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La vision classique des protéines a longtemps été basée exclusivement sur les protéines globu-laires, et leur nature dynamique était largement ignorée. Cette vision était surtout due au fait que la cristallographie aux rayons X était la seule méthode disponible à l'époque (ou majoritairement utilisée) pour résoudre les structures tridimensionnelles des protéines. En eet, cette approche ne permettait de résoudre que des conformations rigides et uniques, ce qui laissait penser que chaque protéine adopte une conformation unique et permanente dans des conditions

physiolo-giques. Cependant, les avancés technologiques dès 1980 ont permis l'émergence d'une vision plus dynamique aux protéines et leurs interactions. Le développement de la RMN et d'autres méthodes spectroscopiques ont permis de détecter des conformations autres que les conformations fortement peuplées, ce qui a conduit à la découverte de la vraie diversité des protéines en solution. L'évolu-tion en matière de techniques génétiques associés à de nouveaux projets génomiques, a également contribué à la conclusion que de nombreuses protéines et régions protéiques ne peuvent former de structure stable lorsqu'elles sont isolées. Ce groupe de protéines, appelées Protéines Intrinsèque-ment Désordonnées (PID), ne peut être caractérisé par des structures uniques bien dénies, mais existe dans un ensemble de conformations rapidement interconvertibles.

Les trois modèles d'interactions protéine-protéine

A l'origine, des modèles variés ont été développés pour décrire les interactions enzyme-substrat. Désormais, ils sont également applicables de manière plus générale à des interactions protéine-protéine génériques. Il existe trois modèles principaux expliquant l'interaction entre deux protéine-protéines à l'état libre conduisant à la formation d'un complexe. Le premier modèle, le plus classique, est appelé le modèle clé serrure (Fischer, 1890). Il supporte l'idée que les deux partenaires doivent être complémentaires chimiquement et géométriquement au niveau de leurs interfaces d'interaction, sans induire quelconque changement conformationnel dans la forme libre et la forme liée des partenaires. Il s'applique surtout aux protéines globulaires. L'exemple de la trypsine et BPTI illustre bien ce modèle, car la structure des deux partenaires à l'état libre est bien dénie et reste inchangée à l'état lié. Cependant, beaucoup de protéines ne conservent pas la même conformation dans les deux états. Le deuxième modèle, nommé le mécanisme par ajustement induit (dit en anglais induced-t) (Koshland,1958 [24]), suggère une complémentarité imparfaite entre les deux partenaires. Et donc, lors de la liaison, la structure de l'un (ou des deux) change. Néanmoins, ces deux modèles supposent une conformation stable.

Le troisième modèle propose une autre explication en ce qui concerne les diérences confor-mationnelles entre les états non-liés et liés. Le concept de sélection conformationnelle dit que l'un des deux, ou même les deux partenaires adoptent de multiples conformations à basse éner-gie à l'état non-lié. La diérence entre les éneréner-gies libres de ces états détermine la distribution de la population de ces conformations. L'interaction entre les partenaires perturbe cet équilibre. La conformation du complexe adoptée ayant l'énergie la plus basse est diérente de la structure dominante à l'état non lié, et correspond à l'une des conformations alternatives d'énergie plus haute.

Pour illustrer ces mécanismes, on peut représenter l'espace conformationnel par le paysage énergétique des protéines, qui se traduit par une représentation où l'énergie de chacune d'entre elles est une fonction des degrés de liberté, comme par exemple les angles dièdres le long de la chaîne carbonée.

Les prols énergétiques de ces trois modèles

Les prols énergétiques des trois modèles cités précédemment sont représentés sur la gure I.4.

Fig. I.4: Représentation schématique des prols énergétiques des trois modèles d'interaction entre les protéines globulaires. (A) Le modèle clé-serrure, (B) le modèle ajustement induit, (C) le modèle sélection conformationnelle. L'énergie du système est dessinée selon une coordonnée unique de l'espace conformationnel. Les états initiaux et naux des protéines sont représentés par des points blancs et noirs respectivement. Les èches pleines décrivent les chemins de liaison, tandis que les èches en pointillés montrent les chemins de liaison avec des énergies défavorables. Cette gure est extraite de Meszaros, 2011 [25].

