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CHAPITRE 3 : LIEN ENTRE LA LECTURE ET LA PRODUCTION ORTHOGRAPHIQUE DE MOTS

3.1 Données théoriques sur les liens entre la lecture et la production de mots écrits

3.1.2 Modélisation de Daigle, Berthiaume, Ruberto et Wolter

Plus récemment, Daigle et ses collaboratrices (2018) ont présenté un modèle interactif qui pourrait nous aider à compléter notre compréhension des liens entre la lecture et la production orthographique. Ce modèle présente l’intérêt de tenir compte à la fois de l’activité de lecture et de l’activité de production orthographique. Dans ce modèle, tant les procédures que les

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connaissances activées au moment des deux activités sont considérées. Cette modélisation prévoit également une composante centrale pour laquelle un certain niveau d’automatisation est nécessaire afin de favoriser le développement des procédures reliées à la lecture et à la production orthographique. Ce modèle prévoit également de décrire les activités mentales associées aux deux activités tout en prévoyant l’implication d’une multitude de connaissances de nature phonologique, orthographique, visuelle, sémantique et syntaxique. Finalement, de la même façon que dans la modélisation d’Ehri (1997), ce modèle prévoit l’implication de nombreuses procédures pour lire et produire des mots écrits, des procédures : 1) de mise en correspondance entre les graphèmes et les phonèmes (décodage et encodage dans le modèle) ; 2) de traitement des mots écrits par analogie ; 3) de traitements visuel et visuo-orthographique et 4) de traitements morphosyntaxique et syntaxique (voir figure 3.1).

Figure 3.1 Modèle interactif de reconnaissance et de production de mots écrits

Tiré de : Daigle, Berthiaume, Ruberto et Wolter (2018)

a) Procédure de décodage et d’encodage

Selon Daigle et ses collaboratrices (2018), pour lire des mots, le décodage, c’est-à-dire la mise en correspondance entre les unités graphiques et des unités phonologiques, permet d’abord au lecteur d’identifier un mot écrit et de le segmenter en unités orthographiques distinctes

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associées à une valeur phonologique correspondante (p. ex., moto pour /m/-/o/-/t/-/o/). Ces unités orthographiques-phonologiques seront ensuite assemblées et associées à la prononciation du mot (silencieuse ou à haute voix). Cette représentation phonologique activera le sens du mot si ce dernier est enregistré en mémoire. Inversement, l’encodage permet au scripteur de segmenter le mot oral activé en unités phonologiques (p. ex., /m/-/o/- /t/-/o/ pour moto) afin d’associer chaque unité identifiée à une séquence orthographique, puis de produire la séquence orthographique attendue si le mot est connu ou une séquence phonologiquement plausible si le mot n’est pas connu. Ainsi, selon ce modèle, décoder et encoder sont des procédures qui impliquent des connaissances orales et écrites et des processus linguistiques bien intégrés. Le bon fonctionnement de ces deux procédures nécessite la mise en place d’une multitude d’opérations complexes. Par exemple, le décodage implique : 1) l’identification des unités graphiques pouvant être de nature phonologique (graphème ou syllabe) et morphologique ; 2) la segmentation de ces unités ; 3) l’association d’une valeur phonologique à chaque unité ; 4) l’assemblage de ces unités et 5) l’accès au sens. Dès que le l’apprenant dispose d’une instruction formelle de la littératie pour accumuler ces connaissances (phonologiques, visuo-orthographiques, morphologiques), ces informations pourraient être disponibles pour une utilisation dans des opérations complexes associées au décodage ou à l’encodage.

b) Les procédures analogiques

De la même manière que Ehri (1997), dans ce modèle le lecteur-scripteur pourra profiter des procédures analogiques pour lire ou produire des mots (Goswami, 2002 ; Nunes et coll., 2006). Le traitement des mots par analogie présuppose la présence de connaissances lexicales emmagasinées, incluant des connaissances phonologiques, orthographiques et morphologiques. Les apprentis qui utiliseront cette procédure se serviront de l’ensemble des connaissances dont ils disposent pour lire ou écrire les mots. Par exemple, en lecture, ils pourraient tirer profit de leurs connaissances visuo-orthographiques et phonologiques pour lire le mot train à partir du mot main. En écriture, le scripteur pourrait anticiper l’orthographe correcte en se basant sur l’analogie morphologique à partir d’un mot ayant le même morphème (p. ex., les mots jardinage et jardin). Bien qu’il ne soit pas toujours clair, tant en

