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Titre 2 : Les plateformes SVOD : grand laissé-pour-compte du droit

B) La réticence des Etats à l’intégration des plateformes SVOD

1) En France et en Europe

Une des raisons participant à l’appréhension d’intégrer les plateformes SVOD dans le modèle actuel par les Etats est que les plateformes américaines sont puissantes en termes de capacité financière et de pénétration de marché. L’Observatoire de la Vidéo à la demande en France constate en 2019 que la pénétration des plateformes françaises de VOD est beaucoup plus faible que celle de la plateforme américaine Netflix183.

De la même façon, le pouvoir de marché de ces grands acteurs américains de la SVOD, est une menace pour le modèle français de la

180 Politique règlementaire de Radiodiffusion, Examen de la radiodiffusion par les

nouveaux médias, 2009-329, CRTC, 2009, en ligne :

<https://crtc.gc.ca/fra/archive/2009/2009-329.htm>. Para. 15.

181 Loi sur la Radiodiffusion, supra note 45.

182 Politique règlementaire de Radiodiffusion, supra note 180. Para. 23. 183 Observatoire de la vidéo à la demande, supra note 163. P. 8.

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production audiovisuelle, qui est attaché à ses sociétés de productions indépendantes. En raison de leurs moyens, largement inférieurs à ceux de Netflix par exemple, ces dernières ne produisent pas nécessairement des blockbusters, mais sont malgré tout moteur dans le monde du cinéma et des séries, en matière de diversité culturelle. En France, le secteur de la production cinématographique est peu concentré. Selon le CNC, en 2016, 206 sociétés de production différentes ont produit 221 films d’initiative française184: La France cherche à préserver ces petites

structures de financement de l’audiovisuel et de sa diversité, du pouvoir de marché des plateformes du numérique américaines.

Dans cette même perspective de préserver un marché concurrentiel, où des acteurs de tailles différentes se partagent les consommateurs de SVOD, la décision de la Commission Européenne dans le cadre de l’affaire Sky185 n’est pas si évidente. Cette décision

portant sur la violation de l’article 101 du TFUE par les studios américains qui ont par leur action contribué à « cloisonner le marché intérieur », incompatible avec le marché unique, intervient aussi avec des considérations relevant des objectifs de diversité culturelle :

« De ce point de vue, donc, dans cette logique de marché, on comprend l’hostilité des autorités à l’égard des exclusivités : ces dernières bloquent la libre circulation en créant des barrières juridiques. Mais il faudrait, au-delà de ce constat, analyser les restrictions territoriales au regard de leur efficacité économique, soit au regard de la quantité de la diversité et de la qualité des biens et services produits et distribués »186.

Le risque, en voulant appliquer la théorie des ventes passives, est de pousser les studios américains à intervenir directement sur le marché européen pour distribuer leurs œuvres. Ces gros acteurs

184 Benjamin MONTELS, supra note 118. P. 42.

185 Communication de la Commission sur les griefs à l’encontre de Sky UK et Disney,

NBCUniversal, Paramount Pictures, Sony, Twentieth Century Fox, Warner Bros, 2015

Commission Européenne.

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américains disposent de moyens financiers indéniables par rapport aux acteurs européens. Un autre risque est d’amener à la création d’un monopole dans toute l’Union Européenne d’un acteur de la SVOD, qui aurait grâce à sa capacité financière et à son offre culturelle, fait disparaître la concurrence187.

2) Au Canada

En 2009, de nombreux acteurs de l’audiovisuel saluent l’inaction du CRTC face à l’essor des nouveaux médias. Les acteurs canadiens applaudissent alors la non application de la règlementation de la Loi sur la radiodiffusion188 aux nouveaux médias, ce qui a permis de lancer des

plateformes canadiennes avec le moins de contraintes possible afin de mieux concurrencer les acteurs internationaux189. Mais d’autres

acteurs de l’audiovisuel, « dont des groupes d'artistes et d'écrivains et des associations connexes, ont affirmé qu'il était temps de les révoquer pour encourager une forte présence canadienne dans les nouveaux médias »190. En effet, ils s’inquiètent de l’exemption d’obligation de

diversité et de mise en valeur des contenus canadiens pour les plateformes numériques étrangères.

Cependant, les cadres règlementaires sont aujourd’hui de plus en plus remis en cause, et les acteurs du secteur encouragent les Etats à intervenir promptement. Au Canada, l’APQM pense que :

« L’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias, ainsi que l’Ordonnance d’exemption pour les entreprises de vidéo sur demande n’ont plus

187 Pierre SIRINELLI et Sarah DORMONT, supra note 175. Para. 54. 188 Loi sur la Radiodiffusion, supra note 45.

189 Politique règlementaire de Radiodiffusion, supra note 165. Para. 16. 190 Politique règlementaire de Radiodiffusion, supra note 165. Para. 17.

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de raison d’être et qu’elles doivent être remplacées par un cadre règlementaire »191.

L’objectif de diversité culturelle est toujours au centre de l’attention, ainsi un des objectifs fixés dans la Politique règlementaire du CRTC de 2015192, est : « d’offrir aux canadiens de meilleures

occasions de découvrir la programmation canadienne sur de multiples plateformes ». Pour cela, il faut repenser la règlementation afin d’intégrer pleinement les acteurs du numérique dans la réalisation de l’objectif de diversité culturelle.

Le CRTC rappelle lui-même en 2015 : il ne prendra les mesures nécessaires qu’au moment où le système canadien de radiodiffusion ne remplira plus les objectifs fixés par la loi : « Par conséquent, le Conseil surveille le système canadien de radiodiffusion et n’intervient que lorsque la preuve démontre qu’un problème faisant obstacle aux objectifs prévus par la loi ne peut être résolu par les seules forces du marché »193. Ainsi, il est temps pour le CRTC de se positionner en faveur

d’une révision de la radiodiffusion, pour ne pas risquer la perte de diversité culturelle.

La « demande d'une révision d'une stratégie de transition au numérique par le gouvernement est à la fois sage et opportune. Il faut régler la question »194.

De la même façon en France, « Il revient aux pouvoirs publics comme à la filière elle-même de créer les conditions favorables et attractives pour les investisseurs financiers professionnels, et d’encourager le dialogue entre investisseurs et producteurs »195.

191 Mémoire de l’Association québécoise de la production médiatique, supra note 141. 192 Politique réglementaire de Radiodiffusion, supra note 117.

193 Politique réglementaire de Radiodiffusion, supra note 117. Para. 19.

194 Mémoire de l’Association québécoise de la production médiatique, supra note 126. 195 Rapport sur le financement privé de la production et de la distribution

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Chapitre 2 : Un ajustement nécessaire du droit positif