Le paysage énergétique des protéines globulaires bien repliées est comparé à un entonnoir, où il y a un grand nombre de conformations ayant une énergie haute (donc défavorable), et beaucoup moins de conformations à basse énergie. Le point le plus bas (le minimum global) représente l'unique structure native. Dans le modèle clé-serrure, les deux partenaires ont un minimum global bien déni à l'état non-lié, chacun ayant sa propre fonction énergétique correspondant à la conformation native. L'interaction entre ces deux partenaires conduit à une fonction d'énergie combinée qui a elle-même son propre minimum global unique où chaque partenaire conserve la conformation qu'il avait à l'état libre. Le modèle induced-t est similaire, à la diérence que le complexe formé ne correspond pas à un minimum énergétique. Le complexe va, à partir de cet état, atteindre le minimum global en réarrangeant la conformation de l'un ou des deux partenaires. Dans le concept de la Sélection conformationnelle, au moins un des partenaires a deux, voir plusieurs minima très prononcé séparés par une barrière énergétique. Lorsqu'ils interagissent ensemble, la conformation correspondant à l'un de ces minima est sélectionné par le partenaire.

L'importance de ce dernier modèle repose sur le fait qu'il peut prendre en compte l'hétéro-généité des protéines. Grâce aux développement des expériences RMN de relaxation dispersion [26], des conformations de haute énergie peu peuplées ont pu être détectées, ce qui a mis en évi-dence l'importance de ces conformations lors de la liaison. La généralisation de ce modèle peut être appliqué aux protéines intrinsèquement désordonnées. En eet, les PIDs décrivent un prol énergétique bien diérent des protéines globulaires. Tout d'abord, la diérence entre l'état com-plètement déstructuré des PIDs et l'énergie globale minimum est bien moins grande que pour les protéines bien repliées. De même, la diérence entre le minimum local et le minimum global

est petite. Et pour nir, ces minima locaux ne sont pas séparés par de grandes barrières énergé-tiques. Par conséquent, les états proches équivalents peuvent être facilement atteints. Les PIDs peuvent contenir des éléments structuraux préformés, comme les hélices α. Ces éléments peuvent être visualisés par peu de vallées plus profondes, mais l'apparence générale des prols énergé-tique ne change pas. Les PIDs forment ainsi une classe assez hétérogène et adoptent un équilibre dynamique avec un continuum de conformations interchangeables rapidement.

Les segments ordonnés des PIDs peuvent également adopter une structure bien dénie unique lorsqu'elles forment un complexe. Le prol énergétique du complexe qu'elles forment peut donc aussi ressembler à un entonnoir avec un minimum global unique. Cependant, ces protéines échan-tillonnent un grand nombre de conformations diérentes à l'état non-lié précédant l'interaction. Donc, la conformation nale est choisie à partir d'un ensemble de conformations au lieu d'un nombre limité de conformations (gure I.5).

Fig. I.5: Représentation schématique des ls énergétiques des interactions entre une pro-téine globulaire et une propro-téine intrinsèquement désordonnée (PID). L'énergie du système est dessiné contre une coordonnée unique de l'espace conformation-nel. Les états initiaux et naux des protéines sont repré-sentés par des points blancs et noirs respectivement. La protéine globulaire décrit un prol énergétique en forme d'entonnoir tandis que la PID décrit un prol plus plat et rude. Le complexe formé peut soit devenir complète-ment ordonné et représenté comme un entonnoir, soit retenir une certaine exibilité conduisant à un complexe dit ou en anglais fuzzy. Cette gure est extraite de Meszaros (2011) [25].

