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2.4 Les réseaux de jonction

2.4.1 Réseaux de jonctions et réseaux de SQUID identiques

Nous avons vu dans le chapitre précédent l’intérêt des jonctions Josephson dans le domaine de détection des signaux radio fréquence. Rappelons qu’une jonction Josephson polarisée en tension voit apparaitre un courant AC de fréquence 𝜙0𝑉.

En pratique il est difficile de mesurer une jonction seule, à cause des faibles signaux qu’elle produit. L’adaptation d’impédance est aussi un problème, la plupart des appareils de mesure ayant une impédance de 50 Ohm et les jonctions une très faible impédance. Les réseaux de jonctions permettent de résoudre ce problème. La première expérimentation d’un réseau de jonctions a été proposée par (De Waele, Kraan, & De Bruyn Ouboter, 1968) et (T. D. Clark, 1968). Le défi d’un tel circuit est la synchronisation des phases des jonctions, nécessaire pour le bon fonctionnement du réseau.

Une jonction de courant critique 𝐼𝑐 et de résistance 𝑅 polarisée à une tension 𝑉 telle que 𝑉 > 𝑅𝐼𝑐 est parcourue par un courant AC. Lorsque la jonction est adaptée à une charge 𝑅𝐿 = 𝑅 alors la puissance maximale émise est (Darula, Doderer, & Beuven, 1999) :

𝑃 =

𝐼𝑐2𝑅

8

( 97 )

Pour une série de N jonctions identiques synchronisées, la puissance maximale pouvant être émise dans une charge adaptée est (Benz & Burroughs, 1991)

𝑃

𝑁

= 𝑁. 𝑃 =

𝑁𝐼𝑐2𝑅

8 ( 98 )

Pour atteindre cette puissance maximale, il est nécessaire que les jonctions soient synchronisées. Pour donner des ordres de grandeur, une série de 40 jonctions (Wan et al., 1991) permit de mesurer une émission de 1µW à 350 GHz avec une charge de 60 Ohm. D’après (Benz & Burroughs, 1991) la puissance maximale attendue, selon la relation (98) était de 7µW. La raison de cette perte de puissance est attribuée à une mauvaise synchronisation des jonctions.

Il existe deux mécanismes de synchronisation des jonctions Josephson (Jain, Likharev, Lukens, & Sauvageau, 1984). Le verrouillage externe consiste à synchroniser les jonctions avec un signal RF, les jonctions ne sont plus synchronisées lorsque le signal n’est plus présent. Le verrouillage interne observé par (Jillie, Lukens, Kao, & Dolan, 1976) apparait lorsque deux jonctions sont assez proches.

Des caractéristiques de résistance dynamique en fonction du courant permettent d’observer le courant critique. A la valeur de courant critique une transition en résistance est observé comme le montre Figure 22. Cette figure est une observation expérimentale de la résistance dynamique de deux jonctions polarisées séparément puis en série. Lorsqu’elles sont individuellement polarisées les jonctions montrent des transitions à des

48 courants différents. Lorsque les jonctions sont en série une unique transition apparaît à courant plus faible que les transitions des jonctions individuellement polarisées. De plus la valeur de la résistance dynamique est beaucoup plus élevée lorsque les jonctions sont en série. Ces observations sont dues à un effet de synchronisation des jonctions lorsqu’elles sont proches (Palmer & Mercerau, 1975).

Une explication de ce phénomène (Jain et al., 1984) est que les oscillations de la phase d’une jonction produisent une injection de courant de quasiparticules dans les électrodes supraconductrices. Ce courant de quasiparticules oscille à la même fréquence que la phase de la jonction qui l’a produit. Si une deuxième jonction se trouve à proximité, elle sera affectée par ce courant de quasiparticules, et sa phase oscillera à la même fréquence. A son tour, un deuxième courant de quasiparticules sera produit. Ainsi, de proche en proche les jonctions d’un réseau peuvent se synchroniser sans l’influence d’un signal RF externe.

