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3.1 État de l’art

3.1.2 Résultats sur les écoulements en milieu nanoporeux

La nanofluidique connait un essor depuis une vingtaine d’années. De nombreux travaux ont été menés afin d’étudier le comportement des fluides aux plus petites échelles, en descendant jusqu’à des échelles de l’ordre de la taille moléculaire. Il a été montré que les lois de l’hydraulique, issues d’une approche de milieu continu, semblent rester valides jusqu’à des dimensions de l’ordre de la dizaine de diamètres moléculaires, soit environ 1 à 2 nm pour l’eau [Bocquet et Charlaix, 2010]. Par contre, il apparaît un grand nombre d’effets de surface qui sont négligés aux échelles supérieures. La portée de ces effets est définie par différentes échelles de longueur. Par exemple, nous pouvons citer la longueur de glissement de l’ordre du nanomètre pour l’eau sur des surfaces hydrophiles et de 20 nm pour des surfaces hydrophobes. Nous pouvons également citer la longueur de Debye en lien avec les effets électrostatiques dont la longueur dépend de la concentration des espèces ioniques en solution (quelques nanomètres pour une solution très saline et 100 nm pour une eau assez pure). Les effets électrostatiques sont utilisés dans la conception des diodes nanofluidiques [Vlassiouk et Siwy, 2007] ou les écoulements de type électro-osmotique. De nom- breuses applications existent aussi dans la conversion d’énergie ou la désalinisation. La description fine de l’ensemble de ces différentes longueurs nécessiterait un chapitre à part entière. Le lecteur est donc invité à trouver plus de détails dans les revues [Bocquet et Charlaix, 2010, Schoch et al., 2008, Eijkel et al., 2005] et les références citées.

Pour les gaz, la problématique est complètement différente. En effet, à ces échelles, le gaz est raréfié. C’est-à-dire que le libre parcours moyen est petit devant la taille du système (le libre parcours moyen est la distance parcourue par une molécule de gaz entre deux collisions avec une autre particule). Ce rapport est caractérisé par le nombre de Knudsen : K n = λd, où d est la taille du système etλ le libre parcours moyen, de l’ordre de 30 nm pour de l’air dans les conditions normales de pression et de température [Colin et Baldas, 2004]. Si K n < 10−3, le milieu est considéré comme continu. 10−3< K n < 10−1corres- pond au régime glissant, pour lequel les conditions de paroi doivent être modifiées. Pour 10−1< K n < 10 l’approche continue n’est plus valide mais les collisions moléculaires ne sont pas négligeables. Enfin, le régime est qualifié de moléculaire libre lorsque K n > 10, c’est-à-dire que les molécules ne se voient plus entre elles.

Résultats sur les écoulements liquide gaz

Avant de nous intéresser aux résultats relatifs aux écoulements liquide-gaz, nous pouvons préciser le terme micro-pore qui est employé dans la communauté scientifique des milieux poreux. Dans la littéra- ture, en particulier dans le domaine pétrolier, ce terme désigne des pores dont le diamètre est de l’ordre du nanomètre (par exemple [Deng et al., 2016]). Dans ce manuscrit, les préfixes micro et nano désignent bien les échelles de longueur micrométriques et nanométriques.

La majorité des études sur les écoulements liquide-gaz en nanocanaux concernent la situation d’imbibi- tion [Tas et al., 2004], [Persson et al., 2007], [Haneveld et al., 2008], [Oh et al., 2009], [Hamblin et al., 2011], [Chauvet et al., 2012], [Yang et al., 2016]. En particulier, de nombreuses études ont rapporté un écart à la loi de Washburn (équation 3.9). En effet, comme illustré sur la figure 3.6, ces différentes études ont permis d’observer une évolution de la position du ménisque en t0,5, mais avec un préfacteur Am, plus petit que celui de la loi de Washburn, A =

qγcosθd

était d’autant plus petit que la taille des canaux était petite. De nombreuses explications ont été envisa- gées : l’existence d’un angle de contact dynamique, un phénomène d’adsorption sur la paroi, la présence d’une couche liquide immobilisée qui réduirait la profondeur du canal, des effets électro-visqueux ou encore la mise en pression du gaz devant le ménisque par effet visqueux. Cependant, aucune de ces pistes n’a débouché sur l’explication de ce phénomène. Très récemment, Kelly et al. ont proposé que le ralentissement était dû à une déformation locale de l’interface [Kelly et al., 2016].

Am

/A

d (nm)

FIGURE 3.6 – Ralentissement de la vitesse d’imbibition avec la taille du canal (image extraite de

[Chauvet et al., 2012]).

Von Honschoten et al. ont étudié les effets de la déformation du canal induite par les forces capillaires sur la vitesse d’imbibition [van Honschoten et al., 2007]. Ils ont trouvé à nouveau une évolution de la position du ménisque en t0,5, mais cette fois-ci avec une cinétique accélérée par rapport à la loi de Washburn. Leur explication repose sur le fait que la diminution de la profondeur du canal augmente les forces visqueuses mais augmente également de manière plus importante la force motrice capillaire.

