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6 ANALYSE

6.5 L'employabilité et les trajectoires d'intégration socioprofessionnelle

Parmi l'ensemble des services proposés dans le réseau, ceux touchant l'intégration professionnelle sont d'un intérêt prépondérant pour nous. Les acteurs dont l'apport est le plus important en la matière sont les entreprises privées et les OBNL qui offrent des plateaux de travail (huit dans le cadre de cette recherche). À eux seuls, ils sont capables d'offrir les possibilités nécessaires à la femme en situation d'itinérance pour qu'elle travaille et fasse les apprentissages requis pour se maintenir sur le marché du travail. Toutefois, nous n'avons répertorié que très peu de relations directes entre ces deux catégories d'acteurs : la majorité d'entre elles ont lieu via la SDS, bien que certaines organisations finissent par établir des relations assez fortes avec les entreprises pourvoyeuses de stages pour ne plus avoir à passer par un intermédiaire.

Tout de même, en matière d’employabilité, le rôle de la SDS est considérable. Elle garantit le lien entre le milieu des affaires et les OBNL dans le but de sensibiliser le premier à la question de l'itinérance, mais aussi de l'encourager à offrir des occasions de travail à des personnes fortement désaffiliées qui évoluent dans des organismes communautaires. Bien que tous les OBNL ne fassent pas appel à ses services, il n'en demeure pas moins que la SDS est, à notre connaissance, la seule ressource communautaire dans le réseau d'aide à l'itinérance qui a pour rôle de faciliter l'accès des personnes au marché du travail.

Nous ne pouvons affirmer cependant que la participation à l’un de ses programmes est gage d'une stabilité en emploi. En effet, les contrats qu'elle offre en partenariat avec des entreprises privées sont généralement de courte durée – bien que la plupart du temps renouvelables – et saisonniers. Cette tangente peut s'expliquer par le fait que les objectifs de la SDS sont quantitatifs : elle doit participer à la création d'un certain nombre de contrats par année (Hallée et al., 2016) pour atteindre ses cibles. La question de la qualité des emplois n'est donc pas une variable prise en compte (pour l'instant) dans son rapport d'activité, ce qui fait en sorte qu'elle ne documente pas la durée moyenne des contrats, la

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protection des emplois, le taux de présence syndicale80 ou encore le salaire offert.

Pourtant, cette question de la qualité des emplois nous paraît particulièrement importante dans le cas des femmes en situation d’itinérance, et ce, d’autant plus qu’elles sont rares à prendre part aux contrats offerts par la SDS. Il nous semble en fait que la nature temporaire et saisonnière de ces contrats – davantage associée à une instabilité en emploi – s’oppose directement au besoin de sécurité recherché par plusieurs femmes, ce qui pourrait les décourager à y investir du temps et de l’énergie. L’organisation 11 a par ailleurs remarqué que certaines entreprises partenaires de la SDS se servent des stages pour faire effectuer des tâches peu estimées et demandant peu de compétences, et ce, pour un prix modique. Or, un tel environnement de travail est stressant et frustrant pour les participants en processus de (ré)intégration socioprofessionnelle, surtout lorsque les salariés réguliers de l'entreprise n'ont pas été préalablement sensibilisés aux réalités de l'itinérance et adoptent des comportements moqueurs. Confronter une personne marginalisée et socialement désaffiliée à un contexte de travail où elle est la cible de railleries peut lui rappeler son sentiment de non-conformité et de mal-être, la décourageant par le fait même dans ses initiatives de reprise en main. Il nous semble donc d'une suprême importance d'éviter ce genre de situation dans le cadre des stages en entreprise. Pour obtenir de l'aide dans le choix de « bons » partenaires, une connaissance adéquate de leurs activités est cruciale, d'où l’importance pour la SDS, en sa qualité d’intermédiaire, de s’intéresser à la dimension de qualité des emplois. Malgré cette importante limite, nous ne pouvons nier le fait que, ultimement, les opportunités proposées par la SDS permettent aux personnes en situation d’itinérance – parmi lesquelles on retrouve quelques femmes – d’avoir une expérience de travail récente qui sera valide aux yeux des employeurs. Le rôle que joue la SDS dans les processus de (ré)intégration socioprofessionnelle demeure donc important.

Pour leur part, les activités de suivi post-programme ou en emploi, bien que

80 Parlant de syndicalisation, l'organisation 3 a mentionné que certaines des personnes travaillant dans leurs programmes d'employabilité étaient syndiquées. Aucun autre OBNL n'a fait mention de cette dimension dans le cadre des entrevues, bien qu'il arrive que, lors de stages en entreprise, la personne soit syndiquée (Hallée et al., 2016).

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hautement estimées par la FEANTSA (2007), n'ont été que très peu observées dans le réseau. Deux organisations de notre échantillon se démarquent toutefois par leurs initiatives en la matière : dans leurs rapports d’activités annuels, elles tracent la proportion des personnes ayant participé à leurs programmes s’étant trouvé un emploi, étant retournée aux études, etc. Par contre, ce décompte se limite aux participants de l’année actuelle ou précédente, le suivi n'étant plus effectué après un certain temps.

Pourquoi ces services ne sont-ils pas davantage offerts ? Difficile à dire, mais nous soupçonnons que des motifs économiques justifient en partie ce constat, l'argent étant surtout alloué à la gestion des programmes et aux salaires des intervenants et des participants81. Ultimement, il nous semble que des travaux ultérieurs devraient s'intéresser aux impacts de l’accompagnement de suivi en emploi dans la stabilisation professionnelle des personnes en situation d’itinérance.

Dans le cas des trajectoires d'intégration socioprofessionnelle des femmes en situation d'itinérance plus précisément, la documentation des services leur étant proposés nous a permis de faire un constat important : la partie du réseau qui leur est destinée se concentre davantage sur leur insertion sociale que sur leur intégration professionnelle (voir Figure 5).

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Rappelons que seuls les participants à des plateaux de travail sont rémunérés par les OBNL. Les salaires sont fournis par les entreprises dans le cadre de stages d'insertion.

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Figure 6 Les trajectoires d'intégration socioprofessionnelle: la densité des services accessibles pour les femmes en situation d'itinérance en fonction de la catégorie de

services

Dans la dernière section de ce chapitre, nous tenterons de comprendre pourquoi il en est ainsi et comment cette réalité affecte les initiatives d'intégration des femmes.

6.6 Les trajectoires de (ré)intégration socioprofessionnelle des femmes en situation