Les segments désordonnés ne deviennent pas toujours complètement ordonnés lors de la liaison, mais peuvent garder leur nature dynamique même dans une partie du complexe. C'est ce qu'on appelle les complexes ous dit fuzzy en anglais qui sont des complexes en partie désordonnés (gure I.5). La conformation adoptée dans le complexe peut reéter la préférence conformation-nelle à l'état non-lié, mais elle peut aussi être inuencée par le partenaire. En général, la exibilité intrinsèque des segments désordonnés leur permet de lier plusieurs partenaires, et les diérents niveaux de exibilité présents dans ces molécules et leurs complexes leur permet d'assurer leurs fonctions dans diérents cas.

Les avantages

 thermodynamiques :

Il a été décrit que le désordre intrinsèque du partenaire permet de découpler la spécicité de l'interaction de son anité. Cette propriété confère un avantage aux interactions des PIDs car les interactions hautement spéciques d'anité modérée sont souvent nécessaires dans les mécanismes de régulation et de transduction de signaux, où les interactions doivent pouvoir être rompues rapidement et ecacement [20; 27].

D'autre part, en conséquence des interconversions rapides d'une multitude de conformations, les PIDs ne présentent pas de charges discrètes pour leur partenaire, mais plutôt une charge électro-statique moyenne qui reète la charge nette du segment désordonné [28]. Les régions désordonnées sont des sites de phosphorylation prédominants [29], pouvant être reliés à la régulation des inter-actions à travers l'eet polyelectrostatique [28]. D'autres modications post-traductionnelles qui modient la charge nette d'une protéine et qui peuvent aussi avoir des eets polyelectrostatiques sont l'acétylation des résidus lysine et la modication avec l'ubiquitine ou la protéine SUMO. Grâce à cet eet électrostatique à longue portée, une protéine désordonnée contenant de multiples motifs de liaison peut interagir avec un récepteur structuré ne possédant qu'un seul site de liai-son [28]. La exibilité des régions désordonnées joue aussi un rôle très important pour assurer la fonction biologique. En eet, la exibilité de ces régions leur permet de faire des réarrangements conformationnels favorables, de manière à privilégier la distribution des charges selon le type d'in-teraction formée avec le ligand. De plus, le désordre augmentant la plasticité et la malléabilité des protéines, une même séquence protéique peut interagir avec diérents partenaires.

 stériques :

Le désordre conformationnel permet la liaison entre une PID avec une protéine repliée qui est dicilement accessible d'un point de vue stérique. Les PIDs peuvent se lier sur plusieurs surfaces d'un partenaire, l'enveloppant et augmentant ainsi la surface enfouie [30]. Les régions ordonnées peuvent toujours interagir avec les "linkers" désordonnés, facilitant ainsi un certain nombre de possibilité pour la régulation.

 par rapport à l'évolution :

Les eucaryotes représentent le domaine possédant le taux de PIDs le plus élevé. Or des études pré-cédentes ont montré que les régions désordonnées sont celles qui présentent les taux de mutations les plus élevés, sans que cela n'aecte ni la stabilité ni la fonction des PIDs. Seule l'accumulation de quelques mutations engendre ces conséquences. Ces deux informations combinées ensemble expliquerait comment les eucaryotes auraient pu évoluer rapidement pour devenir des organismes pluricellulaires complexes. De plus, la taille de la molécule augmentant avec la complexité, il fau-drait que les protéines structurées soient considérablement assez larges pour interagir. Le désordre, lui, aide à limiter la taille des protéines, ainsi que l'encombrement cellulaire [31].

 par rapport à l'activité catalytique :

Les uctuations atomiques avec un intervalle de temps rapide (ps-ns) peuvent faciliter les mouvements plus lents (µs-ms) qui ont une amplitude plus élevée et qui sont catalytiquement plus productifs [32]. La fréquence de ces mouvements concertés s'avère donc être limitante pour la réaction catalytique.

Les toxines : un modèle d'interaction

protéine-protéine

1 Le rôle des toxines dans l'infection par les

bactéries pathogènes