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Du résident secondaire aux lobbys de protection d’acquis de classe Le cas du rôle des associations de résidents secondaires dans les communes

touristiques de Megève (France) et de Crans-Montana (Suisse)

Piquerey Lise, Doctorante en géographie

UMR 5204 EDYTEM Université de Savoie/CNRS

Résumé

Le résident secondaire représente, dans sa façon de pratiquer ponctuellement les stations touristiques, une hybridité dans le champ touristique. En effet, bien que le site de villégiature soit perçu comme un potentiel vecteur d’aménité, perception partagée avec les touristes ordinaires, les résidents secondaires, à travers la possession d’un bien immobilier, se placent à l’interface entre touristes et habitants, soulevant ainsi la délicate question de l’apparition d’un mode d’habiter hybride, à travers le prisme de la mobilité, au sein des stations touristiques. Or, si la seule capacité à pouvoir occuper de façon successive plusieurs résidences relève de la capacité de mobilité de chacun, ne peut-on pas supposer que la possession d’une résidence secondaire puisse également relever d’un souhait « d’ancrage » de la part de certains résidents secondaires ? Les résidents secondaires ne peuvent-ils pas devenir des acteurs décisionnels au sein des stations touristiques, marquant ainsi une volonté d’intégration dans la vie politique locale ? Cette hypothèse de recherche est appréhendée à partir d’étude de cas, analysées dans une recherche doctorale en cours qui porte sur le rôle des élites dans l’aménagement des stations de sports d’hiver haut de gamme en Autriche, en Suisse et en France. Au sein de l’échantillon des stations étudiées, deux sont marquées par une implication des résidents secondaires dans la vie politique locale à travers la création d’associations: Crans-Montana (Suisse) et Megève (France). Ces associations regroupent des individus aux capitaux élevés, pour qui la possession d’un bien immobilier relève, de façon conjointe ou non, d’un placement financier, d’un héritage social et d’une pratique de classe. Ces associations, sous couvert de préservation de l’environnement des stations ou de leur identité, apparaissent comme des lobbys de protection d’acquis privés vis-à-vis des instances politiques locales. La place et l’influence politiques ainsi obtenues par les résidents secondaires, tendent à les ériger au rang d’habitants à part entière des stations de sports d’hiver.

Mots-clés : résident secondaire, Megève, Crans Montana, politique locale, lobby.

Introduction

Les résidents secondaires au sein des stations de sports d’hiver sont une réalité, qui soulève fantasmes et oppositions de la part des habitants, comme l’a montré le référendum suisse sur la limitation des résidences secondaires de 2012 (Schuler et Dessemontet, 2013). Évoquer le résident secondaire, c’est avant tout parler d’un individu au statut flou, dont les motivations ne sont pas clairement définies. A la fois habitant de l’ailleurs et résident temporaire ici, le résident secondaire se place dans une position d’entre-deux, que lui- même n’arrive pas forcément à définir, apparaissant plus comme intégré dans une norme des pratiques touristiques (Jaakson, 1986). Comme le définit J.-D. Urbain, le résident secondaire est « fidèle à un territoire et à un domicile alternatif, homme d’un séjour répété, il n’est pas un « dépaysé » mais un habitué – un villégiateur récurrent » (2002, p. 515). Le caractère temporaire de sa présence sur le territoire peut-il toujours être un critère de définition lorsque ce dernier réalise des séjours répétés depuis plusieurs années dans un même lieu ? De plus, si le résident secondaire recherche un dépaysement lorsqu’il se rend dans des stations touristiques, ne tend-il pas à reproduire ses pratiques urbaines dans des lieux d’un ailleurs idéalisé ? Ces deux questions sont posées de façon spécifique

dans deux stations de sports d’hiver haut de gamme7, Megève (France) et Crans-Montana

(Suisse), où la présence des résidents secondaires et des villégiateurs a marqué à la fois les modalités de réalisation et de développement de leur mise en tourisme. Megève est un des symboles du rôle des élites dans le développement de la pratique des sports d’hiver : sa mise en tourisme a connu un réel développement à partir de 1919 avec la création de Société Française des Hôtels de Montagne par la famille de Rothschild qui souhaite y réaliser un hôtel digne des palaces des Grisons dans lesquels, suite à la première guerre mondiale, Noémie de Rothschild refuse de se rendre car trop fréquentés, selon elle, par les Allemands. Plus que de développer l’hôtellerie haut de gamme, la baronne deviendra une des premières résidentes secondaires, en commandant un chalet à l’architecte H.-J. Le Même au début des années 1920.

