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CHAPITRE 6 : RÔLE DE LA DÉNOMINATION RAPIDE ET AUTOMATISÉE DANS LE

7.1 Définitions en lien avec le concept de conscience phonologique

Pour lire-écrire dans un système alphabétique comme celui du français, l’apprenant doit se représenter explicitement la parole comme étant composée de segments phonologiques plus petits que les mots. Ces segments, pouvant être divisés en unités syllabiques (les syllabes) et

infrasyllabiques (les rimes et les phonèmes), sont abstraits et combinables entre eux. Les

études longitudinales et d’entrainement ont démontré que les habiletés de conscience phonémique ne se développent pas grâce à la maturation cognitive, mais plutôt grâce à la pression environnementale (Demont et Gombert, 2007). Ainsi, l’enseignement de la lecture- écriture amènera l’enfant à comprendre le fonctionnement du système alphabétique qui consiste en une mise en correspondance systématique entre des unités graphiques, une lettre ou un groupe de lettres (les graphèmes), et des unités phonologiques, les phonèmes. Pour ce faire, l’enfant mobilisera des capacités métaphonologiques qui correspondraient aux capacités à […] identifier les composants phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler de

manière délibérée (Gombert, 1990, p. 29). Le terme de conscience phonologique est utilisé

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Insistant sur le fait que l’enfant dispose d’un bagage de représentations phonologiques stockées dans sa MLT grâce à ses expériences langagières précoces, Gombert (1990; 1992) distingue deux modes de traitement des unités phonologiques selon la capacité d’accéder ou non à la conscience. Le traitement de type épiphonologique ferait référence à un traitement portant sur des unités n’étant pas directement disponibles ou manipulables. À ce stade, même si l’enfant n’est pas en mesure de faire un travail métacognitif sur la structure phonologique de sa langue, il est toutefois capable de faire une analyse phonologique rudimentaire du langage oral. Par exemple, il sera capable d’inventer des rimes à partir d’un mot connu ou de séparer un mot en unités syllabiques. Progressivement, sous l’influence de l’enseignement formel de la lecture-écriture ou d’un entrainement spécifique des habiletés phonologiques (Gombert, 2004; Demont et Gombert, 2007), une prise de conscience des unités traitées se mettra en place. Contrairement au traitement épiphonologique, grâce à cette réflexion

métaphonologique, les unités phonologiques feront l’objet d’un travail cognitif réfléchi et

intentionnel (Gombert, 1990).

Il est admis actuellement que la conscience phonologique et l’apprentissage de la lecture entretiennent une relation circulaire (Demont et Gombert, 2007) et se développent en interaction tout en se renforcent mutuellement (Castles et Coltheart, 2004; Demont et Gombert, 2007; Écalle et Magnan, 2015). Expliquer cette relation n’est pas une simple démarche. Pourquoi les enfants turcs non - lecteurs présentent-ils de bonnes performances de sensibilité phonémique (Durgunoğlu et Oney, 1999), alors que la plupart des données avancent l’idée que le phonème est découvert surtout sous la pression d’un entrainement spécifique? Pourquoi voit-on des enfants qui présentent de bonnes performances en segmentation phonologique alors qu’ils ont de faibles habiletés en lecture?

Une manière d’expliquer le lien entre les habiletés de conscience phonologique et les habiletés de lecture-écriture est d’avancer l’argument selon lequel la conscience phonologique, et plus particulièrement la conscience phonémique, « n’émerge pas spontanément, ni comme résultat de la maturation de la machinerie linguistique (linguistic machinery, Bertelson et De Gelder, 1989), ni comme résultat de la pratique de l’expression orale, mais est une conséquence de l’apprentissage de la lecture » (Demont et Gombert, 2007, p. 57). Des études impliquant des

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adultes illettrés confirment cette hypothèse dans la mesure où seuls des ex-illettrés arrivent à développer une sensibilité phonémique en comparaison avec des adultes illettrés (Lukatela et coll., 1995). De la même façon, les adultes qui ont appris à lire dans un système logographique présentent une sensibilité phonémique très faible (Demont et Gombert, 2007).

Anthony et Lonigan (2004) proposent une explication alternative du lien entre la conscience phonologique et la lecture-écriture en invoquant le terme de sensibilité phonologique. Adhérant à l’idée d’un continuum de développement, les tenants de cette vision proposent un changement allant d’un traitement simple vers des traitements plus complexes. Ainsi, la conscience phonologique se développerait suivant deux axes parallèles, selon le niveau de conscience requis par la tâche et selon la taille de l’unité phonologique impliquée. Un niveau de progression des unités de traitement est désigné comme allant de l’unité la plus large, le mot, en passant par l’unité syllabique et les unités infrasyllabiques (rime et attaque), pour arriver au phonème. Un niveau de progression quant au niveau de complexité de la tâche a également été proposé. Les enfants auront plus de facilité dans un premier temps à identifier des unités de traitement, pour ensuite les manipuler (segmenter, fusionner ou supprimer) (Anthony et Lonigan, 2004; Anthony et coll., 2003).

Concernant les unités phonologiques de traitement, il existerait deux progressions inverses. Une première modélisation propose une progression allant des unités larges vers les plus petites unités. Au préscolaire, les enfants seraient davantage sensibles aux unités phonologiques les plus saillantes (les syllabes) alors que plus tard, ils développeraient une sensibilité pour les unités plus petites, moins perceptibles puisque coarticulées (Écalle et Magnan, 2015). Une proposition alternative, adoptant la position de l’influence de l’apprentissage de la lecture-écriture sur le développement des habiletés en conscience phonologique, avancerait l’idée d’un passage des plus petites unités vers les plus larges. Cette progression serait influencée par le perfectionnement de la capacité de mise en correspondance graphophonologique qui initialement se focalise sur les plus petites unités, les phonèmes. Dès qu’une certaine automatisation dans les relations graphèmes-phonèmes s’installe, les apprentis lecteurs-scripteurs s’intéressent aux unités plus larges, en occurrence les rimes ou encore les syllabes (Doignon et Zagar, 2006 ; Chetail, 2012) pour un traitement

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plus rapide et plus efficace contrairement au traitement graphophonémique beaucoup plus coûteux sur le plan cognitif. Les études interlangues démontrent que ces deux positions ne sont pas contradictoires et que le degré de transparence d’un code orthographique pourrait influencer le choix de l’unité de traitement (Ziegler et Goswami, 2005). Or, une très grande partie des résultats portant sur les relations qu’entretiennent les habiletés de conscience phonologique et la lecture-écriture ont été réalisés dans un contexte anglophone chez les sujets ayant un développement langagier typique ou chez les dysphasiques.

7.2 Données sur le rôle de la conscience phonologique dans l’acquisition de la lecture-