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Révolte paysanne ? Révolte catalane ? Les enjeux de mémoire

Dans le document Mémoire des révoltes XVe-XVIIIe siècles (Page 101-103)

Nous avons sélectionné trois écrits postérieurs aux événements et rédigés par des acteurs ou des témoins de la révolte. Dans les Anales de Cataluña, Narcis Feliu de la Penya consacre un moment important de son opus au soulèvement. À travers cette apologie historique du Principat, l’auteur défend le particularisme du Principat et ses fueros69. Mais,

pour lui, la Catalogne est bien une partie de l’Espagne70. Il défend que les soulèvements catalans visaient à défendre une légalité fragilisée qu’il fallait rétablir et que le Principat avait toujours lutté pour la liberté des autres royaumes de la « monarchie composite ». Ces idées l’amènent à mettre en sourdine la dureté des séquelles des années 1640-1652 et à souligner les éléments d’union entre la Catalogne et la monarchie hispanique. Lors de la révolte de 1688- 1690, les autorités demandent son aide. Feliu de la Penya en fait état en indiquant qu’il fut sollicité par le président du Conseil d’Aragon, peu après les incidents de Centelles, pour donner son avis sur la conduite à suivre et il expose même la solution – la voie modérée – qu’il avait alors proposée, sans réel succès71.

Les Sucesos de Catalunya (1640-1693), est un manuscrit centré sur l’insurrection Barretines. Ce récit anonyme provient d’un auteur qui a une connaissance intime des faits, qui

68 F. SANCHEZ MARCOS, op. cit., p. 489 ; X BARO I QUERALT, Historiografia catalana en el segle del Barroc

(1585-1709), Thèse de l’Universitat Autonoma de Barcelona, 2006.

69 Le premier volume est dédié au Christ (livres I à X) qui court des origines au XIIe siècle. Le second volume qui va de 1163 à 1458 est dédié à Charles II et à l’archiduc d’Autriche « Charles III » que Feliu a soutenu lors de la Guerre de Succession d’Espagne. Il met le troisième volume qui narre les années 1458 à 1709, sous le patronage de « l’excellent et fidèle principat de Catalogne et à la très excellente ville de Barcelone ».

70 F. SÁNCHEZ MARCOS, « Historia y política en el umbral del del siglo XVIII : los « Anales » y combates por Cataluña de N. Feliu de la Penya », XIIe Congrès d’Histoire de la Couronne d’Aragon, vol. 3, Montpellier, 1985,

p. 133-146.

71 Narcis Feliu résume ainsi la teneur de ses lettres au Conseil d’Aragon : « Ces lettres (…), comme vous le constaterez, n’avaient qu’un but, le service du Roi et le repos de la Province. En ce sens, j’ai toujours dit qu’il me semblait que, pour l’accomplissement du bien public, il convenait que Sa Majesté réintègre les députés [Sayol et Ciges] (…), qu’on évite les mesures sévères, qu’avec douceur et humanité et par l’intermédiaire de personnes reconnues dans le pays, on rassérène les peuples, qu’on les console en les allégeant en partie et en leur demandant de participer à hauteur de leurs moyens à l’entretien des soldats », « Estas cartas, (…) advertirán,

solo yr dirigidas al Servicio del Rey, y quietud de la Provincia : Para cuyo efecto representé siempre me parecía conducía al bien público, reintegrasse Su Magestad a los deputados, (…) y por lo que importava la quietud, se evitassen las diligencias severas y con blandura y humanidad, por medio de Personas de credito en el País, se quietassen los pueblos, y consolassen, aliviandolos en parte, y solicitando acudiessen, como pudiessen, al sustento de los soldados », N. FELIUDELA PENYA, Anales, Barcelone, 1709, Libro XXI, cap. IX, p. 394.

en sait long sur les négociations tenues à huis clos entre les paysans et les autorités catalanes et qui se présente comme un témoin de la révolte72. Pere Molas Ribalta l’a identifié à Francesc Fontanills, un paysan aisé qui a participé aux tractations entre les insurgés, la députation et le vice-roi en avril 168873. L’action de médiation de Fontanills est expliquée avec force détails en des termes élogieux74. Le préambule précise les objectifs : donner à la « postérité » les moyens objectifs de juger cette convulsion de la monarchie qui ferait l’objet d’interprétations erronées, conseiller le roi en lui donnant des leçons politiques tirées des événements, à la lumière d’autres événements historiques75. L’auteur critique tout autant la cupidité du gouvernent que la déraison de certains naturales qui ont agi sans rimes ni raison.

Le dernier récit, à mi-chemin entre le traité politique et le pamphlet, est de la plume d’un auteur catalan qui défend le Principat contre des détracteurs qui l’accusent d’être une terre de traîtres. La Luz de la verdad. Preguntas y respuestas en favor de Cataluña y sus hijos paraît en 1697 après le siège de Barcelone par les Français qui s’emparent de cette capitale. La ville ne fut occupée que quelques mois, d’août 1697 à janvier 1698, le temps que la paix de Ryswick, signée en 1697, prenne effet76. Lors de la guerre, les Catalans souffrent de la

défiance qui les entoure. En juin 1697, les consellers barcelonais écrivent à Charles II accusant les ministres du Conseil d’État de haute trahison. La riposte de Madrid fuse : les Catalans étaient tout disposés à se donner à la France77. La Luz de la verdad met en scène un dialogue entre cinq soldats incarnant chacun un royaume de la monarchie. Le rôle principal est dévolu à Juan Roca, le Catalan, qui défend sa « nation » contre les attaques de traîtrise que les autres lui adressent. Roca chante la fidélité de la Catalogne pour le roi, loue les services qu’elle a rendus à la monarchie et multiplie les exemples où la Catalogne a œuvré à la cause commune. Le lien entre la défense du Principat et la réhabilitation de la révolte des Barretines est éclatant puisque le catalyseur de la dispute est l’assertion : « Vous [les Catalans, vous] êtes des traîtres à Dieu et au roi, vous êtes des Barretines rebelles »78.

72 BC, ms 504, fol. 4r-4v.

73 P. MOLAS RIBALTA, op. cit., p. 71. 74 BC, ms 504, fol. 24r-38r.

75 BC, ms 504, fol. 4r.

76 Nous avons travaillé sur une réédition de ce texte paru sous le titre Cataluña vindicada. De la nota de

rebelión con que sus émulos pretendieron denigrar sus glorias, Barcelone, José Torner, 1842.

77 R.-M. ALABRÚS, R. GARCIA CARCEL, España en 1700, Austrias o Borbones ?, Madrid, Arlanza, 2001, p. 90.

Dans ces trois textes, des témoins s’emparent de la version officielle gardée dans les archives, pour contrer les discours accusant la Catalogne d’être une éternelle rebelle. La revendication de leur position de témoin apporte crédit à leur lecture de la révolte qui tend à la réhabilitation des Barretines dans le cadre d’un plaidoyer pour la fidélité du Principat. Cette posture du témoin constitue un topos de l’écriture mémorialiste.

Dans le document Mémoire des révoltes XVe-XVIIIe siècles (Page 101-103)