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Données sur le rôle de la mise en correspondance graphophonologique dans l’acquisition de la lecture-

CHAPITRE 8 : RÔLE DE LA MISE EN CORRESPONDANCE GRAPHOPHONOLOGIQUE DANS LE

8.2 Données sur le rôle de la mise en correspondance graphophonologique dans l’acquisition de la lecture-

Dans les prochaines sections, quelques données issues des travaux portant sur les habiletés de mise en correspondance graphophonologique sont présentées. Nous détaillons d’abord des données portant sur les habiletés de mise en correspondance graphophonémique. Nous terminons par exposer les données issues des études ayant évalué les habiletés de mise en correspondance graphosyllabique.

8.2.1 Correspondances graphophonémiques

Les langues alphabétiques ont la caractéristique commune d’utiliser des unités écrites, les graphèmes, pour noter les phonèmes. Plusieurs études ont été menées pour déterminer si le graphème est une unité de lecture. Certaines d’entre elles ont impliqué des participants adultes (p. ex., Rastle et Coltheart, 1998; Rey et coll., 1998; 2000), d’autres se sont surtout interrogées sur la pertinence du graphème lors de la lecture-écriture chez les jeunes lecteurs-scripteurs ayant un développement normal des compétences en lecture-écriture (p. ex., Commissaire et coll., 2018; Sprenger-Charolles et coll., 1998; 2003), alors que d’autres ont évalué ces compétences chez les élèves présentant des difficultés d’acquisition de la langue écrite (p.ex., Cole et Sprenger-Charolles, 1999; Daigle et coll., 2013; 2012). Au moins deux variables importantes ont été examinées dans ces études. La première concerne la complexité

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graphémique. Ainsi, il serait plus facile d’identifier une lettre lorsqu’elle correspond à un graphème simple (/a/ dans avion) que lorsqu’elle fait partie d’un graphème complexe (/a/ dans auto). La deuxième variable concerne le nombre de graphèmes. Il a été démontré qu’il est plus facile d’identifier un mot composé de moins de graphèmes (main) qu’un mot constitué de même nombre de lettres, mais de plus de graphèmes (maïs). Dans les prochains paragraphes, nous présentons quelques données ayant examiné ces deux variables.

Par exemple, dans l’étude menée par Sprenger-Charolles et ses collaboratrices (1998) la variable de complexité graphémique a pu être étudiée. Cette étude a été menée auprès des enfants francophones âgés de 6 ans qui ont été soumis à une tâche de lecture et de production (dictée) de mots et de pseudo-mots en janvier et en juin. La complexité graphémique a été manipulée et les enfants devaient lire ou produire des items contenant des graphèmes simples (p. ex., abri) ou encore des graphèmes complexes tels que ch ou ou (p.ex., poche, tour). Une analyse portant sur les taux d’erreurs montre qu’en janvier de la 1re année, les enfants produisent plus d’erreurs sur les mots contenant des graphèmes complexes. Cependant, bien que les auteurs aient pu constater que les taux de précision semblaient s’améliorer vers la fin de l’année, il a été par contre constaté que les temps de réponse des items contenant des graphèmes complexes étaient plus longs.

Plus récemment, Commissaire et ses collaboratrices (2018) ont mené une étude ayant comme objectif de déterminer le rôle de la complexité graphémique dans l’identification de mots écrits. Une cohorte de 88 élèves francophones de 3e année (N = 49, âge moyen = 8,7) et de 5e année (N = 39, âge moyen = 10, 8) ont participé à cette étude. Les capacités de traitement graphophonémique ont été évaluées à l’aide d’une tâche de détection de cible. Une lettre cible a été d’abord présentée pendant 700 ms en majuscule au milieu d’un écran d’ordinateur suivie d’un point de fixation pendant 1000 ms. Le mot cible est ensuite apparu en minuscules pendant 57 ms, remplacé par un écran vierge présenté pendant 70 ms. Les participants devaient appuyer sur « oui » s’ils détectaient la lettre cible dans le mot présenté ou sur « non » dans le cas contraire. Les items ont été construits visant les lettres A, E et O. Ces dernières étaient présentes dans les mots et pouvaient se trouver dans trois conditions différentes. Par exemple, la lettre A pouvait représenter un graphème simple (/a/ dans page), se retrouver dans un

