophages étaient fortement recrutés au niveau du poumon chez les souris IL-10-/- même en absence d’exposition à la fumée de cigarette (données non montrées). Des analyses supplémentaires sont nécessaires afin de déterminer la signature transcriptionnelle de ces cellules mais aussi des cellules productrices d’IL-17 dans notre modèle afin de définir si elles représentent effectivement une population de type Th17 pathogénique. A côté de ces cellules T conventionnelles, la présence des cellules NKT productrices d'IL-17 (NKT17) suggère à nouveau le rôle très important de cette sous-population dans l'apparition de la pathologie pulmonaire (Pichavant et al., 2014) qui pourrait également être impliquée au niveau intestinal.

Dans notre modèle, nous avons pu constater que les souris IL-10-/- présentaient un déclin spontané de la fonction pulmonaire. Cependant une augmentation de la résistance des voies aériennes a été observée après exposition à la fumée de cigarette des souris IL-10-/- ainsi qu’une augmentation de la production de cytokines pro-inflammatoires telle que l’IL-1β. Le déclin de la fonction respiratoire est associé à une augmentation de l’expression de la métallo- protéase matricielle MMP-12 qui peut être produite par les macrophages en réponse à l’IL-17 (Shan et al., 2009). De plus, l’IL-10 est capable de réduire in vivo l’expression de MMP-9, une autre métallo-protéase matricielle, et d’induire celle de TIMP-1, une molécule présentant une action anti-protéasique (Lim et al., 2000). En effet, des études par zymographie sur des surnageants de cellules épithéliales pulmonaires montrent, in vitro, une réduction de l’expression de métallo-protéases matricielles en réponse à la fumée de cigarette lorsque l’on réalise un pré-traitement de ces cellules avec de l’IL-10 recombinant (données non montrées). Le déficit en IL-10 induirait donc un déséquilibre combiné entre protéases et anti-protéases qui serait responsable de l'altération de la fonction pulmonaire.

Au niveau intestinal, les souris déficientes en IL-10 sont caractérisées par le développement spontané d’entérocolites chroniques assimilables à la maladie de Crohn humaine comme nous pouvons le constater dans nos souris contrôles. Cet état pathologique est notamment expliqué par une perte de contrôle des réponses immunitaires et de l’état de tolérance envers les bactéries commensales colonisant le côlon (Kühn et al., 1993). L’exposition à la fumée de cigarette accélère le processus pathologique induisant prolapsus, perte de poids importante, réduction de la taille du côlon et aggravation du remodelage intestinal. De plus, en relation avec les observations faites dans le poumon, l’inflammation intestinale résultant de l’exposition à la fumée de cigarette entraîne l’induction de gènes impliqués dans la réponse Th1/Th17 tels que l’IFN-γ et l’IL-17.

Ces données confortent l'hypothèse de la balance IL-10/ IL-17 dans le développement de la pathologie associée à l'exposition à la cigarette mais suggère également un lien entre pathologies pulmonaires et intestinales.