• Aucun résultat trouvé

Rôle de l’école et buts de l’éducation

Dans le document Summerhill : une école libre ? (Page 60-63)

4. Point de vue de différents auteurs à propos de la philosophie de Neill

4.7 Rôle de l’école et buts de l’éducation

Nous avons pu voir lors du chapitre précédent quels étaient les buts de l’éducation et le rôle de l’école selon Neill. Toute sa philosophie a donc été réfléchie afin d’atteindre ces objectifs. Parmi ceux-ci, certains auteurs comme Bettelheim ont relevé le fait que Neill a toujours favorisé les expériences socialisantes de mille façons dans son école (Bettelheim, Op. Cit., p. 103). D’autres comme Hechinger ont identifié le bonheur comme étant « le Saint-Graal de Summerhill » (Hechinger, Op. Cit., p. 28). Montagu quant à lui se réfère à une citation de Neill : « L’école est le commencement d’une

56 éducation que nous appelons la vie, et mon but est de la rendre aussi conforme à la vie que possible. » (Neill, 1917, cité par Montagu, Op. Cit., p. 42). Il rappelle que

« Neill a toujours envisagé l’éducation comme une fonction sociale […] la fonction de l’éducation [étant] de rendre les êtres humains charitables, vivants et engagés. » (Montagu, Op. Cit., p. 44). Fromm boucle ce tour d’horizon en déclarant que « le but fondamental de Neill c’est d’élever des enfants qui sont vivants, qui sont intérieurement des individus actifs plutôt que de passifs spectateurs et consommateurs […] Ce que Neill cherche à créer, c’est un homme sain. » (Fromm, Op. Cit., p. 230). Tout cela peut être résumé de la manière suivante : Neill a élaboré une théorie éducative visant à rendre les gens plus heureux, où être plus serait plus important qu’avoir ou consommer plus (Ibid., p. 226).

Fromm remarque cependant que ce critère n’a pas été compris par ceux qui critiquent la philosophie de Neill : « Les critiques de Summerhill disent, en effet, que vivre pour vivre, simplement pour rehausser la qualité de la vie, simplement pour développer une plus grande activité intérieure – tout cela est sans doute très bien – un peu comme un violon d’Ingres – mais certainement pas acceptable comme but essentiel. » (Ibid., p. 231). Il ressort en effet que pour plusieurs auteurs, le bonheur serait « un but hors de propos » (LeShan, Op. Cit., p. 115), ou en tout cas n’aurait rien à voir avec les buts de l’éducation ou de la vie. Au mieux, « le bonheur est un sous-produit de l’éducation, mais n’est ni sa raison d’être ni son but. L’éducation ne garantit pas le bonheur. Elle permet seulement à l’individu un meilleur discernement dans sa recherche de ce papillon insaisissable. » (Rafferty, Op. Cit., p. 10). Ce qui pousse ce même auteur à accuser Neill : « Il ne faut pas dire que c’est une école. Ce serait un grossier mensonge. » (Ibid., p. 14). Mais si Summerhill n’est pas une école, qu’est-elle donc et quelle conception les auteurs ont-ils du rôle de l’école et des buts de l’éducation ?

L’avis de Bates Ames est très tranché : « Où je suis en total désaccord avec Neill, c’est en ce qui concerne le rôle de l’école. C’est un lieu où l’enfant doit apprendre.

Pour Neill c’est un lieu où l’on doit vivre et être heureux. » (Bates Ames, Op. Cit., p.

59). Rafferty défend cette même conception de l’éducation : « A Summerhill on croit

57 que l’éducation existe pour rendre l’individu joyeux. L’Education en Profondeur13 existe pour lui faire acquérir des connaissances. » (Rafferty, Op. Cit., p. 18). Il poursuit en expliquant que le but de l’éducation consiste à donner aux enfants les outils intellectuels indispensables à la poursuite de la vérité, ainsi qu’à combattre les forces de l’erreur (Ibid., pp. 9-10). Pour lui, l’école est un lieu de sagesse et de savoir qui permet d’apprendre aux jeunes à penser (Ibid., p. 12) et qu’il faut « fournir à l’individu les outils et les compétences dont il a besoin pour devenir un citoyen cultivé et productif. » (Ibid., p. 18). Papanek utilise des propos plus nuancés que les deux auteurs précédents : « le but principal de l’éducation, c’est d’enseigner à l’élève à apprendre […] [ainsi que de] s’assurer que les choses les plus valables soient apprises de la manière la plus économique et par l’application des meilleures méthodes. » (Papanek, Op. Cit., p. 151). Il semble néanmoins résulter des propos de ces auteurs que l’attribution première de l’école concerne avant tout la transmission du savoir et des connaissances aux élèves.

