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Chapitre 2 : Conscience de la Situation

2.2 Processus cognitifs impliqués dans la conscience de la situation

2.2.1 L’attention sélective

L’attention sélective renvoie à la capacité de l’individu à se focaliser sur un stimulus (information sensorielle ou activité cognitive) en faisant abstraction du bruit environnant (e.g. des éléments perturbateurs) et des autres sources d’information présentes simultanément dans l’environnement (Debroise, 2010).

Un premier modèle a été proposé par Broadbent en 1958 afin d’expliquer le mécanisme de traitement de l’information qui nous permet d’économiser des ressources attentionnelles. Il s’agit du modèle de filtre attentionnel. Ce modèle part du principe que nous avons un canal unique de traitement de l’information. Ainsi, les informations passent par le registre sensoriel qui va encoder l’information telle quelle (sans la transformer que ce soit physiquement ou sémantiquement). C’est à ce moment-là que le filtre attentionnel va jouer un rôle. Il ne va laisser passer qu’un seul type d’informations à la fois en MCT pour qu’elle y soit traitée. Cette sélection ne se fonde pas sur des analyses sémantiques mais sur des aspects purement « physiques ». Ce filtre permettrait ainsi d’éviter la surcharge du système de traitement du fait des capacités limitées en ressources attentionnelles. Ce premier modèle a permis d’approfondir les étapes du traitement de l’information tout en proposant des explications concernant les ressources attentionnelles.

Ce modèle a été enrichi à la suite d’une étude de Moray en 1959. Ce chercheur a utilisé la technique de l’écoute dichotique où les participants entendent un message principal dans une oreille et un message secondaire dans l’autre. On leur demande de rappeler le message principal. Les résultats montrent qu’effectivement les participants se focalisant sur le message à rappeler sont en mesure de rappeler le message principal et ne peuvent rapporter que très peu

d’information concernant le message secondaire. Ce premier résultat plaide donc en faveur du modèle de filtre attentionnel. En revanche, ce modèle pointe le fait que les informations filtrées ne sont pas du tout traitées par les sujets. Or, dans l’étude de Moray, on peut voir que si, dans le message secondaire, lorsque le prénom du sujet est prononcé, il sera en mesure de le rappeler et donc d’y prêter attention. On peut donc conclure de cette expérience que les informations ne sont pas filtrées mais simplement atténuées (Treisman, 1960).

Orientation de l’attention

La sélection de l’information s’opère via deux types de processus : des processus automatiques ou des processus contrôlés.

On parle de processus automatiques (ou d’orientation de l’attention de type bottom-up) lorsque l’individu sélectionne l’information « sans y prêter attention », de manière involontaire. Ce type de sélection de l’information est très peu coûteux en terme de ressources attentionnelles. L’automatisation serait « un phénomène construit comme l’acquisition d’une base de connaissances spécifiques à un domaine, dans laquelle des représentations séparées se formeraient à chaque nouvelle exposition à une même tâche. Un traitement serait automatique s’il est reliée à la récupération des représentations stockées, n’apparaissant qu’après un certain niveau de pratique » (Logan, 1988, cité par Chanquoy et al., 2007, page 47). Ainsi, plus on pratique une activité, plus le développement de processus automatiques sera favorisé, permettant alors d’économiser des ressources attentionnelles (Chanquoy et al., 2007).

En revanche, on parle de processus contrôlés (ou d’orientation de l’attention de type top-down) lorsque l’individu met en œuvre des traitements volontaires (comme scanner de façon sérielle l’environnement afin de trouver l’information pertinente). Ce traitement contrôlé va être exigeant cognitivement et donc consommateur de ressources en MdT (Schneider & Shiffrin, 1977). En effet, plusieurs études (Lavie, Hisrt, Viding, & de Fockert, 2004 ; Burnham, Sabia, & Langan, 2014) montrent une forte relation entre la MdT et l’attention sélective. Autrement dit, selon la théorie de la charge de Lavie et al. (2004), la capacité à sélectionner une information pertinente pour une tâche donnée dépend de la charge en MdT. Une charge élevée en MdT affectera négativement la performance à la tâche de sélection, tandis qu’une faible charge (voire une charge nulle) n’affectera en rien cette tâche.

