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Titre 2 : Les plateformes SVOD : grand laissé-pour-compte du droit

A) Les acteurs nationaux bénéficiant du soutien public

1) Le soutien aux acteurs traditionnels de l’audiovisuel

Le modèle des chaînes à péage des années 80-90, comme nouveaux acteurs influant dans la production de contenus audiovisuels, est désormais moins favorable qu’auparavant. Ces grandes chaînes, telles que la Sky au Royaume-Uni ou Canal+ en France, souffrent de la concurrence des nouveaux services de SVOD qui proposent eux aussi des films récents et des séries exclusives. Par exemple en France, Canal+ ne cesse de voir ses recettes baisser depuis 2013, passant ainsi de 1 941 millions d’euros à 1 544 en 2017170.

Il est désormais clair que les plateformes américaines sont en position de force sur le marché audiovisuel actuel. L’exemple de Disney, qui a lancé sa plateforme SVOD en 2020, est percutant. Cet acteur, grand producteur américain de contenus audiovisuels, détient également des chaînes de télévision payantes, et désormais sa propre plateforme SVOD.

Au Canada, le CRTC avait proposé de modifier l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias171, afin d’empêcher les entreprises assujetties à cette

ordonnance d’exemption de bénéficier de « l’exclusivité d’accès à la programmation conçue d’abord pour la télévision traditionnelle »172.

L’objectif était alors de ne pas empêcher les acteurs traditionnels,

170 Alain LE DIBERDER, supra note 10. P. 83.

171 Modifications à l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion

de nouveaux médias, supra note 156.

172 Modifications à l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion

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principalement des entreprises de radiodiffusion, de diffuser ces œuvres audiovisuelles.

Ces réalités d’exclusivités ont également fait l’objet des discussions sur la territorialité de l’audiovisuel en Europe. Des abus d’exclusivité, qui pouvaient contribuer au gel des droits de diffusion, et donc au gel du partage de l’œuvre audiovisuelle au public, ont été constatés. En 1998 dans sa décision Canal+173, l’Autorité de la

concurrence a sanctionné la chaîne d’abus de position dominante au nom de l’article L 420-2 alinéa 1 du Code de Commerce174. Alors que la

chaîne concluait des contrats de préachat de droits de diffusion exclusifs, cette exclusivité pouvait atteindre jusqu’à 45 mois. Cette opération allait à l’encontre des intérêts des auteurs de l’œuvre, des producteurs, des diffuseurs concurrents, et surtout du public. Celui-ci ne pouvait pas pendant ce laps de temps avoir accès à ces contenus audiovisuels par le biais d’autres diffuseurs, ce qui conduisait à réduire leur capacité de découvrabilité de la diversité culturelle.

Cette limitation de la découvrabilité a été analysée de nouveau à partir de 2014, quand les exclusivités territoriales des grandes chaînes payantes ont été remises en cause par les autorités de concurrence :

« La Commission reproche à ces acteurs d’organiser contractuellement des exclusivités territoriales absolues lors de la distribution des œuvres audiovisuelles sur le territoire européen par le biais du géoblocage »175.

En effet, était prévue dans les contrats conclus entre les grands studios américains et les chaînes européennes payantes, une obligation « pour chaque distributeur de respecter l’exclusivité territoriale des autres distributeurs en refusant de répondre à toute sollicitation – fut- elle spontanée – d’un consommateur situé sur un territoire en dehors

173 Décision relative à la saisine des sociétés Multivision et Télévision Par Satellite (TPS)

dans le secteur des droits de diffusion audiovisuelle, 1998 Conseil de la Concurrence.

174 Code de Commerce, Version du 24 juillet 2020.

175 Pierre SIRINELLI et Sarah DORMONT, Rapport Mission ventes passives, Conseil

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de sa sphère d’exclusivité »176. De ce fait était interdit sur le continent

européen, la possibilité pour un consommateur se trouvant dans un pays A, d’accéder au catalogue de la chaîne se trouvant dans un pays B. Les ventes passives étaient donc interdites pour les distributeurs européens auprès de consommateurs situés dans un autre Etat membre.