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graphème complexe plus fréquent (/a/ dans chaud) ou dans un graphème complexe moins fréquent (/a/ dans chant). Tous les mots étaient monosyllabiques et comportaient de quatre à cinq lettres. Les scores ont porté sur les taux d’erreurs ainsi que sur le temps de réaction. L’objectif de l’étude était d’examiner si des effets de complexité graphémiques pouvaient être observés chez des lecteurs de 3e et 5e année et si ces effets étaient dépendants du niveau scolaire ou encore du type de graphème utilisé.

Pour le temps de réaction, les analyses de variance indiquent un effet pour le niveau scolaire (F (1, 79) = 11.77, p < .001) indiquant que les élèves de 5e année étaient plus rapides (1032 ms) comparativement aux élèves de 3e année (1270 ms). Les analyses de variance montrent également une interaction entre le niveau scolaire et le type de graphème (F (2,51) = 3.44, p < .04). En 5e année, la détection d'une lettre intégrée dans un graphème complexe de haute fréquence (/a/ dans chaud) semblait plus lente (1056 ms) que la détection d'une lettre intégrée dans des graphèmes simples (1008 ms). Étonnement, les lettres intégrées dans des graphèmes complexes de faible fréquence (/a/ dans chant) étaient traités plus rapidement que les graphèmes de haute fréquence (respectivement, 1031 ms versus 1056 ms). Aucun effet significatif de complexité graphémique n’a été identifié pour les élèves de 3e année. Enfin, les analyses portant sur les taux d’erreurs n’ont mis en évidence aucun effet de groupe ou de condition de graphème (p = ns, dans toutes les conditions). Commissaire et ses collaboratrices (2019) suggèrent que les résultats des élèves de 5e année pourraient être expliqués par l’idée que leurs représentations orthographiques sublexicales du graphème seraient développées et suffisamment activés, ce qui déclencherait une plus grande concurrence avec le niveau des lettres, particulièrement pour des graphèmes très fréquents. Les auteurs indiquent également que le protocole expérimental utilisé aurait pu avoir un effet sur les performances des élèves de 3e année.

8.2.2 Correspondances graphosyllabiques

S’appuyant sur l’idée que la syllabe serait l’unité de traitement privilégiée à oral en français (Ziegler et Goswami, 2005), des études ont été conduites pour voir si cette unité est pertinente dans le traitement des mots écrits. Des résultats semblent appuyer l’idée que les jeunes apprentis francophones utiliseraient des procédures de mise en correspondance impliquant des

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unités plus larges que les correspondances graphèmes-phonèmes compte tenu de leur pertinence dans le code orthographique du français (Chetail, 2012; Chetail et Mathey, 2010; Doignon-Camus et Zagar, 2009; Doignon et Zagar, 2006; Maïonchi-Pino et coll., 2010). De nombreuses études ont été menées pour déterminer le rôle de la syllabe dans la mise en correspondance graphosyllabique (Colé et coll., 1999; Doignon et Zagar, 2006; Duncan et Seymour, 2003; Maîonchi-Pino et coll., 2010). Les protocoles méthodologiques utilisés dans ces études ont montré entre autres, qu’il est plus facile de lire un mot formé de moins de syllabes qu’un mot comportant plus de syllabes (le nombre de lettres étant égal). Aussi, il a été démontré qu’il est plus facile d’identifier la couleur d’une lettre lorsque celle-ci est de la même couleur que les autres lettres de la syllabe. Dans les prochains paragraphes, quelques études ayant décrit ces phénomènes sont exposées. Nous présentons d’abord des études ayant exploré l’effet de longueur. Ensuite quelques études portant sur l’effet de la structure syllabique sont décrites.

