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4. Rôle de la reconnaissance des plantes-hôtes

4.2. Quelle est la nature des indices de reconnaissance ?

4.2.1. Olfactométrie

Des reines fondatrices désailées récemment arrivées dans leur domatie étaient récoltées sur le terrain, puis installées avec leur poche foliaire dans un tube à essai humidifié. Ces individus étaient utilisés pour des tests d’olfactométrie, visant à savoir si ces reines étaient capables d’identifier H. physophora à distance, sans qu’il leur soit possible de voir la plante. Pour cela, les reines étaient placées dans un olfactométre en Y (dispositif déjà utilisé par plusieurs auteurs sur différentes espèces de fourmis (Vander Meer et al. 2002; Edwards et al. 2006). Après avoir testé différents types de matériel, il a semblé que les reines étaient plutôt perturbées par le verre si bien que nous avons finalement conçu un olfactomètre en utilisant des tubes en plastique reliés par des tuyaux en Tygon (Fig. 34). Tous les tests ont été conduits entre septembre et décembre 2005.

Les sources d’odeur étaient des plantes en pot inhabités, et les tests étaient conduits en semi- extérieur (à l’exception de C. nodosa : dans ce cas les tests ont été conduits avec un plant sur pied en forêt, et tout le dispositif adapté en conséquence). A chaque fois, plusieurs jeunes feuilles en bonne santé étaient enfermées dans un sac à cuisson (Fig. 33). Un flux d’air généré par une pompe électrique entrait dans ce sac après avoir été purifié dans une cartouche de charbon actif, humidifié dans une bonbonne d’eau distillée et réglé par un débitmètre. A la sortie du sac, l’air entrait dans l’olfactomètre en Y. Tous les tuyaux pour monter ce circuit étaient en Tygon.

Figure 33. Feuilles de C. nodosa

ensachées. Les flèches rouges indiquent le flux d’air.

A chaque fois, une reine était déposée dans le dispositif, puis sa position contrôlée régulièrement. On estimait qu’un choix avait été fait une fois que la reine était parvenue dans l’un des compartiments « odeurs », ou qu’elle avait parcouru plus de la moitié du tuyau y conduisant (voir Fig. 34). La reine était enregistrée comme n’ayant fait aucun choix si elle était toujours dans le compartiment de départ après une heure. Dans ce dernier cas, la reine pouvait être confrontée encore une ou deux fois à la même paire de plante. Après un choix, la reine en question n’était cependant pas confrontée à nouveau aux même plantes. Les tests étaient réalisés entre 6h et 14h, les reines semblant être plus réactives en début de journée. La position des arrivées d’air 1 et 2 étaient régulièrement interverties au cours des expériences. Les résultats sont présentés dans la figure 35.

Figure 35. Résultats des tests de choix en olfactomètre en Y. Les tests impliquant C. nodosa

ont été réalisés en forêt, et tous les autres en semi-extérieur. Un test de Chi² a été réalisé à chaque fois pour comparer la distribution observée à celle théorique de 50%:50% (les valeurs de p sont présentées sur les graphiques).

≈ 75ml/min

1

2

3

Emplacement initial des reines

Odeur 1 Odeur 2

≈ 75ml/min

1

2

3

Emplacement initial des reines

Odeur 1 Odeur 2

Figure 34. Schéma de l’olfactomètre en Y

utilisé. Les reines étaient déposées dans le compartiment 3. Les pointillés indiquent des pièces de tissus laissant passer l’air mais pas les fourmis.

H. physophora 30 8 Sac vide

T. guianensis Sac vide

24 p=0,11 14 p<0,001 C. nodosa Sac vide 19 p=0,49 15 H. physophora 31 p=0,35 24 C. nodosa H. physophora 16 p>0,05 14 T. guianensis Nombre de choix 0 15 30 15 30 Nombre total de reines (N) Nombre de non-choix (%N) 92 87 51 86 68 43 (46,7%) 49 (56,3%) 17 (33,3%) 28 (32,6%) 38 (55,9%)

H. physophora 30 8 Sac vide

T. guianensis Sac vide

24 p=0,11 14

T. guianensis Sac vide

24 p=0,11 14 p<0,001 C. nodosa Sac vide 19 p=0,49 15 C. nodosa Sac vide 19 p=0,49 15 H. physophora 31 p=0,35 24 C. nodosa H. physophora 31 p=0,35 24 C. nodosa H. physophora 16 p>0,05 14 T. guianensis H. physophora 16 p>0,05 14 T. guianensis Nombre de choix 0 15 30 15 30 Nombre total de reines (N) Nombre de non-choix (%N) 92 87 51 86 68 43 (46,7%) 49 (56,3%) 17 (33,3%) 28 (32,6%) 38 (55,9%)

L’ensemble de ces données ne permettent pas de trancher quant à l’utilisation de composés volatils par les reines. D’une part, face à un sac vide, les reines ont nettement préféré la source « H. physophora » alors qu’il n’y a pas eu de préférence aussi marquée pour

T. guianensis ou C. nodosa. Mais d’autre part, quand elles étaient confrontées à deux plantes

en même temps, les reines n’ont montré aucune préférence pour H. physophora, que ce soit face à T. guianensis ou à C. nodosa (Fig. 35).

Ces résultats quelque peu contradictoires peuvent être interprétés de différentes façons. Premièrement, la vision pourrait intervenir dans la reconnaissance de la plante, expliquant pourquoi les reines testées n’ont pu faire la différence entre les myrmécophytes depuis l’olfactomètre. Mais le comportement des reines lorsqu’elles se déplacent ne va pas dans le sens de cette hypothèse, et les tests « plante contre sac vide » semblent bien montrer qu’H.

physophora peut être détectée sans être vu. Deuxièmement, le signal reconnu par les reines

pourrait être constitué de composés semi-volatils qui ne seraient pas ou peu transportés par le flux d’air relativement lent traversant le dispositif. Cela expliquerait pourquoi les reines seraient capables de bien reconnaître leur hôte à très courte distance (comme dans nos tests utilisant les plates-formes de choix triangulaires) mais pas dans cette expérience. Troisièmement, s’il y a signal très volatil, il est clair que ce sont des composés très peu concentrés qui le forment (voir ci-dessous). Or le niveau de concentration dans l’air de ces composés susceptible de faire réagir les reines n’est peut-être pas garanti par le flux d’air continu circulant dans le dispositif, et la façon artificielle dont celui-ci mélange les odeurs des deux plantes testées. Cela serait d’autant plus le cas si les espèces testées émettent pour partie des composés communs, comme on pourrait l’attendre de plantes ayant toutes pour point commun l’échange d’informations avec des fourmis. Enfin, outre le signal lui-même, les conditions expérimentales offertes par ces olfactomètres en Y brouillent peut-être dans une certaine mesure les capacités des reines à les percevoir. Il est important de noter le temps très long (1h) qu’il a fallu fixer comme durée maximale d’un réplicat, ainsi que le taux très élevé de « non-choix » pendant les expériences (Fig. 35). Des valeurs similaires sont mentionnées par Edwards et al. (2006) lors de tests d’olfactométrie avec A. octoarticulatus, suggérant que les reines d’Allomerus en général sont perturbées par ce milieu artificiel fermé.

Départager ces différentes explications possibles requiert une identification des composés chimiques susceptibles d’agir effectivement comme signal de reconnaissance chez ces différentes plantes.