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Construction compositionnelle de la DRS de (6.11)

88 CHAPITRE 6. ADVERBIAUX DE LOCALISATION DANS LE DISCOURS

instructions pour l’interprétation de la suite du discours. On dit, pour cette raison, que le proces-sus d’indexation a un rôle structurant « vers l’avant » dans le discours, contrairement au procesproces-sus de connexion qui met en relation avec un élément situé « en arrière » dans le discours.

L’hypothèse d’encadrement du discours a été appliquée aux adverbiaux temporels et spatiaux (Le Draoulec et Péry-Woodley, 2003), (Charolleset al., 2005). Pour expliquer le rôle discursif de nos adverbiaux de localisation en position d’IP-Adj dans (Vieuet al., 2005), nous avons ad-mis l’hypothèse que les adverbiaux de localisation temporelle détachés à gauche sont des intro-ducteurs de cadres temporels5 et nous sommes appuyés sur l’analyse des cadres temporels de Le Draoulec et Péry-Woodley (2003).

6.5.1 Introducteurs de cadres et topiques de discours

Nous avons donc cherché à exprimer l’hypothèse d’encadrement temporel du discours avec les outils de la SDRT. Les cadres temporels tels que définis ci-dessus sont des segments de dis-cours – qu’il est possible de représenter par le regroupement de plusieurs constituants dans un segment complexe – et qui ont la particularité d’être « introduits ». En regardant de plus près le rôle discursif de nos adverbiaux de localisation, nous avons constaté qu’en plus de l’élargis-sement de la portée de leur fonction localisatrice, ils signalaient l’intention de l’auteur ou du scripteur de décrire dans la suite du texte un nouvel événement localisé de la sorte. C’est un peu comme si, par l’adverbial de localisation détaché, l’auteur signifiait « je vais te raconter quelque chose qui s’est passé à ce moment là ». Reprenons l’exemple (6.15 a) de Kamp et Rohrer (1983) qui nous a servi à illustrer la relation d’Elaboration au chapitre 3. (6.15 a) se laisse assez bien paraphraser par (6.15 b).

(6.15) (a) =(3.20)=(3.2)(a) L’été de cette année-là vit plusieurs changements dans la vie de nos héros. (b) François épousa Adèle, (c) Jean-Louis partit pour le Brésil et (d) Paul s’acheta une maison à la campagne.

(b) Cet été-là, François épousa Adèle. Jean-Louis partit pour le Brésil et Paul s’acheta une maison à la campagne.

En (6.15 b), l’introducteur de cadre temporelcet été-làsignale « je vais maintenant décrire un nouvel événement, éventuellement complexe et qui reste à spécifier, qui a eu lieu cet été-là».

Dans la suite de l’interprétation, les trois événements décrits seront effectivement bien localisés pendant « cet été-là ».

En examinant le corpus étudié par Le Draoulec et Péry-Woodley (2003), nous avons généra-lisé ce type d’observation, pour aboutir à la proposition faite dans (Vieuet al., 2005) qui consiste à traiter les introducteurs de cadres comme des introducteurs de nouveaux topiques de discours6. Ces nouveaux topiques dominent les constituants représentant les phrases qui sont dans la portée

5Cette hypothèse est certainement à préciser. Mai Ho Dac montre que la position à l’initiale de la phrase ne suffit pas à conférer à un adverbial de localisation le rôle d’introducteur de cadre temporel ou spatial. D’autres facteurs, comme la position textuelle (à l’initiale d’une section ou d’un paragraphe), sont à prendre en compte.

6Notre idée d’introduction d’un nouveau topique de discours, dont le contenu est ajouté à celui de l’adverbial de localisation, est confortée par les résultats des travaux de Bestgen et Vonk (2000) qui indiquent que les adverbiaux temporels adjoints du IP sont des marques de changement de topique. Nous ne discutons pas du statut de topique/thème phrastique de l’adverbial de localisation au sens de Charolles (2003) – même si nous avons noté plus haut que pour De Swart (1999) les IP-Adj sont des topiques, voir exemple (6.2 a), ni de la façon dont le topique phrastique dans la structure d’information en termes de topic/focus interagit avec le topique discursif (voir Gómez Txurruka, 1999).

6.5. RÔLE DISCURSIF 89

de l’introducteur de cadre. Ils sont sous-spécifiés au moment de leur introduction, et leur contenu sera déterminé par un ou plusieurs constituants à venir, à commencer par la représentation de la phrase à laquelle ils sont adjoints.

Nous avons vu au chapitre 3 que la SDRT a deux notions de topiques de discours : les topiques explicites, comme en (6.15 a) où la première phrase résume les trois suivantes ; et les topiques implicites, comme en (6.15 b). La construction d’un topique implicite n’est pas toujours possible, il faut en effet qu’il y ait un contenu commun aux deux constituants reliés, et que celui-ci soit non trivial, comme le montre l’exemple (6.16), un peu difficile à accepter.

