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CHAPITRE 1 : CONTEXTE DE LA RECHERCHE

1.3 Pertinence scientifique de cette étude

1.3.5 Rôle des habiletés de mise en correspondance graphophonologique

Les connaissances de mise en correspondance des unités graphiques avec des unités phonologiques sont considérées comme ayant un rôle fondamental dans le développement des représentations orthographiques (Share, 1995 ; 1999 ; 2004). Sprenger-Charolles et ses collaboratrices (1997; 1998, 2003) ont démontré clairement l’utilisation de ces connaissances par les jeunes lecteurs-scripteurs. L’identification des effets de régularité (les mots réguliers lus avec plus de précision que les mots irréguliers), de régularisation (des mots irréguliers lus ou produits comme étant des mots réguliers) ou de longueur (le temps de lecture varie en fonction du nombre de lettres dans les mots) démontre qu’en début d’apprentissage, l’apprenti procède à la mise en correspondance systématique de chaque unité graphique et de chaque unité phonologique lui correspondant en utilisant les plus petites unités pertinentes de sa langue. Par ailleurs, de nombreux auteurs confèrent à cette procédure un rôle d’autoapprentissage dans le développement des représentations orthographiques (Cunningham et coll., 2002 ; de Jong et Share, 2007 ; Share, 1995 ; 1999 ; 2004). Cette procédure continuerait à jouer un rôle important même dans des étapes plus avancées de l’apprentissage de la lecture-écriture. Un lien entre les habiletés précoces de mise en correspondance graphophonologique et la lecture de mots irréguliers serait également identifié. Ce lien peut s’expliquer par la théorie de l’autoapprentissage (Share, 1995 ; 1999 ; 2004 ; 2008), mais aussi par la théorie de la charge cognitive (Chanquoy et coll., 2007). L’utilisation fréquente de la procédure de mise en correspondance graphophonologique augmenterait les chances d’identifier les mots avec exactitude et rapidité et accélèrerait ainsi leur stockage dans le lexique orthographique. De ce fait, l’automatisation des connaissances de mise en correspondance graphophonologique permettra au système cognitif d’allouer au scripteur des ressources disponibles pour faciliter le stockage des représentations orthographiques des mots irréguliers (Chanquoy et coll., 2007).

Le degré de transparence d’un code créerait des variations quant au choix des unités de traitement (Ziegler et Goswami, 2005). Les langues présentant des relations consistantes entre les unités graphiques et les unités phonologiques faciliteraient cette mise en correspondance. Les codes orthographiques possédant une structure dans laquelle le nombre des graphèmes se

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rapproche de celui des phonèmes offrent aux enfants un nombre limité de combinaisons à retenir et à appliquer, alors que les systèmes orthographiques irréguliers imposeront l’apprentissage d’un nombre important de combinaisons possibles (Seymour et coll., 2003). S’appuyant sur l’idée que la syllabe serait l’unité de traitement privilégiée en français à l’oral (Delattre, 1966, dans Écalle et Magnan, 2015), il devient pertinent de déterminer si cette unité est également pertinente dans le traitement du langage écrit. Les résultats d’études suggèrent que la syllabe serait une unité de traitement signifiante lors de la mise en correspondance graphophonologique en français (Bastien-Toniazzo et coll.,1999 ; Colé et Sprenger-Charolles, 1999 ; Daigle et coll., 2010 ; Doignon et Zagar, 2006 ; Maïonchi-Pino et coll., 2010).

Peu d’études ont exploré les habiletés de mise en correspondance graphophonologique chez l’élève dysphasique francophone. Les rares études indiquent que les faibles habiletés de mise en correspondance graphophonologique pourraient s’expliquer par de faibles capacités d’accès et de manipulation des représentations phonologiques (Maillart et Schelstraete, 2010), par des difficultés à stocker en mémoire l’information visuelle des lettres ou des groupes des lettres avant même de procéder à une mise en correspondance (Magnan et Bouchafa, 1998) ou par de faibles capacités à maintenir ces différents types d’informations en mémoire afin de les manipuler selon un ordre sériel (Nithart, 2008). Bien qu’intéressantes, ces hypothèses ont été peu validées auprès des élèves dysphasiques francophones et aucune étude connue n’a été menée en contexte québécois. Enfin, selon les quelques données rapportées, toutes les composantes phonologiques, notamment la mémoire à court terme verbale, la dénomination rapide et la conscience phonologique semblent contribuer au bon fonctionnement des habiletés de mise en correspondance graphophonologique.

