• Aucun résultat trouvé

Titre 1 : Le rêve de l’ère numérique : accès illimité aux œuvres

A) Un nouvel espace d’expression et d’expansion de la culture

Le passage au XXIème siècle marque le moment où la population et les Etats prennent pleinement conscience du passage au numérique. Le numérique, à ce moment-là, modifie nos façons de consommer, non seulement des biens matériels mais aussi des biens culturels.

Ce nouvel outil est vu comme une opportunité permettant de mettre fin aux frontières culturelles. La circulation des films et des séries est de plus en plus facile grâce à Internet. C’est une extension du mouvement de mondialisation, qui permet « une interaction renforcée entre les cultures »115. On peut désormais accéder partout dans le

monde, par abonnement ou à l’achat, à un catalogue d’œuvres audiovisuelles incommensurable. « La diversité culturelle est renforcée par la libre circulation des idées, [et elle] se nourrit d’échanges constants et d’interactions entre les cultures »116. De plus en plus de

contenus audiovisuels sont disponibles sur des plateformes gratuites, telles que YouTube.

115 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

culturelles, supra note 14. Préambule.

38

Les modèles de radiodiffusion nationaux sont bouleversés, et le numérique devient un nouvel espace de visibilité planétaire pour les créations audiovisuelles. Au Canada, le CRTC a adapté sa politique en voyant l’essor de ces nouveaux modes de diffusion de la culture :

« Ce nouvel environnement exigera que tous les joueurs du système de radiodiffusion, y compris les gouvernements et le Conseil, concertent leurs efforts en vue de trouver des approches nouvelles et innovatrices favorisant la création d’une programmation captivante et diversifiée. »117

Ces nouveaux modes de diffusion de la culture audiovisuelle sont une opportunité unique pour améliorer les moyens mis en œuvre par le CRTC pour que tous les canadiens aient accès à une programmation de contenus de qualité :

« Les Canadiens de toutes les régions devraient avoir accès à la programmation, y compris à la programmation canadienne originale, sur des plateformes en ligne exploitées par des Canadiens. »118

Les Etats considèrent qu’ils doivent s’adapter à ce nouvel environnement prometteur pour la culture. Ils ne sont pas les seuls, puisque l’UNESCO prendra la décision d’adopter une Convention en 2005, « considérant que la culture prend diverses formes dans le temps et dans l’espace »119, il devient indispensable de poser des règles visant

à assurer à la diversité culturelle une protection dans cette ère numérique.

B) La Convention de l’Unesco en 2005 : protéger la diversité culturelle à l’ère du numérique

117 Politique réglementaire de Radiodiffusion, Parlons Télé, Aller de l’avant - Créer une

programmation canadienne captivante et diversifiée, 2015-86, Ottawa, CRTC, 2015.

118 Ibid.

119 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

39

1) L’apport de la Convention

La Convention UNESCO de 2005120 est le premier instrument

juridique contraignant adopté par l’UNESCO portant sur le numérique. Les négociations de la convention ont mis du temps à aboutir, puisque celles-ci commencent dès l’année 2000. Les termes « diversité des expressions culturelles » sont lourds de sens, puisque jusqu’alors la question de l’exception culturelle en droit international pèse sur les négociations de nombreux accords commerciaux. L’UNESCO l’affirme de manière définitive : « la diversité culturelle est une caractéristique inhérente à l’humanité »121.

L’objectif général de cette Convention est d’encourager les Etats à prendre en compte la diversité dans le cadre de leur politique culturelle, pour assurer un accès équitable à une pluralité de cultures. Il s’agit ici d’un droit souverain reconnu aux Etats122. Ce droit souverain est fort,

puisque la Convention précise que les Etats peuvent prendre « toutes les mesures appropriées pour protéger et préserver les expressions culturelles »123. A l'article 6 de la Convention124, l'UNESCO donne des

exemples de mesures que peuvent prendre les Etats afin de favoriser la diversité.