(6.16) ? François épousa Adèle. Jean-Louis partit pour le Brésil et Paul s’acheta une maison à la campagne.

Cet exemple confirme aussi que chaque segment de texte narratif nécessite un topique pour être cohérent. Si on le compare avec (6.15 b), on remarque le rôle important que jouent les introduc-teurs de cadres temporels pour l’établissement de la cohérence discursive, rôle que nous tradui-sons par leur capacité à forcer l’introduction d’un topique implicite.

Ce rôle d’introducteur de nouveau topique s’avère être, dans certains cas, plus important que le rôle localisateur. Le Draoulec et Péry-Woodley (2003, 2005) montrent que la portée de la fonction de localisation de l’adverbial de localisation est souvent floue et ne coïncide pas toujours avec le segment dominé par le topique. Dans d’autres cas, illustrés dans (Vieuet al., 2006) par l’exemple (6.17), un introducteur de cadre réactive une localisation temporelle et son rôle ne s’explique que par un changement de topique.

(6.17) A partir des années 80, Mia Farrow, qui deviendra par la suite la seconde épouse de Woody Allen, s’illustre dans plusieurs de ses films, dontUne autre femme(1989),Alice (1990) ou encoreMaris et femmes(1992). Durant la même période, le comédien-cinéaste puise son inspiration chez Pirandello pourLa Rose pourpre du Caire(1985), Tchekhov pourHannah et ses sœurs(Oscar du Meilleur scénario en 1987), et Kafka pourOmbres et brouillard(1991).

Il nous reste maintenant à montrer comment on rend compte techniquement dans la SDRT de ce rôle d’introducteur de nouveau topique des adverbiaux de localisation, c’est ce que nous allons faire dans la section suivante.

6.5.2 Contribution à la structure du discours

Pour commencer, il faut montrer comment la position syntaxique de l’adverbial adjoint du IP modifie sa sémantique compositionnelle standard – celle que nous avons décrite en section 6.3 quand il est adjoint du VP et qui est de la formeλP λe (P(e)∧φ(e)). Cette représentation se trouve combinée, tout en haut de l’arbre syntaxique, avec celle qui est associée au nœud IP – de la forme∃π π : [ψ] – et qui n’est plus « combinable » car elle représente une phrase complète énoncée, donc un acte de langage (étiquetteπassociée à la SDRSψ).

On va considérer que la position d’IP-Adj donne à l’adverbial un statut discursif « auto-nome », donc on va chercher à lui donner le même type de représentation que celle qui est au niveau du nœud IP, c’est-à-dire celle d’un acte de langage. Techniquement, cette « autonomisa-tion » va se traduire par le passage deλP λe(P(e)∧φ(e))à∃P∃e(P(e)∧φ(e))au moyen du principe de « clôture existentielle » (Diesing, 1992). On a donc maintenant une proposition, qui peut constituer le contenu d’un acte de langage :

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∃π0 π0 : [∃P∃e0 (P(e0)∧φ(e0))]

La représentation de notre adverbial de localisation IP-Adj doit aussi exprimer que le nouvel acte de langage « autonome » π0 introduit est lié à celui de la phrase à laquelle il est adjoint, π, et que la relation qui les relie est une relation d’Elaboration carπ0 correspond au « nouveau topique » introduit par l’adverbial7:

∃π ∃π0 (π=? ∧π0: ([∃P∃e0 (P(e0)∧φ(e0))]∧Elaboration(π0, π)))

Cette représentation n’est pas encore complète, on doit en effet encore rendre compte de l’indexation temporelle, c’est-à-dire indiquer que la localisation temporelle ne s’applique pas uniquement àe0(l’éventualité sous-spécifiée deπ0) mais aussi aux éventualitésedes constituants dominés parπ0. On va pour cela « distribuer » la sémantique représentée parφdansπ. On définit φDistr de la façon suivante, dans laquelle l’inférence non monotone de la localisation autorise les limites du cadre temporel à être floues :

φDistr(e0) =def ∀e(P art(e, e0)> φ(e))

On doit enfin rendre compte de la « portée vers l’avant », en exprimant le fait que π0 dont l’éventualité n’est pas spécifiée, en dehors de sa localisation, va se comporter comme un topique vis à vis des constituants suivants. On crée pour cela une relation spécifique, notée∇, telle que π∇P signifie queP subsume π et que la mise à jour deπ est autorisée au moment de l’étape générale de mise à jour. Ce qui nous donne la formule suivante pour représenter un adverbial de localisation en position d’IP-Adj, qui est donnée également en figure 6.4 sous sa forme gra-phique :

∃π ∃π0 (π=? ∧π0: ([∃P∃e0 (P(e0)∧π∇P∧φDistr(e0))]∧Elaboration(π0, π))) π, π0

π=?

π0: P, e0 P(e0) π∇P φDistr(e0)) Elaboration(π0, π)

FIG. 6.4 – Représentation générale des adverbiaux de localisation en position d’IP-Adj