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Chapitre 2 : Conscience de la Situation

2.2 Processus cognitifs impliqués dans la conscience de la situation

2.2.3 Résolution de problème et Prise de décision

Une fois que le pilote a une bonne conscience de la situation, il sera en mesure de poser un diagnostic sur la situation et prendre des décisions. Il est important de comprendre comment se déroule cette activité de prise de décision en environnement dynamique dans le but d’appréhender les différents processus cognitifs mis en jeu et surtout les stratégies mises en place afin de pouvoir proposer une interface susceptibles de les aides dans cette démarche de prise de décision.

« L’environnement dans lequel la décision est prise peut être changeant soit comme une fonction de la séquence de décisions, soit indépendamment, soit les deux » (Edwards, 1962, p.60, cité par Kerstholt & Raaijmakers, 1997, in Ranyard, Crozier & Svenson, 1997). Un des aspects importants dans la prise de décision en environnement dynamique concerne la dimension temporelle. En effet, l’opérateur en situation dynamique va devoir prendre des décisions en temps réel et va devoir savoir quand il doit agir sur le système sous contrôle. C’est alors que peut apparaître une pression temporelle, c’est-à-dire une quantité de temps disponible non compatible avec la quantité de temps requise pour réaliser une tâche entrainant une conséquence non désirée (Rastegary & Landy, 1993).

Plusieurs éléments influencent également la prise de décision (Simpson, 2001) :

- L’environnement. Outre l’aspect temporel, il y a également des éléments comme les risque(s) encouru(s), les ressources disponibles, ou encore l’importance du problème.

- Le type de problème. Est-ce que c’est un problème complexe ? Découle de ce premier constat des éléments de type « ambiguïté du problème », ou encore sa stabilité, questions qui auront une incidence sur la prise de décision.

- Les caractéristiques de l’opérateur. L’expertise de l’opérateur va avoir un impact sur la décision prise du fait d’une part de sa connaissance et le degré de familiarisation avec la situation (et donc du problème rencontré) et d’autre part, des habiletés qu’il est en mesure de mettre en œuvre pour résoudre le problème ou non (être en mesure de reprendre l’avion manuellement lors de la perte des systèmes automatisés ou non, par exemple). La motivation de l’opérateur va également avoir une influence sur la prise de décision.

Le modèle SRK (Skill, Rules, Knowledge)

L’idée principale et conductrice des travaux de Jens Rasmussen est que « tout le comportement humain est tourné vers l’économie des ressources cognitives » (Pastorelli, 2007). A la suite d’un incident nucléaire (le Three Miles Island en 1979), Rasmussen va s’intéresser aux processus dynamiques et à l’adaptation des opérateurs dans les environnements dynamiques. Ainsi, il va

proposer un modèle représentant différents niveaux d’effort cognitif lors de tâche de contrôle et de diagnostic de systèmes dynamiques (Rasmussen, 1983). Ce modèle comprend trois niveaux :

· Le comportement basé sur les habiletés (Skills). Ce premier niveau fait référence un traitement automatique. Ici, l’opérateur voit un pattern d’information qui va activer chez lui directement une réponse de type sensori-motrice. Ces traitements vont se faire de manière inconsciente et ne vont nécessiter que très peu de ressources attentionnelles. Ce premier niveau fait référence aux activités routinières automatisées. Le risque à ce niveau est l’erreur d’inattention.

· Le comportement basé sur les règles (Rules). Les routines mises en place dans le niveau précédent sont toutes basées sur des règles. Les opérateurs ont des stocks de règles provenant d’expériences antérieures. Ces règles permettent de déterminer quel est le but à suivre et ainsi de savoir quelle procédure et action mettre en place. La différence entre le niveau des habiletés et le niveau des règles n’est pas grande. Elle fait simplement référence à l’état de conscience ou non, des traitements automatiques mis en place. Ici, au niveau des règles, les processus sont conscients, et l’opérateur est en mesure d’expliciter quel savoir-faire il a mis en œuvre pour atteindre tel but. Ainsi, il y aura un effort cognitif plus important qu’au premier niveau car l’opérateur va devoir interpréter les signaux afin de sélectionner (d’inférer) la bonne règle à mettre en place. Le risque ici est de sélectionner la mauvaise règle.

