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CHAPITRE 5 : RÔLE DE LA MÉMOIRE À COURT TERME VERBALE DANS LE DÉVELOPPEMENT

5.1 Définitions reliées au concept de mémoire à court terme verbale

Le domaine de recherche sur la MT/MCT comporte actuellement plus d’une trentaine de modèles théoriques (Majerus, 2013, pour une synthèse). Bien que les modélisations les plus récentes tendent à ne pas distinguer ces deux types de mémoires, il est généralement admis que la MCT fait référence aux systèmes et processus permettant le stockage passif et provisoire des informations verbales (mémoire à court terme verbale) ou visuo-spatiales (mémoire à court terme visuo-spatiale), alors que la MT fait référence aux traitements de stockage actif, tels que la manipulation, la coordination et la mise à jour des informations. Majerus (2018) indique que ces modèles ne sont pas en opposition dans la mesure où, peu importe la vision théorique adoptée, des composantes dédiées à la fois au stockage passif et aux processus de stockage actif sont présentes. Par ailleurs, l’évaluation des capacités en mémoire à court terme verbale implique la prise en compte de nombreuses variables qui

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dénotent l’implication à la fois des processus de stockage passif d’informations verbales ainsi que de manipulation et de traitement des informations mémorisées (Majerus, 2016).

Le modèle de la MT initialement élaboré par Baddeley et Hitch (1974) et revu par Baddeley (2003; 2010) a servi de référence pour examiner les déficits de la MT. La plus récente variante de ce modèle comporte quatre composantes (figure 5.1) : 1) l’unité de gestion centrale; 2) la boucle phonologique; 3) la tablette visuospatiale et 4) le tampon épisodique, appelé aussi tampon sémantique (Baddeley, 2010). Le rôle de l’unité de gestion centrale est de répartir les ressources attentionnelles, de réguler le flot des informations en MCT/MT, de contribuer à la récupération des informations en MLT, de sélectionner les stratégies cognitives et de coordonner les traitements et le stockage des informations (Baddeley, 2003; 2010; 2012; Chanquoy et coll., 2007; Cordier et coll., 2007). La tablette visuo-spatiale serait impliquée quant à elle dans le stockage passif et temporaire des informations visuelles et spatiales. Ce système esclave comporte deux sous-composantes : le cache visuel qui a le rôle de stockage passif et le scribe interne qui présente la fonction de rafraichir l’information stockée dans le cache visuel et qui serait sensible à l’arrivée de nouvelles informations. Quant à la boucle

phonologique, également reconnue sous l’appellation de mémoire à court terme verbale

(Majerus, 2018), elle est spécialisée dans le stockage passif et temporaire de l’information verbale. Cette composante, de la même manière que la tablette visuospatiale, comporte deux sous-composantes : le stock phonologique et la récapitulation articulatoire. Le stock phonologique a le rôle de recevoir les informations verbales et de les entreposer sous forme de codes phonologiques, et ce, pendant une durée de temps très limitée, environ 2 secondes (Poncelet et Van der Linden, 2003). La récapitulation articulatoire, quant à elle, a le rôle de maintenir l’information verbale en MCT et de la réintroduire continuellement dans le stock phonologique (Baddeley, 2003; 2010; 2012; Poncelet et Van der Linden, 2003). En d’autres mots, elle permet de rafraichir l’information contenue dans le système de stockage en la réactivant en continu afin de prévenir la dégradation naturelle des traces mnésiques. Elle aurait également le rôle de convertir les informations visuelles issues de la tablette visuo-spatiale en représentations phonologiques. Ainsi, tout stimuli visuel, mot ou dessin verbalisable, peut être converti en code phonologique et dirigé vers le stock phonologique pour un éventuel traitement (Chanquoy et coll., 2007). Finalement, le tampon épisodique a comme fonction

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principale de servir d’espace de stockage des informations découlant de différentes sources, notamment de la boucle phonologique et de la tablette visuospatiale, mais aussi de l’unité de gestion centrale et de la MLT en une représentation unique, temporaire et multimodale (Baddeley, 2003; 2010; 2012; Baddeley et Hitch, 2019).

