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4.1 Résultats

Au début de ce travail, nous nous sommes posé une série de questions et nous avons proposé quelques hypothèses visant à y répondre. Il convient maintenant de revenir sur celles-ci afin d’établir les résultats obtenus lors de cette étude.

En nous fondant notamment sur une proposition de traduction linguistique d’un fragment de l’œuvre Bord de Canal, ainsi que sur une proposition de traduction culturelle de cette même œuvre, nous avons pu démontrer combien une approche seulement linguistique est insuffisante pour rendre toute l’originalité culturelle d’une œuvre et faire ressortir toute sa diversité. En ce sens, les théories linguistiques sont, à l’évidence, trop centrées sur les éléments linguistiques, ce qui mène souvent ces théoriciens à parler d’« intraduisibilité ». Nous refusons pour notre part cette notion d’« intraduisibilité », que nous considérons comme trop attachée aux processus linguistiques. En effet, il est certes impossible de traduire de façon satisfaisante des langues, mais il est en revanche possible de traduire des réalités et des textes.

De surcroît, nous nous sommes rendue compte que les théories linguistiques se contredisent souvent, ce qui rend encore plus difficile de les accepter sans les nuancer. Puisqu’elles s’occupent fondamentalement de l’aspect linguistique de l’œuvre, d’autres aspects restent à l’écart, notamment la dimension culturelle. Ainsi, ce type de traductions masquent l’originalité du texte-source et donnent lieu à des expression peu naturelles ainsi qu’à un texte dénaturalisé et dérangeant parfois, du fait de sa préoccupation trop linguistique. En outre, les traductions linguistiques sont souvent incapables de refléter l’arrière-fond culturel de l’œuvre. En conséquence, il nous semble que nous devons refuser ce type de traduction. Il n’empêche que nous accordons aux théories linguistiques une importance notable dans le développement d’une pensée sur la traduction.

En revanche, en analysant les propositions de traductions culturelles, nous avons pu remarquer combien ces textes deviennent enrichissants pour le public-cible et combien le Divers y rayonne au lieu de rester caché. C’est alors le skopos qui a guidé nos choix de traduction. Il nous a été fondamental pour faire ressortir le Divers dans les œuvres et pour

réfléchir aux choix d’écriture d’Alfred Alexandre, au lien entre le fond et la forme (qui traduit en mots la réalité) ainsi que sur la difficulté de traduire ces éléments en espagnol. En outre, les théories sur le Divers nous ont aidée à redéfinir notre rapport à l’Autre et à penser la traduction autrement afin de ne pas masquer la culture-source.

L’analyse de Bord de Canal a été fondamentale pour nous aider à mieux comprendre les choix d’écriture de cette œuvre, en interrogeant notamment le choix d’une syntaxe surprenante qui correspond au discours de la folie et à une écriture éminemment orale. Cela nous a aussi permis de nous interroger sur les réalités sociales présentes dans l’œuvre qui sont compréhensibles pour un Martiniquais, mais qui restent bien obscures pour un public espagnol afin de trouver les éléments culturels qui pouvaient poser problème lors de la traduction.

Nous avons cherché alors à rendre l’arrière-fond culturel et la réalité martiniquaise pour un public espagnol, à partir notamment d’explicitations dans le texte, que nous avons écrit de façon à ce qu’elles se mêlent à la trame du récit, en refusant d’utiliser des lexiques ou des notes de bas de page. Ces explicitations dépassent donc la simple traduction des mots présents dans le texte, mais rendent compte des non-dits et des réseaux de codes partagés entre les membres de la culture martiniquaise. Nous avons ainsi refusé les adaptations culturelles en choisissant en revanche de montrer en quelque sorte le Divers.

Nous avons de surcroît conservé la façon d’écrire d’Alfred Alexandre, d’abord parce qu’il s’agit ici de montrer un discours appartenant au Divers et aussi parce que cette déviation par rapport à la norme syntaxique est un recours poétique de l’auteur. Nous considérons en effet que les traducteurs ne doivent pas imposer leur façon d’écrire, de dire les choses et de voir le monde, mais ils doivent respecter les choix des auteurs, étant donné que les choix d’écriture (ce que nous disons, comment nous le disons et ce que nous ne disons pas) montrent la construction d’une culture.

