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6 ANALYSE

6.1 Le réseau en tant qu'organisation du travail : la division horizontale du travail

Première composante de l'organisation du travail, la division horizontale du travail permet de décomposer en sous-catégories des réalités complexes comme l'itinérance afin de faciliter l'intervention auprès des personnes qui y sont confrontées (Dupuis et Farinas, 2010). Cette division se traduit entre autres au travers d'une spécialisation des services, un organisme choisissant d'intervenir dans seulement une catégorie de ceux-ci (pensons à la clinique Droits Devant par exemple). Il peut arriver aussi que l'offre de service touche à plus d'une dimension comme c'est le cas des OBNL proposant des plateaux de travail qui sont également impliqués dans des initiatives portant sur la formation professionnelle et le développement de compétences de la vie sociale ou encore des maisons d'hébergement qui se concentrent sur le développement de compétences de la vie autonome.

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avons appris au travers du témoignage de l'organisation 6 que les positions quant au travail du sexe varient dans le réseau : certaines ressources le condamnent et visent son éradication alors que d'autres désirent sa décriminalisation.

Particulièrement importante pour ce mémoire, la spécialisation ayant trait à la population desservie a également été remarquée. Le fait qu'un OBNL ne s'adresse qu'aux femmes témoigne d'un souci de réduire son champ d'expertise à ce groupe précis. À ce sujet, il importe de mentionner que les groupes en itinérance sont nombreux : les jeunes de la rue, les personnes autochtones et les personnes âgées n'en sont que quelques exemples (GdQ, 2014a). Bien que plusieurs réalités se recoupent d'un groupe à l'autre, certaines leur sont propres ou les affectent davantage. Les personnes immigrantes ou nouvellement arrivées peuvent par exemple avoir pour caractéristiques de connaître peu la culture et la société québécoises et de parler une autre langue que le français et l'anglais. Les apprentissages requis pour s'intégrer sont donc non seulement socioprofessionnels, mais aussi linguistiques et culturels (Ibid.). Les personnes âgées 74 , pour leur part, ont une prévalence particulièrement forte de problèmes de santé physique, psychologique et cognitif et une plus grande chance d'avoir déjà vécu des situations d'itinérance par le passé (Ibid.). Les services qu'on leur propose – surtout dans un contexte de (ré)intégration socioprofessionnelle75 – risquent donc d'être assez différents de ceux destinés aux immigrants et aux nouveaux arrivants. Ainsi, pour répondre convenablement aux besoins de leurs usagers, les ressources qui sont destinées à des populations particulières vont moduler leur offre de service en fonction des besoins de celles-ci. Tel est le cas, dans le cadre de ce mémoire, des maisons d'hébergement pour femmes. On le remarque par

74 Le GdQ (2014a) considère une personne comme étant âgée lorsqu'elle a atteint ou qu'elle dépasse 50 ans. 75 Bien que l'on puisse penser que plusieurs personnes âgées n'auront pas pour objectif de retourner sur le

marché du travail, nous avons traité de ce sujet avec des entreprises privées qui embauchent des personnes en situation d'itinérance dans de précédents travaux (voir Hallée et al., 2016). Nous avons ainsi pu étudier la trajectoire de (ré)intégration socioprofessionnelle d'un homme de 57 ans qui avait réussi non seulement à se trouver un emploi stable en entreprise, mais qui était même devenu le bras droit d'un des directeurs de l'établissement. Une autre entreprise avait pour sa part mentionné préférer engager des personnes dans la quarantaine ou la cinquantaine, car elles étaient plus sérieuses et plus responsables que les jeunes de la rue. L'enjeu de la (ré)intégration socioprofessionnelle des personnes âgées est donc tout à fait pertinent dans la mesure où il existe chez elles un désir de travailler et une volonté des entreprises de les employer.

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exemple au travers du fait que les plateaux de travail qu'on y propose sont en lien avec le monde des arts afin de permettre l'exploration de l’inconscient et d'exprimer certaines blessures. Ces activités d'employabilité sont considérées par les maisons d'hébergement comme étant mieux adaptées aux besoins des femmes qui ne sont pas capables, d'après l'organisation 7, de suivre le rythme des plateaux de travail offerts par des OBNL comme l'organisation 8.

La diversité des approches est nécessaire pour assurer la prise en charge globale et individualisée des personnes en situation d'itinérance, tous groupes confondus. Dans les réseaux d'action collective, souvent mobilisés pour étudier l'accompagnement de trajectoires individualisées, le travail coordonné d'une multitude de professionnels possédant des expertises distinctes et étant affiliés à différentes organisations intervenant auprès de la même personne est d'ailleurs essentiel (Le Boterf, 2013). Le réseau d'action collective représente donc un modèle intéressant pour étudier les trajectoires de (ré)intégration socioprofessionnelle des femmes en situation d'itinérance puisqu'une panoplie d'intervenants possédant des expertises de toutes sortes – psychosociale, médicale, policière, juridique, en employabilité, etc. – et appartenant à diverses ressources issues du communautaire, du RSSS, du RESS ou autre, leur fournissent des services lorsque le besoin se présente.

Une autre dimension du réseau d'aide à l'itinérance ressort dès lors de ce constat : la division horizontale du travail est multisectorielle. En effet, certaines responsabilités incombent à des acteurs autres que communautaires tels que la grande majorité des services de santé physique et mentale, les stages de (ré)insertion et les services visant le maintien de l'ordre et la protection des individus. Rappelons d'ailleurs à cet effet que les services policiers n'avaient pas été originellement identifiés comme acteurs du réseau. Cependant, la prévalence des relations entre les organisations rencontrées et les représentants des agents de la paix nous ont convaincue de les ajouter dans notre recherche.

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conception réseau de Roy et Morin (2007) peut être enrichie par l'ajout de certains des acteurs identifiés dans ce mémoire qui ne sont pas mentionnés par les auteures. Cet ajout fait ressortir davantage la dimension multisectorielle de l'organisation du travail à l'étude et constitue, à notre avis, une caractéristique fondamentale du réseau dédié à l'itinérance.