Figure 22 : Résistance dynamique de deux jonctions polarisées individuellement (bridge 1 et bridge 2) puis les deux jonctions polarisées en série (Jillie et al., 1976).

Les réseaux 2D permettent plus de flexibilité lorsqu’il s’agit d’adapter l’impédance à une charge. La Figure 23 montre des exemples de configurations de réseaux de jonctions. Dans ces schémas, N est le nombre de jonctions en série et M en parallèle, ainsi il est possible d’adapter l’impédance du réseau à une charge 𝑅𝐿 de la façon suivante :

𝑅

𝐿

=

𝑁𝑅

𝑀

( 99 )

La puissance maximale pouvant être émise est alors (Benz & Burroughs, 1991).

𝑃

𝑁𝑀

= N. M. P = 𝑀

2 𝐼𝑐2𝑅𝐿

49 Figure 23 : Différentes configurations de réseaux de jonctions (Benz & Burroughs, 1991).

Outre la possibilité de réaliser des émetteurs radio fréquence et micro-onde les réseaux de jonctions Josephson sont utilisés dans diverses applications. Par exemple pour définir le standard du Volt (Hamilton, Burroughs, & Benz, 1997). Plus récemment, la limitation de technologies à base de semi-conducteurs pour le calcul neuro-morphique a incité les spécialistes des réseaux de neurones à se tourner vers les Jonctions Josephson (Schneider, Donnelly, & Russek, 2018).

L’utilisation la plus récurrente des réseaux de jonctions est la détection de champ magnétique. Une étude, (Keiji Enpuku, Ohta, Nakahodo, & Minotani, 2000) propose un réseau série de 8 jonctions bi-cristal, en YBCO ayant une sensibilité de 63 V/T à 77 K. Des mesures de champs magnétiques à 130 MHz ont été réalisées. Dans une autre étude, (Du, Lazar, Lam, Mitchell, & Foley, 2014) il est proposé des réseaux série de 50 jonctions step-edge fonctionnant dans une bande de fréquence de 2 à 20 GHz.

Bien que l’utilisation d’une boucle à verrouillage de flux soit toujours nécessaire, si la tension en sortie du dispositif est suffisamment importante, il n’est plus nécessaire d’amplifier le signal pour le mesurer. De cette manière, la limite fréquentielle de fonctionnement peut être repoussée. (Welty & Martinis, 1991) proposent un amplificateur fait de 100 SQUID en série, dont l’amplitude de 25 mV est 100 fois celle d’un seul SQUID, avec une bande passante de 175 MHz pour une impédance de 50 Ohm. Bien que le signal soit amplifié par rapport au signal d’un seul SQUID, il est observé que la forme de la caractéristique en tension est légèrement déformée à cause du flux piégé dans la structure en réseau.

Le réseau de SQUID identiques présente un avantage vis-à-vis de la boucle à verrouillage de flux (ou Flux Locked Loop en anglais, FLL) nécessaire à la lecture des signaux périodiques. Il a été expérimentalement démontré (Foglietti, Stawiasz, Ketchen, & Koch, 1993) qu’il est possible d’utiliser une FLL avec une série de SQUIDs et que les performances se voient améliorées. Il est expliqué qu’avec un seul SQUID la phase est déverrouillée lorsque le flux dans la boucle excède la valeur 𝜙04. Dans un réseau de N SQUID, ce déverrouillage arrive pour un flux N fois plus important. Ainsi la dynamique s’en voit améliorée d’un facteur √𝑁.

Les réseaux de SQUIDs identiques ont un grand avantage par rapport aux SQUIDs individuels, en termes d’amplitude et de sensibilité, en termes de dynamique et aussi

50 quant à la diminution du bruit magnétique. Cependant le système nécessite toujours l’asservissement par une boucle à verrouillage de flux, et il n’est toujours pas possible de faire des mesures absolues de champ magnétique, étant donné que la caractéristique en tension est aussi sinusoïdale comme pour un SQUID unique.

2.4.2 SQIF : Superconducting Quantum Interference Filters