· Le comportement basé sur les connaissances (Knowledge). Ce dernier niveau prend place lorsque l’opérateur se retrouve en situation nouvelle, situation qu’il n’a jamais expérimentée auparavant, et pour laquelle aucun savoir-faire ni règle n’est disponible. L’opérateur va alors devoir analyser l’environnement et les objectifs généraux et cela à partir de ses connaissances en MLT et de ses modèles mentaux du système sous contrôle. Il va alors élaborer des plans d’action qu’il va ensuite tester soit de manière physique par essai-erreur, soit de manière conceptuelle en faisant des prédictions des effets des actions prévues. Ce niveau est très coûteux pour l’opérateur en matière de ressources cognitives et donc de ressources attentionnelles car l’opérateur se retrouve en situation de résolution de problème, le risque à ce niveau étant de ne pas trouver la solution.

Ce modèle SRK, permettant de mettre en lumière les différents niveaux de prise de décision selon l’expertise de l’opérateur, a toutefois été critiqué du fait de sa séquentialité. Il ne prend pas en compte les aspects rétroactifs (de l’action vers le diagnostic), ni les aspects anticipatifs. En effet, en environnement dynamique, et notamment dans l’aviation générale, les pilotes passent par une phase de préparation du vol où ils anticipent de potentiels incidents. Repartant

du modèle de Rasmussen, Hoc et Amalberti (1994) détaillent les différents niveaux de diagnostic pouvant être mis en place.

· Le diagnostic automatique. « Il s’appuie sur la détection de signaux qui orientent immédiatement vers l’action appropriée, sans passer par la représentation symbolique » (p. 183). Ici, la notion de schéma ou modèle mental peut intervenir. En reprenant l’exemple des pilotes d’avion, on peut émettre l’hypothèse que lors de la préparation du vol, les pilotes ont activé des schémas qui vont permettre d’émettre un diagnostic automatique.

· Le diagnostic symbolique. Ici, il y aura une interprétation des stimuli présents dans l’environnement. Autrement dit, l’opérateur va chercher à comprendre ce que les signes véhiculent comme sens. Par exemple, « dans la conduite de haut fourneau, l’identification d’une baisse régulière pendant trois heures d’un paramètre évaluant l’état thermique conduit, conformément à une consigne (règle connue), à modifier en conséquence la proportion de coke dans la charge » (p. 184). Mais, il faut noter que, dans le contexte des hauts fourneaux comme dans les contextes d’environnements dynamiques complexes, il y a également une interprétation de phénomènes inobservables propres au système.

· Le diagnostic conceptuel. Ce diagnostic fait référence au troisième niveau du modèle de Rasmussen. « Il est évidemment symbolique mais renvoie à des mécanismes interprétatifs plus profonds que la simple orientation d’une règle applicable » (p. 184). Ici, Hoc et Amalberti donnent l’exemple du diagnostic différentiel en médecine où les médecins prennent en considération tous les symptômes d’un patient et les comparent avec des maladies compatibles afin de retenir seulement celles qui partagent le plus de symptômes. Ainsi, des hypothèses sont émises fondées sur les données (faits) mais également en lien avec les connaissances des opérateurs.

Il est important de rappeler que l’opérateur étant dans un environnement dynamique en constante évolution, il n’est pas en mesure de tout comprendre avant de prendre sa décision. Il ne prend en considération que les informations qu’il juge importante à un moment donné selon les buts fixés. Ainsi, selon Hoc et Amalberti, le diagnostic est réalisé de manière progressive et fait appel à des structures et notamment à la structure causale (relations causes à effets) et à la structure fonctionnelle (la connaissance du fonctionnement du système permet de poser un diagnostic). L’opérateur élabore des inférences afin d’évaluer ses hypothèses et de poser son diagnostic.