En conclusion à cette section, il est possible de dire que les connaissances orthographiques se développeraient progressivement avec la contribution de nombreuses connaissances, notamment des connaissances phonologiques (Daigle et coll., 2018). Les connaissances phonologiques semblent apporter une contribution particulièrement importante dans ce développement, surtout lors des premières phases d’apprentissage de la langue écrite (Share, 1995 ; 1999 ; 2004). De nombreuses composantes cognitives semblent contribuer à la fois au développement des connaissances phonologiques en mémoire à long terme, mais aussi à leur

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récupération lorsqu’elles sont sollicitées dans diverses tâches de traitement de mots écrits. Si le rôle de certaines de ces composantes cognitives semble plus clair, notamment pour la conscience phonologique et pour la mise en correspondance graphophonologique, pour d’autres, leur apport à l’acquisition de la langue écrite reste plus flou. Tel est le cas de la dénomination rapide et la mémoire à court terme verbale. D’autres études sont nécessaires pour bien comprendre leur apport au développement du lexique orthographique.

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BILAN DE LA PARTIE 1 ET QUESTION GÉNÉRALE DE RECHERCHE

La faible maîtrise du langage oral chez la population d’élèves dysphasiques pourrait avoir comme conséquence l’apparition des difficultés d’acquisition de la langue écrite. Un corpus important de données semble suggérer des performances inférieures à la norme en lecture et en production orthographique chez ces apprenants. Rappelons d’abord l’importance du lien entre le volet oral et le volet écrit dans les langues alphabétiques telles que l’anglais ou le français. Les apprenants évoluant dans de telles orthographes devront aborder l’apprentissage de l’écrit en ayant des connaissances solides du volet oral. Les représentations phonologiques, également nécessaires à la mise en place de plusieurs activités cognitives telles que les habiletés de conscience phonologique, de mise en correspondance graphophonologique, de mémoire à court terme verbale ou encore de dénomination rapide et automatisée, seraient grandement sollicitées dans les premiers apprentissages de la lecture-écriture. Or, de nombreuses données soutiennent l’idée d’une limitation dans le développement des représentations phonologiques chez l’élève dysphasique. Malgré la présence d’un corpus important de données appuyant l’idée d’une sous-spécification de ces représentations chez cette population d’élèves, peu de données issues de travaux francophones expliquent la nature de ces difficultés. De plus, les théories actuelles portant sur le développement des connaissances orthographiques soutiennent que ces dernières s’acquièrent de manière dynamique et que l’apprenant fera appel à différentes connaissances pour lire ou produire un mot, notamment à ces connaissances partielles sur l’orthographe spécifique des mots qu’il connait. Une fois de plus, la plupart des résultats portant sur le développement des représentations orthographiques chez les élèves dysphasiques sont issus des travaux anglophones. Les quelques études francophones mentionnées dans cette brève revue permettent une compréhension parcellaire de ce développement. Dans ce sens, nous croyons que notre étude, par sa méthodologie exploratoire, pourrait contribuer à décrire les connaissances orthographiques chez cette population d’élèves. À notre connaissance, peu d’études portant sur les connaissances orthographiques chez les élèves dysphasiques ont été menées au Québec (Gagnon-Nault, 2016 ; Godin et coll., 2018). Aucune des études mentionnées n’avait visé l’objectif de mettre en relation des performances à des épreuves sollicitant les connaissances orthographiques avec des scores issus d’épreuves de mémoire à court terme verbale, de dénomination rapide et automatisée, de conscience phonologique et

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de mise en correspondance graphophonologique. Or, le bref état des connaissances dressé en ce qui a trait à ces quatre types d’habiletés phonologiques suggère que peu d’études ont exploré le rôle de ces habiletés dans l’acquisition de la langue écrite chez l’apprenant dysphasique francophone. À la lumière de ce bilan, nous formulons la question générale de recherche suivante :

Quel est le rôle des facteurs phonologiques dans le développement des connaissances orthographiques chez les élèves dysphasiques ?

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