Parmi les autres attributions octroyées à l’éducation scolaire par les auteurs, l’idée que celle-ci doive préparer les enfants à leur avenir est mise en avant à plusieurs reprises. D’après Rafferty, « le succès d’un individu au cours de la vie dépend de la façon dont on lui a enseigné à l’école à se battre dans un monde de plus en plus compétitif. » (Rafferty, Op. Cit., p. 18), ce que concède également Montagu à ceux qui en émettent la critique : « la vie n’est pas toujours rose et elle impose des exigences très définies auxquelles il faut faire face qu’on le veuille ou non » (Montagu, Op. Cit., p. 42). S’opposant à cette idée, Watson met en évidence l’un des principes qui – selon lui – différencie Summerhill des autres écoles : « La qualité de la vie menée dans le présent a plus d’importance que les efforts faits en vue d’une vie à venir. » (Watson, Op. Cit., p. 162). Il s’agit, d’après cet auteur, « [du] contraste le plus fondamental entre les buts de Summerhill et ceux des écoles où l’on considère essentiellement que l’éducation est une ‘’préparation‘’ pour l’avenir. » (Ibid.).

« L’école qui prépare pour l’avenir existe afin de faciliter cet avenir. Toute violation de la qualité de la vie des élèves dans l’école traditionnelle est justifiée par l’idée que cette violation est nécessaire pour préparer l’élève à entrer dans une université ou à se trouver

13 Il s’agit du mouvement pédagogique auquel M. Rafferty appartient.

58 un bon emploi. L’assistance à des cours ennuyeux, la lecture de livres médiocres, la composition d’essais requis mais sans aucun intérêt, l’obligation humiliante de se plier à des examens – toutes ces cruautés envers les enfants sont rationnalisées comme étant une solide préparation pour quelque vie à venir.

L’incohérence de la valeur accordée à un prétendu futur (plus aléatoire que celui que nous prédisent les cartomanciennes) en comparaison de celle de la vie présente, me fut révélée un jour assez brutalement alors que je parlais avec la mère et le professeur d’un enfant de sept ans qui souffrait d’une maladie incurable dont il mourrait très certainement dans les cinq ou six années suivantes. Que pouvait donc être le ‘’curriculum‘’ pour un tel enfant ? Quelles pouvaient être les nécessités requises pour son développement ? Il était clair que dans son cas la seule chose à faire, c’était de rendre chaque jour aussi satisfaisant que possible.

Mais cela devrait-il être si différent pour un enfant qui, on l’espère, aura une longévité normale ? » (Ibid., pp. 162-163).

Fort de ce raisonnement Watson en conclut – à l’instar de Dewey – que « la meilleure préparation pour l’avenir c’est de bien vivre dans le présent » (Ibid., p. 163).

Goodman, quant à lui, note que l’école ne prépare pas à des professions, étant donné que ceux qui quittent l’école en cours d’études « réussissent aussi bien que ceux qui ont obtenu leur diplôme » (Goodman, Op. Cit., p. 187). « Il n’y a aucune corrélation dans le travail réel entre la compétence et les années de scolarité qui ont précédé l’entrée dans une profession. » (Ibid., pp. 196-197).

Quoiqu’il en soit, il apparaît très nettement à travers cette analyse que les buts éducatifs mis en avant par les auteurs en désaccord avec la philosophie de Neill sont totalement différents des objectifs visés par ce dernier. En effet, ces auteurs voient l’acquisition du savoir comme étant le rôle fondamental alloué à l’école. Devant une telle divergence de points de vue, il est difficile de trouver un compromis entre les différentes parties. Cette réflexion nous conduit toutefois au questionnement suivant : quelle importance faut-il donner au savoir ?

Dans le document Summerhill : une école libre ? (Page 60-63)