Figure 5.1 : Le modèle de la MT de Baddeley (2010)

Tiré de Baddeley (2010)

Selon la modélisation de Baddeley (2003; 2010; 2012), certaines composantes, notamment la boucle phonologique ou encore la tablette visuospatiale, sont dédiées davantage au stockage passif, alors que l’unité de gestion centrale a un rôle de manipulation des informations. Dans notre étude, nous nous intéressons particulièrement au stockage de l’information verbale. Selon l’architecture cognitive de Baddeley (2003; 2010; 2012), c’est la boucle phonologique qui est responsable de ce traitement. De récentes conceptualisations théoriques apportent des données sur les liens entre la mémoire à court terme verbale et d’autres composantes cognitives tout en remettant en question son indépendance. Entre autres, Majerus et ses collaborateurs (Majerus et coll., 2009a; 2009b; Majerus, 2009; Majerus, 2018) adoptent une vision plus intégrative de la mémoire à court terme.

En s’inspirant de nombreux modèles de la MCT/MT, Majerus (2018), dans sa plus récente modélisation, propose un modèle intégratif et suggère trois composantes fondamentales (figure 5.2) : 1) l’activation des bases de connaissances en MLT (représentations

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phonologiques et lexico-sémantiques); 2) des mécanismes spécifiques pour le traitement et le maintien de l’ordre sériel et 3) des processus de contrôle attentionnel et exécutif. De façon plus précise, l’activation des bases de connaissances en mémoire à long terme implique le recrutement des connaissances langagières lors du stockage à court terme, notamment lors des tâches impliquant la mémoire à court terme verbale. Des représentations phonologiques ou encore lexico-sémantiques peuvent être sollicitées dans ce type de tâche. En ce qui a trait au système de traitement de l’ordre sériel, des données empiriques montrent l’existence de mécanismes spécifiques pour la représentation de l’ordre sériel dans lequel les stimulus à mémoriser ont été présentés. Finalement, la composante de contrôle attentionnel et exécutif, processus indispensable au maintien d’informations dans un format actif et accessible à la conscience, est également prévue.

Figure 5.1 Modèle des différentes composantes de la MCT/MT

(tiré de Majerus, 2018)

L’apport le plus important du modèle proposé par Majerus et ses collaborateurs (Majerus et coll., 2009; Majerus, 2009a; 2009b; Majerus, 2018) implique la remise en question de l’indépendance de la boucle phonologique et de la tablette visuospatiale, telle que modélisée par Baddeley et ses collaborateurs (Baddeley et Hitch, 1974; Baddeley, 2003; 2010; 2012), des connaissances à long terme. De récentes données montrent qu’en réalité ces dernières jouent un rôle déterminant dans le stockage à court terme (Majerus, 2016). Entre autres, la présence d’un effet de lexicalité indique que des listes de mots sont plus facilement rappelées que des listes de non-mots. D’autre part, il a été démontré que les capacités attentionnelles interviennent même dans des tâches de mémoire à court terme (Majerus et coll., 2009), alors

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que l’unité de gestion centrale telle que conceptualisée par Baddeley et ses collaborateurs (Baddeley et Hitch, 1974; Baddeley, 2003; 2010) ne devait jouer aucun rôle dans des épreuves de rappel simple. Finalement, l’aspect le plus novateur du modèle proposé par Majerus et ses collaborateurs (Majerus et coll., 2009; Majerus, 2009; Majerus, 2018) est l’ajout de la composante d’ordre sériel qui est un facteur considérable à prendre en compte lors de l’évaluation des capacités en MCT.

Dans notre étude, nous nous intéressons exclusivement à la composante de la mémoire à court terme verbale. D’une part, de nombreuses données théoriques et empiriques portant sur les capacités en mémoire à court terme verbale chez l’enfant dysphasique indiquent la présence de difficultés importantes (Rispens et Baker, 2012). Selon ces auteurs, ces difficultés seraient notamment responsables d’un apprentissage lent et laborieux du langage oral chez cette population d’enfants. D’autre part, un nombre important de données théoriques et empiriques indiquent la présence d’un lien entre les difficultés en mémoire à court terme verbale et les faibles acquis scolaires (p.ex., Attout et coll., 2014; van der Donk et coll., 2015), et plus particulièrement de la langue écrite (p.ex., Martinez et coll., 2012; Swanson et coll., 2009). Prenant appui sur l’idée que les habiletés en mémoire à court terme verbale contribueraient au développement des connaissances lexicales orales (Baddeley, 2003; Gathercole et Baddeley, 1990; Majerus et coll., 2006; Ordonez Margo et coll., 2018), notamment phonologiques et sémantiques, et considérant que ces connaissances sont sollicitées dans le développement des connaissances orthographiques (Daigle et coll., 2018), il devient important de comprendre les liens entre la mémoire à court terme verbale et la construction du lexique orthographique.