Nous avions également pour objectif d’explorer comment Bord de Canal rend compte de certaines particularités d’écriture en contexte franco-créolophone et comment et dans quelle mesure il est possible de rendre compréhensible aux lecteurs espagnols l’originalité de la langue des Antilles. Cependant, nous sommes contrainte d’accepter qu’il est difficile pour nous de répondre à ces deux questions puisqu’Alfred Alexandre, pour pouvoir atteindre un public plus large avec son œuvre, n’utilise que quelques mots de créole et écrit apparemment en français « standard ». Néanmoins, à partir de ces premières analyses, nous pensons qu’il ne serait pas

possible de montrer cette écriture créolophone dans la proposition de traduction en castillan de

Bord de Canal, notamment parce que les caractéristiques des deux langues sont complétement

différentes. L’option de choisir des mots d’une langue autre que le castillan présent aussi en Espagne, comme par exemple le catalan, décontextualise l’œuvre et ne rend pas compte de la langue créole, mais crée un pseudo-espagnol qui ne partagerait point le bagage culturel et la réalité véhiculés par le créole. En revanche, ceci ne devra pas être considéré comme un échec, puisque la traduction ne traduit pas des langues, mais des textes et, accessoirement, vise à éveiller la curiosité chez le lecteur pour qu’il cherche à se rapprocher de la culture étrangère véhiculée dans l’ouvrage qui retient son attention.

En conclusion, nous avons, tout au long de ce mémoire de master, tenté de démontrer la pertinence des traductions culturelles mettant en lumière le Divers. Étant donné qu’un texte n’est pas formé de mots, mais de réalités, l’écrivain décide de quelle façon il va décrire cette réalité (omissions, explications…) et le traducteur doit faire en sorte de traduire cette réalité, notamment en comblant les espaces dans les connaissances encyclopédiques du lecteur espagnol pour lui permettre une approche plus fine du texte-source. Il s’est donc agi pour nous de faire ressortir dans le texte-cible ce qui est implicite dans le texte-source. Puisqu’un texte est toujours conçu dans une culture, il est évident que lorsque le texte change de culture, il subit des changements pour être compréhensible dans la culture-cible.

Il nous semble, malgré les difficultés, avoir mis en valeur dans cette étude l’importance incontournable du facteur culturel et du Divers pour permettre une rencontre réussie entre cultures et contribuer à leur valorisation, facilitant ainsi des voies non ethnocentriques en traduction.

4.2 Perspectives

Si nous tenons compte de l’ampleur de plus en plus large que les théories du Divers prennent actuellement, il est logique de penser qu’elles continueront à se développer dans les années à venir, nous permettant de réfléchir encore et de façon plus approfondie sur la traduction en contexte interculturel.

En conséquence, cette étude constitue une étape préliminaire d’une analyse que nous voudrions pousser plus avant concernant le rôle de la traduction dans le respect et la promotion du Divers, non seulement dans le cadre des cultures non européennes, mais aussi des identités considérées comme « à la marge ». Or, n’importe-t-il pas de traduire autrement pour refuser ces marginalisations ?

Nous avons présenté dans ce mémoire une première approche concernant la traduction en contexte interculturel et nous avons pu également explorer en quelque sorte le discours en contexte de folie. Nous souhaiterions poursuivre cette étude à partir d’un corpus plus large qui nous permette d’explorer d’autres formes de Divers et aussi d’approfondir au moins deux sujets que nous aurions voulu traiter dans ce mémoire, mais que nous n’avons pas pu analyser, ou pas suffisamment. Il s’agirait, d’abord, de réfléchir autour de la traduction des langues minoritaires qui apparaissent dans un discours écrit dans une langue majoritaire. Nous trouvons intéressant d’explorer également la validité des théories d’Umberto Eco concernant les lecteurs idéaux en contexte de traduction : existe-t-il vraiment un lecteur « idéal » ? Si oui, son identité influe-t- telle dans la traduction ? Le lecteur idéal change-t-il entre les cultures ou le traducteur peut faire en sorte de le conserver ?

Il nous semblerait intéressant d’essayer de répondre à ces questions et à d’autres dans une prochaine thèse de Doctorat.