Modèle de prise de décision chez les pilotes

Dans l’aviation commerciale, 60 à 80 % des accidents d’avion sont attribués à des erreurs humaines (Ferguson & Nelson, 2012 ; Shappell, Detwiler, Holcomb, Hackworth, Boquet, & Wiegmann, 2007). Schriver, Morrow, Wickens et Talleur (2009) proposent un modèle qui représente les étapes de la prise de décision chez les pilotes. Tout d’abord, sur la base des connaissances et des attentes des pilotes, les signaux de l’environnement sont perçus par le pilote et un sous-ensemble d’informations est alors sélectionné. Cet ensemble d’informations est interprétée et intégrée afin que le pilote puisse faire un diagnostic de la situation. Autrement dit, il évalue la situation. C’est à ce moment-là que l’opérateur prend une décision et cela en considérant plusieurs actions et leurs résultats (notamment en termes de risque) afin de sélectionner l’action à effectuer. Différents éléments influencent la prise de décision, comme la perception qui est faite du signal, l’attention qui est portée à celui-ci (et influençant donc la sélection et l’intégration de l’information), la quantité de connaissances antérieures présentes en MLT en lien avec cette situation, et enfin les capacités en MdT.

Le modèle NDM (Naturalistic Decision Making)

Pour comprendre quels sont les mécanismes en jeu dans la prise de décision en environnement dynamique et complexe, et particulièrement dans le domaine aéronautique, Klein (2008) propose un modèle appelé le modèle NDM (Naturalistic Decision Making). En effet, ce modèle a été créé à partir d’analyses réalisées en milieu naturel et il présente ce qu’est la prise de décision et non pas ce qu’elle devrait être. Il est à noter que ce modèle NDM inclut le modèle RPD (Recognition Primed Decision) qui suggère que la prise de décision est déclenchée par la reconnaissance. Par exemple, un pilote reconnait immédiatement un pattern d’informations et l’attribue à telle ou telle cause et ceci sans mettre en place un raisonnement analytique et ainsi consommer du temps inutilement (Simpson, 2001). En outre, le stress peut avoir des effets néfastes en ce qui concerne la récupération d’information en MLT. Or les stratégies, les options intuitives sont moins sujettes au stress. Il y a une sorte d’immunité des informations familières au stress en ce qui concerne leur récupération en MLT (Wickens et al., 1993).

Evaluation de la situation

Une première caractéristique de la NDM et du RPD est que l’opérateur génère des séries continuelles de décisions en évaluant des options, plusieurs alternatives (et non pas une seule décision avec une évaluation simultanée). Ces décisions sont prises en temps réel et affecte directement celles à venir. C’est pourquoi il est important ici que les opérateurs évaluent constamment la situation afin de mettre à jour leurs modèles mentaux fonctionnels et leurs hypothèses. Autrement dit, il y a une grande importance de la conscience de la situation et de sa mise à jour régulière (Simpson, 2001).

Evaluer la situation permet donc de mettre en évidence (Klein, 1993) : - les buts qui peuvent être atteints ;

- les signaux importants ;

- les attentes qui servent ainsi de vérifications concernant l’exactitude de l’évaluation faite de la situation ;

- les actions à mettre en place.

Simulation mentale

A la suite de l’évaluation de la situation, le choix de la décision à prendre se fait à travers une simulation mentale, en imaginant comment une séquence d’événements pourrait se déployer (plutôt que par des analyses statistiques ou mathématiques). Ce sont les options amenant à un ou des résultats satisfaisants qui sont choisies (et non pas les options débouchant sur un résultat optimal). En effet, étant dans un environnement dynamique, l’opérateur est dans une situation où il doit agir et n’est pas en attente d’une analyse complète de la situation pour avoir un résultat optimal. Il prend souvent une décision avant que la nature du problème soit complètement définie et comprise. Ainsi, il a besoin d’une option raisonnable et réalisable à un moment t (Simpson, 2011). Cette simulation mentale a donc pour intérêt de vérifier si le modèle de situation de l’opérateur est cohérent (Klein, 1993).

Ainsi, la conscience de la situation joue un rôle important dans la prise de décision. Cependant, une bonne conscience de la situation n’assure pas de prendre la bonne décision. En revanche, une mauvaise conscience de la situation va engendrer de mauvaises décisions qui peuvent à leur tour générer des dégâts importants en environnement dynamique (Pastorelli, 2007 ; Wickens, 2002). En effet, d’une mauvaise décision découle la mise en place d’une ou plusieurs action(s) inappropriée(s) à la situation donnée.

2.3 Synthèse du modèle d’Endsley et adaptation à la