Wickens, Helleberg, Goh, Xu et Horrey (2001) proposent le modèle SEEV de l’allocation de l’attention. Ce modèle renvoie à la probabilité qu’il y a à prêter attention à une zone présente dans l’espace visuelle. SEEV renvoie ainsi à la Saillance, l’Effort, aux Attentes (Expectancy) et à la Valeur. Ainsi, « l’allocation de l’attention dans les environnements dynamiques est :

· inhibée par l’Effort requis pour déplacer l’attention,

· conduite par les Attentes des événements de Valeur vus à un certain endroit dans l’environnement » (Wickens, McCarley, Alexander, Thomas, Ambinder, & Zheng, 2005). Autrement dit, on prêtera attention à des éléments qui vont attirer notre attention (de par ses propriétés physiques, comme une alarme dans un cockpit). Mais cette réallocation de l’attention dépendra de l’effort à fournir (est-ce que cette réallocation de l’attention est coûteuse cognitivement du fait par exemple d’être dans une tâche manuelle qui est déjà coûteuse ?). Cette réallocation dépendra également des attentes que l’on peut avoir sur ce nouvel élément (si l’on s’attend à avoir un signal à tel moment à tel endroit dans le cockpit de par nos connaissances antérieures). Enfin, cette réallocation va dépendre de l’évaluation que l’on va faire quant à la valeur (au coût) du traitement à mettre en place.

Ces notions de saillance et d’effort de déplacement de l’attention sont importantes dans le domaine aéronautique (et plus généralement dans les environnements dynamiques) car elles renvoient à un effet souvent abordé dans ce domaine qui est l’effet tunnel. En effet, la saillance d’un élément présent dans l’environnement (le cockpit) va attirer l’attention même si cet élément n’est pas le plus pertinent au temps t. Le « tunnelage cognitif » est une résultante de cette allocation de l’attention. Autrement dit, « c’est une fixation involontaire (et généralement indésirable) des ressources mentales sur une source d’information, pour une certaine longueur de temps, au détriment d’autres éléments. Ce phénomène est caractérisé par l’incapacité à switcher efficacement ces capacités cognitives entre des sources d’informations » (Ververs & Wickens, 1998, p.6). La focalisation de l’attention entrainant un effet tunnel est à l’origine d’accident d’avion tel que celui, en 1989, du Boeing 777 lors du vol 92 British Midland. En phase d’atteinte de leur altitude de croisière (plus de 30.000 pieds, soit plus de 9000 mètres d’altitude), des ailettes du moteur gauche se brisèrent engendrant beaucoup de bruit dans l’avion ainsi que beaucoup de vibrations. Cette situation se détériora davantage avec l’apparition de fumée dans l’avion ainsi que de flamme sortant du moteur gauche. Le commandant de bord demanda alors au copilote quel moteur était touché et celui-ci, après une hésitation, finit par désigner le moteur droit (son expérience passée sur l’avion DC9 où l’air conditionné est relié seulement au moteur droit lui a fait déduire que l’odeur de brulé provenait de ce moteur). Les deux pilotes focalisèrent alors leur attention sur ce moteur. Ils le coupèrent ce qui, dans un premier temps, suite à une simple coïncidence, stoppa l’odeur de fumée et les vibrations. Ils pensaient ainsi avoir stoppé le problème alors que les instruments de bord signalaient des vibrations et qu’ils indiquaient également des données signalant clairement que c’était le moteur gauche qui était réellement touché. Leur attention sur le mauvais moteur resta ainsi focalisée jusqu’au moment de l’approche, lorsque l’avion ne réussit pas à prendre davantage de

puissance. Ainsi, nous pouvons voir comment la focalisation de l’attention amène à une évaluation de la situation et / ou la mise en place d’action(s) inappropriée(s) et persistante(s) et cela malgré les possibilités de révision (De Keyser & Woods, 1990).