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reconnaissance qu’en production de mots, quelle est la nature exacte des connaissances servant aux traitements de mots par analogie, compte tenu des liens qu’entretiennent les propriétés phonologiques, morphologiques et visuo-orthographiques des mots, de nombreuses données ont démontré toutefois que cette procédure serait un moyen efficace pour apprendre et à accéder à de nouveaux mots, à condition que des connaissances lexicales de référence soient disponibles dans le lexique mental (Ruberto et coll., 2016).

c) Procédures visuo-orthographiques et visuelles

Le lecteur-scripteur peut également considérer les propriétés visuelles et visuo- orthographiques des mots pour s’aider à traiter des mots écrits (Ans et coll., 1998 ; Bosse et coll., 2007). Selon Daigle et ses collaboratrices (2018), les propriétés visuelles des mots impliquent les informations générales des mots, telles que le nombre de lettres dans le mot, l’ordre de lettres ainsi que des caractéristiques visuo-orthographiques qui ne peuvent pas être traitées à l’aide des informations phonologiques ou morphologiques (voir section 2.2 pour la présentation de propriétés visuo-orthographiques). Tant en reconnaissance qu’en production de mots, l’apprenant tiendra compte de ces propriétés pour s’approcher de la norme.

d) Procédures morphosyntaxiques et syntaxiques

Finalement, le modèle de Daigle et ses collaboratrices (2018) prévoit l’implication des informations morphosyntaxiques et syntaxiques lors du traitement des mots écrits. Selon les auteurs, les apprenants utiliseraient le contexte de la phrase et les informations morphosyntaxiques s’y trouvant pour déterminer si les mots lus ou écrits sont sémantiquement plausibles et grammaticalement acceptables tant en lecture qu’en production écrite. Par exemple, pour déterminer la terminaison verbale du verbe manger dans Marie mange une

pomme, le scripteur doit 1/ déterminer si le sujet est à la 3e personne du singulier et 2/ ajouter la terminaison appropriée en référence aux connaissances morphologiques disponibles dans son lexique. En lecture, l’enfant pourra reconnaitre un mot en l’anticipant selon le sens de la phrase. Pour illustrer cet énoncé, prenons l’exemple d’une tâche pour compléter une phrase. Pour terminer la phrase dans l’exemple Marie aime ses clients, l’élève devra choisir le mot le

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plus adéquat pour finir l’énoncé Elle est une excellente ___________________ (coiffeuse, coiffer, coiffure, coiffeur, etc.). Pour ce faire, l’élève aura besoin de 1/ déterminer la classe grammaticale du mot final au regard d’une analyse syntaxique et 2/ choisir la bonne cible parmi les choix possibles (p. ex., Marie est un nom féminin, donc le sujet doit être remplacé par un autre nom ou par un pronom féminin).

En conclusion, tant dans le modèle de Daigle et ses collaboratrices (2018) que dans celui d’Ehri (1997), nous retrouvons l’implication des procédures de décodage - encodage et de reconnaissance-production de mots écrits par analogie. Bien que ces procédures permettent de traiter des mots sur la base d’informations phonologiques et morphologiques, elles ne sont pas suffisantes pour lire-produire l’ensemble des mots d’une orthographe aussi complexe que celle du français. Si la position d’Ehri (1997) ne donne pas d’informations sur le traitement des informations visuelles des mots, Daigle et ses collaboratrices (2018) ajoutent une composante qui serait responsable de la prise en charge des informations visuelles et visuo- orthographiques des mots liées au respect de la norme orthographique. Les composantes permettant de traiter des informations d’ordre morphosyntaxique et syntaxique, des connaissances non négligeables dans la reconnaissance-production de mots écrits sont également présentes dans cette modélisation. Dans les deux modèles, nous retrouvons l’idée que chaque type de procédure implique l’intégration de connaissances linguistiques de différentes sources. En outre, les deux modèles rejettent l’idée d’une mise en place hiérarchique des procédures de reconnaissance-production de mots écrits. Les flèches à double sens dans la modalisation proposée par Daigle et ses collaboratrices (2018) indiquent clairement l’activation conjointe de ces procédures ainsi que leur étroite interaction pour assurer la réussite de la tâche (Rittle-Johnson et Siegel, 1999), et ce, tant en reconnaissance qu’en production de mots écrits.

3.2 Données empiriques sur le lien entre lecture et la production de mots écrits chez les