Cela contrevient profondément à la liberté de circulation des biens culturels, mais aussi au droit du consommateur d’accéder à la diversité culturelle. Cependant, et ce fut l’argument principal des studios américains mis en cause, l’exclusivité est une prérogative relevant du droit d’auteur en matière de distribution de l’œuvre audiovisuelle. « Aussi, lorsqu’un studio choisit le distributeur de ses œuvres sur un territoire, impose les limites et les modalités de l’exploitation de celles- ci, le tout dans un contrat, il s’agit de l’expression de l’exclusivité de son droit sur ses œuvres »177.

En France, même si la réforme sur la chronologie des médias178 a

contribué à rééquilibrer les laps de temps de diffusion des œuvres au bénéfice des plateformes du numérique, les chaînes payantes nationales bénéficient toujours d’un régime plus favorable que celui des plateformes étrangères.

De plus, en matière de fiscalité en France, Canal+ bénéficie actuellement d’une imposition sur la TVA fixée à 10%, alors même que les plateformes comme Netflix sont imposées à un taux de 20%. La question reste alors de savoir si le gouvernement prend le risque politique de baisser la TVA des plateformes étrangères, ou d’augmenter la TVA de Canal+, qui en raison de la concurrence fait face à des difficultés économiques importantes.

176 Ibid.

177 Pierre SIRINELLI et Sarah DORMONT, supra note 175. Para. 58. 178 Arrêté du 25 janvier 2019, supra note 3.

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2) Le soutien des initiatives nationales

Au Canada, alors que l’audiovisuel passait à l’ère numérique, le gouvernement a considéré que les entreprises canadiennes devaient s’imposer elles aussi sur ce nouveau marché, l’objectif étant de ne pas généraliser l’usage des plateformes américaines de manière à évincer les entreprises nationales du marché.

De fait, les initiatives nationales de création de plateformes numériques ont été encouragées, notamment grâce à une exemption :

« Les services de cette catégorie seront exemptés de l’obligation de détenir une licence de radiodiffusion. La création de cette nouvelle catégorie éliminera les obstacles auxquels les sociétés canadiennes doivent faire face afin de faire concurrence sur un pied d’égalité dans l’environnement sur demande. »179

Le gouvernement canadien ayant conscience de l’absence de pouvoir sur la règlementation des plateformes étrangères, un régime similaire d’exemption a été mis en place pour favoriser les plateformes canadiennes SVOD.

Ce sont les radiodiffuseurs canadiens qui ont milité pour une telle mesure :

« Les radiodiffuseurs ont aussi demandé au Conseil de prendre en considération le caractère environnemental des nouveaux médias et la concurrence internationale des fournisseurs de contenu et des agrégateurs qui veulent offrir un contenu au public tant canadien qu'étranger. Ils ont soutenu qu'il était vital de ne pas réglementer les nouveaux médias pour leur permettre d'affronter efficacement la concurrence internationale et qu'il était dangereux de vouloir transférer à cet environnement le modèle du système canadien de radiodiffusion réglementé, car cette approche nuirait à la souplesse et aux expérimentations requises pour assurer le

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succès des entreprises de radiodiffusion par les nouveaux médias »180.

Le CRTC soutient sa position, il considère que les ordonnances d’exemption de la Loi sur la Radiodiffusion181 doivent être maintenues :

« Le Conseil maintient sa position énoncée dans l'ordonnance d'exemption des nouveaux médias, à savoir que l'exemption des entreprises de radiodiffusion par les nouveaux médias encouragera la croissance et le développement continus des industries des nouveaux médias au Canada, contribuant ainsi à la poursuite des objectifs de la politique de radiodiffusion, notamment l'accessibilité à ces services »182.

B) La réticence des Etats à l’intégration des plateformes SVOD