Cependant, la formulation de l'article 7125 prête à confusion sur

l'engagement concret de la Convention. La formule qui suscite l’interrogation est la suivante : « Les Etats s'efforcent de". Pèse alors sur

120 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

culturelles, supra note 14.

121 Ibid.

122 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

culturelles, supra note 14. Art. 1.

123 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

culturelles, supra note 14. Art. 8.

124 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

culturelles, supra note 14.

40

les Etats une simple obligation de moyens dans l’ensemble de la Convention, ce qui amoindrit la force contraignante de ce texte126.

A l’image de la mondialisation, au niveau commercial, l’UNESCO s’inquiète de la mondialisation de la culture, qui risque de se révéler inégale entre les cultures, comme les revenus du commerce mondial sont inégaux entre les pays.

« Constatant que les processus de mondialisation, facilités par l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication, s’ils créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre les cultures, représentent aussi un défi pour la diversité culturelle, notamment au regard des risques de déséquilibres entre pays riches et pays pauvres »127

Au paragraphe 8 de l'article 2128, la Convention précise que les

Etats, s'ils mènent une politique culturelle mettant en avant les créations nationales, ne doivent pas pour autant fermer leurs territoires et leurs populations aux autres cultures du monde. Les Etats-Unis, ayant une réputation de leader du marché de l'audiovisuel mondial, ont une très faible pénétration du cinéma étranger sur le territoire (voir Annexe D). Etant donné leur position à l'encontre des exceptions culturelles dans le cadre du commerce, l'absence de ratification de la Convention de 2005129 est cohérente avec la ligne directrice des États-

Unis, au vu de cet article.

Cette convention a malgré tout reçu un accueil chaleureux de la part des Etats puisqu’en 2020, elle ne compte pas moins de 148 Etats ayant adhéré ou ratifié le texte.

126 La diversité culturelle à l’aune de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la

promotion de la diversité des expressions culturelles, supra note 50.

127 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

culturelles, supra note 14. Préambule.

128 Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions

culturelles, supra note 14.

41

2) L’accueil de la Convention en France et au Canada

En France et au Canada la Convention fut particulièrement bien accueillie.

L’introduction au projet de loi de ratification de la Convention de 2005130 évoque que lors du Sommet mondial du développement durable

de Johannesburg du 3 septembre 2002, Jacques Chirac avait apporté son soutien préalable à « l’adoption par la communauté internationale d’une convention mondiale sur la diversité culturelle » qui « donnerait force de loi internationale aux principes de la déclaration de l’UNESCO ».

On voit alors que la France prend déjà position sur la scène internationale, et prend conscience de l’importance d’une telle convention pour continuer à mener sa politique culturelle, dans le but de faire rayonner la culture française à l’échelle internationale. Par la suite une collaboration a été menée entre le Canada, et le Québec plus particulièrement, et la France outre Atlantique, pour établir les éléments essentiels de la future convention de l’UNESCO. La position forte et assumée de ces deux pays est déjà emblématique.

En France, la ratification de la Convention semble évidente notamment en raison de la crainte de l’uniformisation du commerce culturel mondial de films. L’exception française en matière de production de films est mise à mal avec l’expansion du numérique. En adhérant à la Convention, la France espère donc « passer de l’exception culturelle à la diversité culturelle »131.

Les deux pays ont donc bien appréhendé l’essor du numérique et l’urgence de créer une convention visant à préserver la diversité culturelle. L’objectif est d’assurer les promesses d’environnement

130 Dominique DE VILLEPIN et Philippe DOUSTE-BLAZY, Projet de loi autorisant l’adhésion

à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, 2978 (22 mars 2006).

42

favorable à l’essor de la diversité culturelle qu’annonçait l’ère numérique.

Titre 2 : L’ère numérique et l’audiovisuel : un retour à la réalité ?