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Suite à ces résultats, qui ne permettaient pas de montrer que la pédagogie libérale favorisait l’internalisation des explications internes, l’hypothèse d’un biais de réponse a

émergé. Selon cette hypothèse, les élèves répondaient au questionnaire d’internalité en

essayant de donner une bonne image de soi, bien que la consigne précisait qu’il n’y avait ni

bonnes ni mauvaises réponses (Channouf et al., 1995; Dubois & Le Poultier, 1993). En effet,

certains individus savent qu’il est préférable de mobiliser des explications internes pour se

faire bien voir et que les explications externes engendrent une impression négative. Ces

individus sont dits « clairvoyants » (Py & Somat, 1991). La clairvoyance normative renvoie à

« une connaissance générale de l’utilité sociale de certaines explications et ceci […]

indépendamment du degré d’adhésion normative exprimé par le sujet » (Somat & Vazel,

1999, p 702). Un individu clairvoyant sait donc se conformer aux attentes sociales peu

importe son niveau d’adhésion. Ainsi, il est possible que les clairvoyants mobilisent

davantage d’internalité en consigne standard, parce qu’ils souhaitent se faire bien voir. Les

pratiques pédagogiques non-libérales pourraient favoriser l’apprentissage de la clairvoyance

normative, car les positions de pouvoir étant plus saillantes, les élèves pourraient être amenés

à comprendre que les explications internes engendrent une impression positive, alors que les

explications externes sont dévalorisées. Plus précisément, il se pourrait que la clairvoyance

normative s’apprenne par l’intermédiaire de « feedbacks explicites donnés par l’agent du

pouvoir » (Guingouain, 2001 , p 349). Dans ce cas, les élèves issus de classe à pédagogie

non-libérale et ceux à pédagogie non-libérale pourraient avoir des scores d’internalité équivalents, mais

pour les uns ils révèleraient une internalité stratégique alors que pour les autres l’internalité

serait internalisée (Py & Somat, 1991). Ce raisonnement théorique fut soutenu empiriquement

pour deux études. Dans la première (Dubois & LePoultier, 1993), des élèves de CM1 et de

CM2, issus de classe soit à pédagogie libérale depuis le CP soit de classes à pédagogie

non-libérale, ont passé un paradigme d’autoprésentation. Les résultats montrent que les élèves

issus de classes à pédagogie non-libérale ont un score d’internalité en consigne standard et un

score de clairvoyance (différence entre le score d’internalité en bonne image et celui en

mauvaise image) plus élevé que ceux issus de pédagogie libérale. De plus, une corrélation

positive (r = 0,25 ; p<0,05) entre le score obtenu en consigne standard et le score de

clairvoyance a été trouvée pour les classes à pédagogie non-libérale, mais pas pour les classes

à pédagogie libérale (r = -0,03 ; p>0,10). Le même pattern de résultats fut obtenu dans une

étude menée sur des élèves de 6

ème

(Channouf et al., 1995). Hormis, qu’aucune différence

n’était observée entre les deux styles pédagogiques en consigne standard. Channouf, Py et

Somat (1995) l’expliquent par le fait que les élèves ont été confrontés moins de temps à la

pédagogie libérale que l’échantillon de Dubois et LePoultier (1993). Dans le même sens, il

apparaît que les enfants évoluant dans un contexte pédagogique plus autoritaire tel que le

système éducatif lituanien se révèlent plus clairvoyants que les élèves français (Jouffre, 2007).

Ainsi, des pratiques autoritaires favorisent le développement de la clairvoyance normative

(Dubois, 2009). Si les études sur la norme d’internalité se sont plutôt intéressées à l’influence

de l’enseignant, il ne faut pas oublier que les parents jouent un rôle primordial dans la

socialisation de l’enfant. Dans la section suivante, nous allons donc aborder les travaux

étudiant l’effet des pratiques parentales sur la mobilisation de l’internalité par l’enfant.

4. L’apprentissage social de l’internalité.

4.1. Les parents, référents de l’enfant.

La norme d’internalité s’apprend également à travers les activités évaluatives des

parents à l’égard de leur enfant (Dubois, 2009). Une étude longitudinale montre l’influence

des parents, en révélant que des adultes de 26 ans ayant vécu avec des parents dont la

catégorie socioprofessionnelle est élevée ont des scores d’internalité plus élevés que ceux

ayant vécu dans des conditions matérielles plus précaires (Flouri, 2006). De plus,

conformément à l’ensemble des éléments énoncés dans les chapitres précédents, les pratiques

éducatives libérales, de par le fait qu’elles responsabilisent davantage les enfants que les

pratiques traditionnelles, permettent d’internaliser les normes sociales (Bouissou, 1995).

Cependant, lors d’une première étude menée par Bouissou (1995), aucun effet entre

internalité standard et pratiques éducatives n’a été observé. Néanmoins, dans une autre étude,

Bouissou (1996) a montré que des pratiques parentales engageantes, c’est-à-dire avec un

certain contrôle parental et une participation importante de l’enfant, favorisent la mobilisation

des explications internes de la part des enfants. Il en est de même lorsque les parents sont à

l’écoute, aident leur enfant à résoudre ses problèmes et font usage de manière consistante des

punitions et des récompenses (Carton & Nowicki, 1994; Lifshitz, 1973). Il a également été

montré que plus les étudiants caractérisent leurs parents sur une échelle de soutien

émotionnelle (exprimer sa fierté à l’égard de son enfant, le soutenir et l’encourager) comme

soutenant, plus leur score d’internalité est élevé (Suizzo & Soon, 2006). Il semble donc que ce

soit plutôt des pratiques renvoyant au style démocratique qui favorisent l’internalisation de

l’internalité. Dans ce sens, l’étude de Beauvois et Dubois (1991, cité dans Dubois & Le

Poultier, 1993) montre que les enfants internes avaient des parents encourageant à

l’autonomie, responsabilisant, ayant des pratiques stables et homogènes et ayant un certain

contrôle sur leur enfant. De plus, l’induction, caractéristique du style démocratique, est une

technique disciplinaire qui favorise l’attribution des comportements à des facteurs internes.

Plus précisément, l’induction consiste à attirer l’attention de l’enfant sur les conséquences de

son comportement pour autrui (Hoffman, 1975). Cette technique permet de focaliser

l’attention de l’enfant à la fois sur son comportement et sur ses conséquences pour autrui

(Hoffman, 2000). Faire appel à des caractéristiques personnelles de l’enfant, comme lui dire

qu’il est une personne gentille, fait partie des techniques inductives (Tostain, 1999). Celles-ci

sont associées au développement de la culpabilité et à l’’internalisation des valeurs morales

(Hoffman, 1975). Elles sont également liées positivement aux motivations internes (Hoffman,

1963a) et elles favorisent l’internalisation des explications internes. En effet, des enfants de

11 ans non-clairvoyants internes ont des parents expliquant davantage les motifs de l’action