L’étude de l’évaporation s’est majoritairement tournée vers le phénomène de cavitation [Wheeler et Stroock, 2008], [Vincent et al., 2014a], [Vincent et al., 2014b], [Wheeler et Stroock, 2009], [Duan et al., 2012]. En effet, lorsque les interfaces liquide-gaz se mettent en place dans des pores de petites dimensions, le liquide se retrouve sous tension, avec une forte pression négative (voir loi de Laplace, équation 3.2). L’évaporation de nanocanaux est donc un moyen facile de mettre un volume de liquide sous tension. La cavitation induite par séchage a aussi été étudiée pour expliquer le phénomène de catapultage des graines de fougères [Noblin et al., 2012]. Toujours en lien avec l’équilibre de phase liquide-gaz et la mise en tension des liquides, nous pouvons rapporter les travaux de Pagay et al., dans lesquels ces phénomènes ont été utilisés pour créer un capteur de pression négative capable de mesurer le taux d’hygrométrie [Pagay et al., 2014] (voir figure 3.7).

La cinétique d’évaporation dans un milieu poreux a tout de même été étudiée dans [Vincent et al., 2016]. En effet, des expériences d’évaporation ont été menées dans du silicium nanoporeux, composé de pores dont la distribution des rayons est comprise dans la gamme rp= 1, 4 ± 0, 4µm. Pendant l’évaporation, un côté du milieu nanoporeux est maintenu au contact d’un réservoir de liquide. Les auteurs se sont spécifiquement intéressés à l’évolution du flux d’évaporation en fonction de la pression de vapeur de l’air extérieur, Pv,at m. Ils ont mis en avant deux régimes. Le premier se distingue par une augmentation linéaire du flux d’évaporation avec la diminution de Pv,at m. Pendant cette phase, l’interface liquide-gaz reste piégée à l’extrémité des pores, et sa courbure augmente avec la diminution de Pv,at mpour maintenir

l’équilibre de Kelvin. Le second régime est atteint pour une valeur critique de Pv,at m. Il correspond à un flux d’évaporation constant, indépendant de Pv,at m. Les auteurs ont montré que la transition entre les deux régimes se faisait lorsque le potentiel chimique de la vapeur de l’air extérieur, défini par

ψv,ext= −RTνmlnPPv,at mv,sat , devenait inférieur au potentiel capillaire, défini parψc= −2γcosθrp . Sous cette valeur critique de Pv,at m, le rayon de courbure imposé par l’équilibre de Kelvin est plus petit que le rayon du pore. Le ménisque recule alors dans le milieu poreux jusqu’à atteindre une position d’équilibre pour laquelleψv,i nt er f ace= ψc. La variation de Pv,at mne modifie plus le flux d’évaporation mais simplement la position du ménisque.

FIGURE3.7 – Capteur de pression négative conçu dans [Pagay et al., 2014]. Une cavité liquide de volume

relativement grand est mis en contact avec l’extérieur à travers une membrane nanoporeuse. La courbure des pores de la membrane s’équilibre avec l’humidité relative extérieure (loi de Kelvin) et transmet une pression négative à l’ensemble du liquide (loi de Laplace). L’estimation de la pression dans le liquide est effectuée en mesurant la déformation d’une paroi de la cavité et permet de remonter au taux d’hygrométrie de l’ambiance extérieure (image extraite de [Pagay et al., 2014]).

Très peu d’études se sont concentrées sur le drainage en milieu nanoporeux. D’un point de vue expérimen- tal, nous pouvons probablement expliquer cela par la difficulté qui consiste à délivrer des hautes pressions dans un système nanofluidique. Nous pouvons tout de même citer les travaux de thèse de Philippe Lefort qui a en autre étudié numériquement l’effet de la déformation de la matrice solide d’un milieu poreux sur les motifs d’invasion [Lefort, 2014]. En utilisant l’approche proposée par [Holtzman et Juanes, 2010] qui modélise le milieu poreux comme un réseau de ressorts, il a mis en évidence la présence d’un régime différent de ceux du diagramme de Lenormand, appelé régime fracturant. La transition vers ce régime peut être caractérisée par un nombre adimensionnel, le fracuring number, noté Nf et défini comme :

Nf = γ

λdE²1/2 0

(3.13)

λ est un paramètre d’étalement de la loi de répartition des profondeurs des canaux, E∗un module

d’Young effectif du matériau et²0la déformation initiale des ressorts. La transition entre le régime de digitations visqueuses et le régime fracturant est illustrée sur la figure 3.8. Nf peut s’interpréter comme le rapport entre l’augmentation de la force capillaire nécessaire à l’envahissement d’un pore,∆fp∼ γd, et l’augmentation de la force issue de la déformation,∆fd∼ λEd2²1/2. Si Nf est grand, l’augmentation de pression nécessaire pour envahir un pore provoque une forte déformation du milieu poreux, ce qui modifie le motif d’invasion.

Positionnement de notre étude

Dans notre étude, nous nous sommes intéressés aux trois types d’écoulements liquide-gaz. En particulier nous commencerons par rapporter des travaux sur l’imbibition et son couplage avec le transport du gaz. Ce travail s’inscrit dans la lignée de ceux que nous avons rapportés dans le paragraphe précédent. Ensuite,

0.031

Nf = 0.003 0.31 0.63 1.04 1.25 1.65

FIGURE3.8 – Transition du régime de digitations visqueuses vers le régime fracturant (résultat numérique).

Le drainage se fait depuis un point central pour un nombre capillaire élevé : C a=10 (Images adaptée de [Holtzman et Juanes, 2010]).

nous montrerons quelques observations phénoménologiques issus d’expériences d’évaporation. Dans un troisième temps, nous montrerons une étude comparative entre les motifs de drainage obtenus dans nos dispositifs et ceux issus de simulation sur réseau de pores. Nous avons cherché à revisiter les travaux de Lenormand que nous avons décrits, mais en nous plaçant à l’échelle nanométrique. Nous terminerons par présenter des travaux préliminaires sur les effets des déformations capillaires sur les écoulements.