Au sein des stations de sports d’hiver haut de gamme, la présence des résidents secondaires n’est que peu visible. Ces derniers y reproduisent en effet des modes et des pratiques d’habiter qui sont identiques à celles des espaces urbains du quotidien. L’agencement et la délimitation des propriétés privées tendent à produire un paysage urbain de la fermeture semblable à celui des espaces urbains de leur quotidien (figure 1). En effet, la fermeture et la sécurisation de l’habitation, le bornage de la parcelle au moyen de grilles, de murs et murets constituent une stratégie de distinction et de mise à distance forte de ces espaces privés vis-à-vis des espaces publics. Cette mise à distance serait révélatrice du caractère

7 Ce texte fait suite à une communication lors du colloque et s’intègre dans une recherche doctorale en cours qui porte sur la ségrégation au sein des stations de sports d’hiver haut de gamme en Autriche, en France et en Suisse. Dans ce cadre, nous distinguons station touristique et station touristique haut de gamme, dont la caractéristique principale est d’être produite et développée à partir de la multiplication et de l’agré- gation dans un même lieu d’hébergements et d’infrastructures sélectifs et exclusifs, destinés aux catégories socio-économiques supérieures.

distancié des liens que les résidents secondaires entretiennent avec le territoire : « sa tactique d’installation, en pérennisant un état tiers situé entre celui de l’étranger (le touriste de passage) et celui de l’indigène (le résident permanent), vise à le maintenir suspendu en un statut flottant, sans gravité sociale, dehors et dedans à la fois, optimalement protégé dans le contexte local tout en s’y inscrivant » (Urbain, 2002, p. 517). M. de la Soudière (1998) suggère d’ailleurs que ce n’est pas tant les aménités de site que ce que le résident secondaire produit comme liens cognitifs et affectifs avec le territoire qui serait au fondement même de sa pratique.

Figure 1 : Visibilité des résidences secondaires dans les stations de sports d’hiver haut de gamme : vers la production d’un paysage urbain de la fermeture (vue de coupe et de

face). Conception et réalisation : Lise Piquerey, 2015

Or, au sein des deux stations touristiques étudiées, ce caractère distancié semble être mis à mal à travers le regroupement des résidents secondaires dans deux associations qui leurs sont dédiées :

« Les Amis de Megève et de Demi-Quartier » : créée en 1975 sous l’impulsion d’un

groupe de résidents secondaires, elle s’opposait à la validation d’un permis de construire sur la commune de Megève. En 2011, elle fusionne avec l’association des résidents secondaires de Demi-Quartier pour pouvoir former un ensemble associatif plus important. En effet, cette seconde association regroupait des résidents secondaires de Megève et de Demi-Quartier, commune limitrophe. Actuellement, l’association regroupe 400 membres sur les 6 903 propriétaires de résidences secondaires présents à Megève. L’objectif de l’association est de « fédérer des gens qui se connaissent déjà, avec pour objectif principal la qualité de vie » (entretien Mr. Werner, président de l’association, août 2013).

« L’Association des Propriétaires d’Appartements et de Chalets de Crans-Montana » (APACH) : créée dans les années 1980, cette association est remise en marche et redynamisée en 2012 lorsqu’une poignée de résidents secondaires entre au bureau. Elle est à destination des propriétaires n’ayant pas le droit de vote sur la commune (condition stipulée dans les statuts de l’association). Elle compte actuellement 250 membres sur les 10 000 propriétaires de résidents secondaires que compte la commune.

Ces deux associations assurent deux missions principales : une mission de sociabilité et une mission de protection et de préservation des intérêts de ses membres à travers de l’identité des stations. Ainsi, à travers ces deux associations, les résidents secondaires se regrouperaient pour obtenir une identité propre au sein des stations de sports d’hiver haut de gamme, qui viseraient d’une part à produire une sociabilité entre les membres et, d’autre part, la protection d’un intérêt commun : l’environnement urbain et touristique dans lequel se localise leur bien immobilier. Les associations de résidents secondaires offrent-elles des formes de sociabilité spécifique aux stations haut de gamme de l’arc alpin allant au-delà de leur fonction de lobby au sein des stations touristiques qui les érige en acteur à part entière de la vie sociale et politique locale

Pour répondre à cette question, nous proposons une étude des rôles portés des deux associations, à partir d’un travail méthodologique fondé d’une part sur les procès-verbaux des associations et des lettres d’informations disponibles sur leur site internet respectif8,

et d’autre part sur trois entretiens réalisés avec Mme Grosset-Janin (maire de Megève de 2008 à 2014, rencontrée en avril 2013), Mme Jullien-Brèches (maire de Megève depuis 2014, rencontrée en avril 2014) et M. Werner (président de l’association des Amis de Megève, entretien téléphonique août 2013)9.

8 Amis de Megève : http://www.amis-de-megeve.com/ . Association des propriétaires d’apparte- ments et de chalets de Crans-Montana : http://www.apach.ch/

9 Malgré deux demandes d’entretiens, nous n’avons pu obtenir de rendez-vous avec le président ou un membre du bureau de l’association des résidents secondaires de Crans-Montana.

Du titre de propriété à la création d’un entre-soi : la mission de sociabilité