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La plupart des myrmécophytes sont associés avec un petit nombre d’espèces de fourmis mutualistes qui sont en compétition pour l’occupation des plantes. Si ces quelques espèces apportent toutes une protection indirecte à leur hôte, elles ne le font cependant pas toutes de la même manière. Par exemple, le niveau de protection peut différer d’une espèce à l’autre selon l’efficacité avec laquelle les ouvrières détectent, attaquent ou font fuir les défoliateurs (Vasconcelos et Davidson 2000; Lapola et al. 2003; Bruna et al. 2004). De plus, le type même de protection assuré peut varier (protection contre différents groupes de phytophages, contre les plantes grimpantes ou compétitrices,…) (Frederickson 2005). La désignation de « partenaire mutualiste » regroupe donc des investissements plus ou moins marqués de la part des fourmis, illustrés par une variété de comportements et de traits qu’il est nécessaire d’identifier pour connaître l’importance que représente une espèce de fourmi pour sa plante hôte. C’est un point d’autant plus important que le niveau de dépendance entre fourmis et myrmécophytes est intrinsèquement asymétrique : les fourmis ne peuvent généralement pas vivre ailleurs que sur leur plante-hôte, tandis que cette dernière est au moins capable de survivre sans fourmis le temps d’être colonisée. Ainsi, si du point de vue des fourmis ces associations peuvent facilement être qualifiées d’obligatoires, le niveau de dépendance des myrmécophytes vis-à-vis de leurs hôtes demandent une identification et une quantification précise des bénéfices qu’ils reçoivent.

Les services rendus par les fourmis ne sont pas le seul facteur de variation de ces associations : les récompenses qui les motivent (alimentation et espace de nidification) ne sont pas fixes non plus. Il semble que les plantes peuvent contrôler leur production, faisant parfois de la nourriture ou des domaties une ressource limitante susceptible de moduler la taille des colonies qui les habitent (Fonseca 1993; Itino et al. 2001b). Cela leur permet d’optimiser leurs propres bénéfices en limitant au maximum les coûts nécessaires à l’obtention d’une défense biotique.

Tout cela suggère que l’évolution des associations symbiotiques plantes-fourmis est une course au bénéfice optimal, où les coûts du mutualisme, c’est-à-dire l’investissement lié aux

services rendus ou aux récompenses offertes, tendent à être réduits au minimum. Cette situation est génératrice de conflits d’intérêt, qui peuvent s’exprimer d’autant plus profondément que ce type de mutualisme est à transmission horizontale. Au niveau individuel, seule la survie du partenaire compte, pas nécessairement sa reproduction. Dans certains cas, les pressions de sélection exercée par ces conflits ont ainsi fait basculer des mutualismes vers le parasitisme. En effet, certaines espèces de fourmis mutualistes ont développé au cours de leur évolution des comportements optimisant leurs propres bénéfices au point de nuire grandement à leur hôte. Tout en protégeant la plante contre les défoliateurs, ces fourmis castrent leur myrmécophyte en détruisant ses bourgeons floraux ou les fleurs (Yu 2001). Cela détourne vraisemblablement vers la croissance l’énergie que la plante aurait alloué dans la reproduction, et accroît ainsi l’espace de nidification des fourmis ou la production de récompenses en général. Ces fourmis, dont seulement quatre espèces ont à ce jour été décrites, constituent des exploiteurs « internes » du mutualisme, au sens de Bronstein et al. (2006). Leur tricherie est sans doute l’étape la plus récente d’un long processus coévolutif les ayant précédemment conduit à être des mutualistes spécifiques. Dans certains cas, l’espèce de myrmécophyte se maintient au niveau populationnel du fait de la présence d’autres espèces de fourmis associées qui ne trichent pas (Yu et Pierce 1998; Stanton et al. 1999; Yu et al. 2001; Yu et al. 2004; Gaume et al. 2005a). Dans un des cas connus, il semble que la plante ait développé une réponse évolutive au niveau individuel. Il s’agit d’un système proche de notre modèle d’étude : l’association dans la forêt brésilienne entre A.

octoarticulatus et H. myrmecophila. Ici, la plante perd les domaties de ses vieilles branches.

Devenues inhabitées, ces dernières peuvent alors fleurir normalement (Izzo et Vasconcelos 2002).

Dans l’association A. decemarticulatus/H. physophora, les coûts et bénéfices de chaque partenaire n’avaient quasiment pas encore été étudiés au commencement de ce travail. Ajouté au fait qu’un des rares exemples de castration ait été observé dans un système taxonomiquement très proche, ceci nous a poussé à identifier, et si possible quantifier, tous les effets positifs ou négatifs affectant chaque partenaire du fait de son implication dans l’association. Dans un premier temps, nous utiliserons volontairement les termes très génériques « d’effets positifs et négatifs » pour traduire au mieux notre approche, consistant à identifier tout ce qui peut d’une façon ou d’une autre, chez un des partenaires, affecter la fitness de son associé. Cela nécessite de décortiquer les différentes façons par lesquelles les deux partenaires interagissent, et par quels biais ils peuvent avoir une influence l’un sur

l’autre. Cela inclut bien sûr les coûts et bénéfices classiquement relevés dans ce type d’association (abri et nourriture contre protection). Mais nous ne nous sommes pas restreints à cela et avons envisagé d’autres éléments pouvant participer au bilan total de l’association. Autrement dit, n’y a-t-il pas hors de ces services réciproques d’autres facteurs par lesquels les deux partenaires s’influencent positivement ou négativement ?

Dans les pages qui suivent, nous allons ainsi présenter l’ensemble de ces effets pour chaque partenaire. Le choix a été fait de présenter d’abord les effets positifs de l’association sur chacun des partenaires, et ensuite les effets négatifs. Ils seront discutés au cas par cas, et nous proposerons en fin de chapitre un bilan de ces effets qui permettra d’en distinguer les différentes catégories, et d’estimer le poids que chacun peut avoir dans l’évolution et la stabilité de cette association.