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Le deuxième phénomène qui nous donne à supposer que la norme d’internalité peut être issue de connaissances implicites est que certains individus mobilisent spontanément le

registre explicatif interne, mais ne savent pas repérer la valorisation des explications internes.

Ils utilisent les explications internes parce qu’ils pensent qu’elles expliquent la situation

(Dubois & Le Poultier, 1993; Py & Somat, 1991). Flammer et Schmid (2003) ont montré que

pour expliquer un succès ou un échec scolaire, les enfants et les adolescents interrogés

produisent spontanément une, deux ou trois causes maximum. La cause citée le plus souvent

réfère à la pratique, c'est-à-dire le fait de répéter plusieurs fois, ensuite celle renvoyant aux

capacités spécifiques, puis la concentration. Ils ont donc constaté que les attributions internes

étaient beaucoup plus fréquentes, pour expliquer ces deux renforcements scolaires, que les

explications externes (Flammer & Schmid, 2003). Dans le cadre connexionniste, le modèle de

Bollon, Paignon, et Pansu (soumis) simulant la chute de la mobilisation des explications

internes à l’entrée en 6ème, est fondé sur le postulat que la norme d’internalité fait l’objet

d’un apprentissage implicite.

De plus, de manière expérimentale, Channouf, Py et Somat (1999) ont mis en évidence

une meilleure accessibilité du registre interne. Ils ont montré que des étudiants, placés en

situation de surcharge cognitive, rappellent davantage les explications internes que les

explications externes. Ils ont aussi trouvé que les enfants âgés de 10-11 ans ne sont pas

capables de rappeler plus d’explications internes dans une situation de surcharge cognitive,

mais qu’à la suite d’un entraînement, ils traitent davantage le registre interne que le registre

externe. Le Floch, Py et Somat (2002) ont montré que les explications internes sont traitées

plus rapidement que les explications externes non pas parce qu’elles seraient plus plausibles

mais parce qu’elles sont porteuses de valeur sociale. Dans une de ces simulations, Van

Overwalle (2007) simule l’expérience de Gilbert, Pelham, et Krull (1988) montrant que les

participants préoccupés cognitivement n’utilisent pas les informations relatives à la situation.

Selon Gilbert, Pelham, et Krull (1988), lorsqu’un individu observe une personne, il va

catégoriser ce que fait la personne, ensuite il va inférer un trait impliqué par l’action et après il

ajustera sa perception en fonction de la situation. Les deux premières étapes seraient issues de

processus automatiques, alors que la dernière requerrait des processus contrôlés puisqu’elle

serait plus coûteuse cognitivement (Gilbert et al., 1988). Van Overwalle (2007) réplique les

résultats de Gilbert, Pelham, et Krull (1988) en utilisant un modèle connexionniste qui traite

en parallèle de manière automatique aussi bien les informations relatives à la personne qu’à la

situation. Sa simulation explique que les participants préoccupés cognitivement n’utilisent pas

les informations relatives à la situation de par leurs expériences passées (apprentissage

antérieur) et le manque d’activation des facteurs situationnels. Plus précisément, un sujet

virtuel apprenait dix fois une situation où il observait une personne parlant d’un sujet anodin

qui n’impliquait pas d’anxiété et dix fois une situation où une personne parlait d’un sujet

anxiogène qui impliquait de l’anxiété. Ensuite, il était confronté cinq fois à l’activation de

toutes les causes, c'est-à-dire les deux causes situationnelles : sujet anodin et sujet anxiogène,

ainsi qu’à un facteur dû à la personne. Cette dernière condition d’apprentissage simulait la

situation de préoccupation cognitive en manipulant techniquement une faible activation de

traitement de l’information (activation fixée à 0,15 plutôt que 1). En phase test, le sujet virtuel

avait le facteur dû à la personne présent (activé par le codage 1) et les facteurs situationnels

étaient absents du contexte dans lequel se trouvait le sujet virtuel (i.e. pas activés). En réponse

à cette présence du facteur personnel, le sujet virtuel associe de l’anxiété. Cette association est

due au processus d’apprentissage. Le sujet virtuel n’avait pas appris préalablement à associer

le facteur personnel puisqu’il était absent du contexte (i.e. pas activée). Ensuite, dans la

situation simulant la préoccupation cognitive, il a appris à associer ce facteur personnel à de

l’anxiété, ce qui a permis au sujet virtuel de développer des associations fortes entre ces deux

variables, qui sont réactivées dès lors que le facteur personnel est activé. Cette simulation

nous rappelle les résultats de Channouf, Py et Somat (1999), qui ont montré sur des enfants

qu’à la suite d’un apprentissage, le registre des explications internes est plus accessible. Selon

Channouf et al. (1999), la valeur associée aux explications internes pourrait être stockée en

mémoire sémantique (stockage de connaissances abstraites), ce qui rendrait le registre des

explications internes spontanément accessibles en l’absence d’un contexte de référence. En

revanche, le contenu des explications externes serait stocké en mémoire épisodique (stockage

d’épisodes spécifiques référant à des souvenirs) et ferait appel à des processus cognitifs

contrôlés. Ainsi, la valeur associée aux explications internes les rendrait plus accessibles.

