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Au vu des filtres sélectifs déjà identifiés dans d’autres systèmes plantes-fourmis, deux traits d’H. physophora nous ont semblé être de bons candidats potentiels pour remplir un tel rôle. D’une part, les trichomes particulièrement denses à l’entrée et à l’intérieur des poches foliaires pourraient constituer une barrière physique que seule A. decemarticulatus serait capable de franchir (Fig. 29). D’autre part, l’entrée des domaties elle-même pourrait limiter le nombre d’espèces capables de s’y installer en excluant les reines de trop grande taille ou celles incapables de les localiser. Pour tester la première hypothèse, nous avons mené diverses observations sur l’organisation des trichomes dans les poches foliaires d’H. physophora, avant de les lier aux données que nous avons sur la façon dont la plante est colonisée. Pour tester la seconde hypothèse, nous avons choisi de conduire une expérience permettant d’observer sur

H. physophora le comportement de reines fondatrices d’Azteca de plus grande taille que celles

d’A. decemarticulatus et normalement inféodées au myrmécophyte sympatrique T.

guianensis. De même, des reines fondatrices d’A. decemarticulatus ont été placées et

observées sur T. guianensis. L’annexe 1.6 décrit les protocoles utilisés.

Figure 29. Une reine d’A. decemarticulatus entre dans une domatie d’H. physophora en

3.1. Trichomes des domaties

Il apparaît que les trichomes sont extrêmement denses dans les domaties d’H. physophora n’ayant encore jamais été habitées, et à l’inverse complètement absents sur les plants occupés par des colonies matures. En effet, la face interne ainsi que l’entrée des poches foliaires des 26 feuilles s’étant développées sans fourmis sont tapissés de longs trichomes très denses, certains orientés vers l’extérieur de l’abri (Fig. 30A). En revanche, les très nombreuses domaties des plants habités par des colonies matures étaient toutes dépourvues de ces trichomes (Fig. 30B). Ceci s’explique non seulement par le comportement des reines qui utilisent ces trichomes pour bloquer l’entrée des domaties au moment de la fondation, mais aussi par l’activité des ouvrières qui coupent les trichomes de toutes les poches utilisées par la colonie (Fig. 30C). Cela leur facilite sans doute l’utilisation des poches foliaires, et un tel aménagement est observé dès que de nouvelles domaties arrivent à maturité (obs. pers., sur le terrain ainsi que sur des plants habités maintenus en laboratoire).

Par conséquent, la barrière physique formée par les trichomes des domaties n’est présente que sur les nouvelles feuilles n’ayant jamais été habitées. La plus grande partie des domaties portées par les plants ayant perdu leur colonie présentent donc une entrée facilement franchissable. C’était le cas des plants utilisés dans nos expériences d’exclusion/recolonisation. Or comme nous l’avons vu, même dans ces conditions, la spécificité d’association avec A. decemarticulatus est clairement maintenue et les plantes ne sont pas envahies par d’autres espèces de fourmis. Par ailleurs, même quand elle est présente, cette barrière n’est visiblement pas infranchissable pour tous les intrus. A plusieurs reprises, nous avons constaté que des domaties de nouvelles feuilles hébergeaient des habitants autres qu’A. decemarticulatus : une colonie naissante de Crematogaster sp. aff. crucis (voir Tab. 8), une autre de l’occupant exceptionnel Solenopsis sp. (voir Fig. 28B), ou encore des pupes de Lépidoptères et une guêpe solitaire (Tab. 9).

S’ils peuvent probablement empêcher occasionnellement l’entrée de certains intrus de grande taille dans les domaties nouvellement formées, les trichomes ne semblent donc pas constituer un filtre sélectif majeur susceptible d’expliquer la forte spécificité d’association entre H. physophora et A. decemarticulatus.

Figure 30. Coupes de domaties d’H. physophora. A. Domatie inhabitée : parois internes et

entrée (flèche blanche) tapissées de trichomes très denses. B. Domatie abritant reine et ouvrières : parois internes et entrée (flèche blanche, restes visibles de la structure construite par la reine pour bloquer l’entrée) dépourvues de trichomes. C. Trichomes coupés et rassemblés en tas par des ouvrières dans une domatie.

Figure 31. Résultats des tests confrontant des reines

fondatrices à leur plante-hôte habituelle puis à une autre espèce de myrmécophyte. A. Pourcentage de reines d’A.

decemarticulatus et d’Azteca sp. découvrant l’entrée

d’une domatie en moins de 20 minutes après avoir été déposée sur un plant inhabité d’H. physophora ou de T.

guianensis. B. Photographies montrant une reine Azteca

sp. utilisée pendant l’expérience entrant complètement dans une domatie d’un plant d’H. physophora, puis en ressortant. 0 25 50 75 100 A. decemarticulatus Azteca sp. % d e r ein es (n=13) (n=14)

Reines déposées sur H. physophora Reines déposées sur T. guianensis

A

0 25 50 75 100 A. decemarticulatus Azteca sp. % d e r ein es (n=13) (n=14)

Reines déposées sur H. physophora Reines déposées sur T. guianensis 0 25 50 75 100 A. decemarticulatus Azteca sp. % d e r ein es (n=13) (n=14) 0 25 50 75 100 A. decemarticulatus Azteca sp. % d e r ein es (n=13) (n=14)

Reines déposées sur H. physophora Reines déposées sur T. guianensis

A

B

B

A

B

C

A

A

BB

CC

3.2. Localisation et taille de l’entrée des domaties

Les reines fondatrices d’A. decemarticulatus et d’Azteca sp. étaient potentiellement capables de coloniser les domaties d’H. physophora comme celles de T. guianensis. Au cours des tests, la proportion de reines d’Azteca trouvant l’entrée d’une domatie s’est avérée être la même sur les deux espèces de myrmécophytes. Chez A. decemarticulatus, la proportion était bien plus élevée sur H. physophora, mais plusieurs reines ont tout de même découvert l’entrée des domaties de T. guianensis (Fig. 31A). Les individus autorisés à entrer complètement dans les poches foliaires l’ont fait sans difficulté dans les deux cas (Fig. 31B).

Par ailleurs, le même protocole a été appliqué avec quatre reines fondatrices de

Crematogaster sp. récoltées sur T. guianensis : 3 ont trouvé une domatie en moins de 20

minutes sur T. guianensis et 2 sur H. physophora. Malgré le faible effectif, cela renforce encore l’idée que les reines des espèces associées aux myrmécophytes sympatriques d’H.

physophora ont la capacité physique d’entrer dans ses domaties.

La spécificité d’association entre H. physophora et A. decemarticulatus n’est donc pas due à une impossibilité pour les autres espèces de fourmis d’entrer dans les domaties, la position de leur entrée sur la plante et leur taille ne semblant pas agir comme des filtres très sélectifs. De même, le fait qu’A. decemarticulatus n’ait jamais été trouvée ailleurs que sur H.

physophora n’est pas dû à son incapacité d’entrer dans des domaties autres que celles de sa

plante hôte habituelle.