Rappelons que pour faire apparaitre un effet de longueur syllabique, les items devraient contenir le même nombre de lettres, alors que le nombre de syllabes devrait varier. Par exemple, le temps de reconnaissance pour les mots PLAQUE (une syllabe orale), SIGNAL (2 syllabes orales) et CANAPÉ (3 syllabes orales) pourrait être mesuré. La question à se poser est de savoir si le traitement d’un mot peut être ralenti par le fait qu’il contient plus de syllabes (Chetail, 2012). Par exemple, Seymour et ses collaborateurs (2003) ont mené une étude impliquant des élèves parlant 14 langues européennes. L’objectif principal de cette étude était d’identifier comment ces derniers abordent l’apprentissage du code écrit. Dans une des trois expériences (expérience 3), une tâche de dénomination écrite de 36 pseudo-mots écrits, 18 pseudo-mots monosyllabiques et 18 pseudo-mots bisyllabiques, a été proposée aux participants. Une des conclusions de cette expérience suggère que les pseudo-mots monosyllabiques étaient lus plus précisément et plus rapidement que les items bisyllabiques par des enfants âgés entre 6 et 7 ans.

Doignon et Zagar (2006, expérience 1) ont mené une étude pour déterminer la présence d’un effet de congruence syllabique chez des lecteurs francophones regroupés en deux sous- groupes : groupe 1 (N =19, âge moyen = 11, 0) et le groupe 2 (N = 23, âge moyen = 8, 0).

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Afin de contrôler la variable reliée à la structure syllabique des mots, les auteurs ont défini un critère de syllabation en référence à l’échelle de consonanticité13. Une épreuve utilisant le paradigme des conjonctions illusoires a été utilisée dans cette étude. La frontière syllabique de la moitié des mots bisyllabiques se trouvait entre la seconde et la troisième lettre (p. ex.,

NO. BLE). Dans le cas de l’autre moitié des mots bisyllabiques, la frontière se trouvait entre

la troisième et la quatrième lettres (p. ex., GAR. NI). Deux types d’erreur ont été analysés : 1/

des erreurs de préservation (dire que la lettre cible est de la même couleur que la syllabe cible

à dire que le B est de la même couleur que LE dans l’item NOBle) ou 2/ des erreurs de

violation (dire que la couleur de la lettre cible est la même que celle des lettres qui ne forment

pas une syllabe avec la lettre cible à dire que le B est de la couleur de NO dans l’item NOble).

Les résultats suggèrent que la syllabe est utilisée lors de l’identification des mots écrits. Les participants des deux groupes ont commis significativement plus d’erreurs de préservation que d’erreurs de violation de la structure syllabique des mots. Chez les enfants de 8 ans, sur un total de 24,57 % d’erreurs, celles de préservation représentaient 17,61 %, alors que les erreurs de violation représentaient 6,96 %. Chez les élèves de 11 ans, sur un total de 21,31 % d’erreurs, 12, 76 % d’erreurs étaient de type préservation, alors que 8,55 % d’erreurs représentaient des violations de la frontière syllabique des items. Étant donné que les items choisis ne comportaient aucune frontière issue d’un indice orthographique pour marquer la coupure entre les syllabes, les auteurs ont formulé plusieurs hypothèses pour expliquer les performances des enfants. L’apparition d’un effet syllabique pour identifier des mots bisyllabiques serait expliquée par l’activation des représentations lexicales. Par ailleurs, cet effet n’a pas été observé dans le traitement des pseudo-mots présentant les mêmes caractéristiques que les mots (Doignon et Zagar, 2006, expérience 2). Le traitement syllabique à l’écrit pourrait être supporté par la présence dans le lexique mental de représentations syllabiques connues à l’oral. Dès qu’un mot écrit est présenté, le traitement des lettres activerait des syllabes phonologiques. La perception des unités syllabiques écrites pourrait être expliquée par le phénomène de la redondance orthographique. Ainsi, les groupements de

13 Échelle de consonanticité : l’attaque correspond à la consonne dont la valeur de consonanticité est supérieure de trois points par rapport à la consonne qui suit (Doignon et Zagar, 2005, p. 261).

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lettres ne correspondraient pas aux syllabes phonologiques, mais seraient activés par des combinaisons fréquemment associées à l’écrit (Doignon et Zagar, 2006).

Dans la prochaine section, nous aimerions déterminer comment se mettent en place les habiletés de mise en correspondance graphophonologique chez des apprenants ayant des difficultés.

8.3 Données sur le rôle de la mise en correspondance graphophonologique dans le