Enfin, l’évaluation des capacités en mémoire à court terme verbale implique l’examen de plusieurs composantes, telles que le stock phonologique, la récapitulation articulatoire ou encore les capacités d’ordre sériel. Des épreuves de reconnaissance (identification) et de rappel (produire ou reconstruire) de séries d’items peuvent être utilisées pour évaluer les capacités en mémoire à court terme verbale. Les épreuves de reconnaissance impliquent d’identifier correctement une information préalablement présentée parmi différentes possibilités. La réussite d’une telle tâche nécessite la disponibilité en mémoire des informations à traiter. Les tâches de rappel impliquent de reproduire un matériel présenté

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antérieurement. Pour que le rappel soit efficient, l’information doit être accessible. Généralement, il est plus facile d’identifier/reconnaitre que de rappeler des informations. Enfin, le modèle de Majerus (2018) servira de référence pour présenter quelques façons d’évaluer les capacités en mémoire à court terme verbale.

Si l’objectif d’évaluation est d’avoir une première estimation des capacités fonctionnelles de la mémoire à court terme verbale, les tâches suivantes pourraient être administrées : 1) tâche de rappel sériel immédiat de mots et de non-mots; 2) tâche de rappel sériel immédiat de mots longs et de mots courts ou encore 3) tâche de rappel sériel immédiat de mots similaires ou dissimilaires. Dans chacune de ces épreuves, c’est l’empan mnésique qui sera identifié. Plus précisément, le participant doit retenir l’information de manière passive et la reproduire sans la transformer. Des listes de chiffres, de mots ou de non-mots en ordre et d’amplitude croissante (de 2 à 9 éléments) sont présentées. Le participant doit retenir chaque série pour la reproduire avec la même exactitude comme elle lui a été énoncée. L’empan verbal, c’est-à- dire l’amplitude de la mémoire à court terme, correspond au nombre d’éléments de la plus longue séquence reproduite sans erreur (Soprano, 2009). Finalement, la tâche de répétition de

pseudo-mots qui consiste à faire répéter des items de longueur croissante est fréquemment

utilisée bien que cette dernière semble moins sensible pour évaluer spécifiquement les capacités de la mémoire à court terme verbale (Archibald et Gathercole, 2006; 2007; Archibald et coll., 2009; Poncelet et Van der Linden, 2003). Pour une analyse plus spécifique de la mémoire à court terme verbale, deux variables peuvent être considérées, l’item et l’ordre sériel. La variable item permet de déterminer si les compétences mnésiques sont associées à des items spécifiques (un mot dans une liste de mots, les mots plutôt que les pseudo-mots, les mots plutôt que les nombres, etc.). La variable ordre sériel permet de qualifier les habiletés mnésiques en fonction de la capacité d’un individu de rappeler non seulement les items, mais de les rappeler dans l’ordre dans lequel ils ont été présentés.

Dans cette section, nous avons défini les principaux aspects reliés à la composante cognitive de la mémoire à court terme verbale. À la lumière des modèles de référence présentés, les composantes « item » et « ordre sériel » seront évaluées dans notre étude. Dans les deux prochaines sections, nous présentons des données portant sur le lien entre cette composante

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cognitive et l’acquisition de la langue écrite. Rappelons que la pertinence d’explorer ce lien semble justifiée dans la mesure où des faibles capacités en mémoire à court terme verbale seraient associées aux facteurs cognitifs questionnés dans le déficit d’acquisition de la langue écrite (Ramus, 2010).

5.2 Données sur le rôle de la mémoire à court terme verbale dans l’acquisition de la