Cependant, la simulation faite par Van Overwalle (2007), montre que les facteurs personnels

et les facteurs situationnels sont tous deux activés en fonction du contexte. Cette activation est

déterminée par l’apprentissage antérieur. A partir de cette simulation, nous pouvons supposer

que les deux registres d’explications causales sont régis par des processus automatiques

déclenchés en fonction du contexte.

Nous avons vu précédemment que l’activation des connaissances normatives est

favorisée dans des situations impliquant des conduites sociales d’évaluation. Les conduites

sociales d’évaluation sont des situations où un individu porte un jugement de valeur sur un

autre individu (Beauvois, 1976). Elles sont associées aux relations de pouvoir, dans lesquelles

le détenteur du pouvoir a pour fonction d’évaluer la valeur des individus qu’il a en charge,

afin de leur donner des renforcements sociaux (exemples : promotion, notes ; Beauvois,

1984). Juhel et Rouxel (2005) ont montré que dans une situation fortement évaluative

(contexte de recrutement), les participants donnent davantage de réponses désirables

socialement qu’en situation faiblement évaluative (contexte de bilan de compétences). De

plus, en situation évaluative leur temps de réponses est légèrement inférieur à la situation

faiblement évaluative. Ainsi, les réponses socialement attendues sont activées

automatiquement par le niveau évaluatif de la situation sociale (Juhel & Rouxel, 2005). Le

niveau évaluatif est renforcé dans les relations caractérisées par une asymétrie de pouvoir

entre les protagonistes (Martin, 2001). Comme cela est le cas dans les interactions entre

élève-enseignant, candidat-recruteur, employeur-employé (Beauvois & Dubois, 1988; Beauvois &

Le Poultier, 1986). Les paradigmes utilisés pour mettre en évidence la norme d’internalité

mobilisent des situations emprises de pouvoir. Nous avons vu que les différences de situations

induites par les consignes expérimentales renvoient aux deux composantes de la valeur :

l’utilité sociale versus la désirabilité sociale (Dubois & Beauvois, 2001). Dans les contextes

désirables, il est possible que le registre externe soit approuvé socialement, ce qui le rendrait

spontanément accessible dans ces contextes. Les résultats de Dubois (2000) nous laissent

penser que le registre d’explications externes pourrait être parfois approuvé par les autres. En

effet, les individus ne mobilisent pas seulement des explications internes pour se présenter de

manière favorable, ils utilisent d’autres stratégies de présentation, comme l’autocomplaisance,

la modestie ou l’externalité (Dubois, 2000). L’autocomplaisance correspond à la mobilisation

des explications internes pour des événements positifs et externes pour des événements

négatifs. La modestie correspond à la mobilisation des explications externes pour des

événements positifs et internes pour des événements négatifs. Ainsi, l’externalité est, dans

certains contextes, utilisée à des fins d’autoprésentation, ce qui signifie qu’elle pourrait

parfois être perçue favorablement. De plus, Mezulis, Abramson, Hyde et Hankin (2004), en

faisant une méta-analyse de la littérature sur le biais d’autocomplaisance, ont montré qu’il est

culturellement déterminé. Il est plus important aux Etats-Unis et dans les sociétés occidentales

qu’en Asie. Les chinois et les coréens présentent un biais d’autocomplaisance, alors que les

japonais et les personnes des îles du Pacifique n’en présentent pas. Les indiens ont un biais

modéré. Ainsi, les explications externes seraient plus ou moins acceptées socialement pour

expliquer des événements négatifs en fonction de la culture dans laquelle l’individu évolue.

Nous faisons donc l’hypothèse qu’en fonction de l’environnement social dans lequel

l’individu évolue, il apprend que tel ou tel registre explicatif est valorisé dans telle ou telle

situation. Ainsi, l’activation de l’un ou de l’autre registre est déterminée par le contexte social

rendant plus ou moins saillant telle ou telle connaissance. Nous supposons que ces

connaissances relatives à la valeur des registres explicatifs peuvent faire l’objet d’un

apprentissage implicite. Déjà à ce stade, les hypothèses que nous formulons sont difficiles à

tester sur les sujets humains. Nous verrons que l’approche connexionniste permet de prendre

en compte les différences de valeur des contextes (utilité sociale versus désirabilité sociale)

ainsi que la fréquence plus ou moins importante d’exposition à la valorisation de tel ou tel

registre.

5.2Clairvoyance normative et métacognition.

Au-delà de l’internalité exprimée spontanément et des jugements dépendant des