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Révoltes et conflits dans la seconde moitié du XVII e siècle

Dans le document Mémoire des révoltes XVe-XVIIIe siècles (Page 65-67)

Le point culminant des conflits, en termes d’intensité, est paradoxalement constitué par leur point de départ. Les années 1653-1681, sont caractérisées par une violence extrême de l’antagonisme entre seigneurs et sujets, et elles représentent donc à la fois des années de mise en place de la structure des conflits ultérieurs et des années de paroxysme. Observés de près, les épisodes séditieux qui caractérisent le territoire Schönburg dans les années 1650-1681 s’apparentent plus à une nébuleuse d’actions de rébellion ayant des degrés divers, mobilisant un nombre changeant d’acteurs et regroupant à la fois des moments de

6 Cf. les propos de Marc Bloch en 1925, à la faveur d’un compte-rendu du livre de Maurice Halbwachs sur la mémoire collective : l’opération de la mémoire « implique le déploiement d’une grande activité spirituelle ; se souvenir, ce n’est pas assister, en spectateur passif, à l’apparition d’images qui, conservées dans les zones obscures du moi, remonteraient comme d’elles-mêmes vers une surface plus claire ; c’est proprement reconstruire le passé », Revue de synthèse historique, XL, n° 118-120, 1925, p. 73-83, cit. p. 74-75.

7 P. BOURDIEU, « Espace social et genèse des “classes“ », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 52-53, juin 1984, p. 3-14, ici p. 5 : « le passé, avec la reconstruction rétrospective d'un passé ajusté aux besoins du présent (…), et surtout le futur, avec la prévision créatrice, sont sans cesse invoqués, pour déterminer, délimiter, définir le sens, toujours ouvert, du présent ».

prise d’armes et des actions en justice, qu’à un unique mouvement de révolte aisément isolable. Le fait même d’interpréter cet ensemble d’actions comme une révolte représente déjà une reconstruction rétrospective de l’événement qui ne va pas du tout de soi, et il y a une certaine difficulté à le cerner et à le délimiter, aussi bien quantitativement que qualitativement8. Cet ensemble d’épisodes est connu à la fois par des sources contemporaines des événements et par des mentions ultérieures dans des textes plus tardifs, en particulier au XVIIIe siècle. Mais ils sont connus aussi parce qu’ils ont été l’objet d’une construction historiographique dans les années 1930 et 1950 où, là encore, la mobilisation de la mémoire d’un passé ancré régionalement est mise au service des événements présents et nationaux9.

La révolte est un moment complexe et divers à la fois dans ses formes, ses causes et ses objets. Dans ses formes, car on a affaire à une pluralité d’actions unifiées seulement rétrospectivement : elle consiste en une succession d’épisodes de sédition, depuis la fuite et la résistance larvée jusqu’à la révolte en armes10, sur une trentaine d’années, et pouvant toucher un nombre très variable de communautés rurales et urbaines. Parallèlement se déroulent un nombre important de procès contre les seigneurs devant les instances les plus diverses, de l’Empire à la Saxe en passant par la Bohême. Elle est complexe dans ses causalités et ses facteurs déclencheurs, car la guerre de Trente ans et ses conséquences économiques et démographiques n’épuisent pas la question, en particulier, elles ne permettent pas de comprendre comment, malgré la dévastation économique et démographique du territoire, les sujets demeurent suffisamment forts et, surtout, suffisamment conscients de cette force pour mener à bien des actions collectives de grande envergure. Enfin, elle est complexe par les

8 Sur la question des seuils et la difficulté à faire le départ entre ce qui ressortit à la révolte et ce qu’il faut exclure, cf. Hugues NEVEUX, Les révoltes paysannes en Europe, XIVe-XVIIe siècles, Paris, Hachette, 1999, en

particulier le premier chapitre pour une vision synthétique sur la question.

9 Il est à cet égard intéressant de remarquer comment et à quelles fins, dans le contexte national-socialiste, la mémoire de ces événements est mobilisée. Il ressort de ces textes l’impression d’un discours extrêmement ambigu, entre idéalisation des paysans et mise en perspective téléologique avec pour fin l’avènement du national-socialisme. L’annonce de la libération du paysan allemand de ses souffrances passées va paradoxalement de pair avec une idéalisation marquée de l’organisation seigneuriale, dont les exactions sont analysées comme des excès isolés et non comme un fonctionnement structurel. Cf. notamment Karl STIEGLER, « Der Schönburgische Bauernkrieg 1654-1684 », Unsere Heimat, avril 1937 ; J. HOTTENROTH, « Bauernunruhen in den Schönburgischen Lehnsherrschaften, 1652-1665 und 1672-1680 », Die Heimat, 1939 ; L’historiographie de la République Démocratique Allemande a, par la suite, contribué de façon décisive à l’analyse de ces soulèvements, en particulier chez P. STULZ, A. OPITZ, Volksbewegungen in Kursachsen zur Zeit der

Französischen Revolution, Berlin 1956 ; et B. GENTSCH « Der Dreissigjährige Krieg und die ländlichen Untertanen im Erzgebirge und im Vogtland », Jahrbuch für Regionalgeschichte, Bd. 9, 1982, p. 207-234. 10 En passant par toute une gamme de pratiques de résistance : ainsi les sujets du Junker von der Planitz, qui empêchent les journaliers, embauchés par le seigneur pour les remplacer, de venir faire les corvées à leur place. Cf. P. STULZ, A. OPITZ, Volksbewegungen…, op. cit., p. 34.

revendications dont elle est porteuse, qui, elles aussi, sont souvent l’objet de reconstructions soit par les contemporains eux-mêmes, soit par les historiens. Si l’on tente de les résumer de façon schématique, la contestation part du problème de la ponction seigneuriale et tout particulièrement des corvées, pour s’étendre ensuite à celui du logement des gens de guerre et de la fiscalité extraordinaire. Les seigneurs, dans le cadre des tentatives pour établir des formes dites de « second servage », prétendent que les sujets sont tenus d’effectuer des corvées illimitées. Ces tentatives échoueront, aussi bien en Saxe que chez les Schönburg, mais l’opposition des sujets à l’accroissement des corvées s’inscrit dans le cadre de ces luttes, caractéristiques de la période de sortie de la guerre de Trente ans.

Dans le document Mémoire des révoltes XVe-XVIIIe siècles (Page 65-67)