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Cet héritage républicain dont bénéficie Pierre Baudin lui vient de sa famille et de son département de naissance : l’Ain.

A.- Le cadre d’origine : L’Ain et Nantua

Voyons rapidement le cadre géographique dans lequel est né et va vivre en alternance avec Paris1, le futur homme politique, né à Nantua, le 21 août 1863.

Le département doit son nom à une rivière qui le traverse du nord-nord-est au sud-sud-ouest pour aller se jeter dans le Rhône après avoir partagé le territoire en deux parties à peu près égales mais tout à fait différentes : le Jura à l’est avec ses montagnes et ses plateaux et à l’ouest, de vastes plaines plus ou moins parsemées de bois ou d’étangs.

Département frontière2, il a été formé en 1790 de tout ou partie de quatre pays qui dépendaient de la Bourgogne : la Bresse, le Bugey, la principauté de Dombes et le pays de Gex. Un seul département le sépare de l’Italie (Savoie ou Haute-Savoie). Son chef-lieu, Bourg-en-Bresse, se trouve à 480 kilomètres de Paris. Dans le massif du Jura, le Crêt de la Neige culmine à 1 723 mètres, dans le département de l’Ain, à une douzaine de kilomètres au sud-ouest de Gex.

En 1863, l’Ain compte cinq arrondissements : Bourg-en-Bresse, Belley, Gex, Nantua et Trévoux.

Située dans une cluse, à l’est du département, bordée par le lac, à 478-500 m d’altitude, Nantua3, est la capitale économique et administrative du Haut Bugey ou Bugey noir, la partie la plus montagneuse et la plus verte de l’Ain, en raison de ses vastes forêts de sapins. Son site est l’un des plus beaux du Jura. Elle est située au pied de la montagne appelée Le Mont (909

1 P. Baudin gardera un vif attachement à ses parents qui habiteront toujours à Nantua. (Sa mère mourra en 1914 et son père ne décèdera qu’en février 1917, la même année que son fils). Ses séjours fréquents dans l’Ain seront répartis entre Nantua (les parents), Belley (son siège de député), Virieu-le Grand (son siège de conseiller général) et Bourg-en-Bresse (le chef-lieu et aussi la ville de certains de ses amis comme Pierre Goujon).

2 Il est contigu aux cantons de Vaud et de Genève, en Suisse.

3 Nantua se trouve à 480 km de Paris, 92 de Lyon et 63 de Genève.

m), en face de l’escarpement des Monts d’Ain (1031 m), à l’embouchure de la Doye et du Merloz.

La ville abrite l’église Saint-Michel, dont la construction remonte au Xe siècle et est le plus important spécimen d’art roman de l’Ain1. Nantua, sous le Consulat, fait partie des premières sous-préfectures2 créées par Bonaparte. L’arrondissement comprend 6 cantons et 74 communes.

A l’époque de la naissance de Pierre Baudin, c’est une petite ville d’à peine 3 000 habitants. On y rencontre des scieries, des usines de moulinage de soie, des fabriques de toiles et de cotonnades, une taillerie de diamants.

Nantua fut une cité importante pour la presse régionale au 19e siècle. Auguste Arène (1814-1893), ouvrit sous la Monarchie de Juillet une imprimerie qui devint un véritable foyer de culture. Il fonda le Patriote de l’Ain, puis l’Écho de l’Ain et enfin, l’Abeille du Bugey en 1853. Son fils Julien poursuivit dans la voie tracée par son père et Delphine Arène, sa fille, se fit un nom en littérature tout en collaborant à l’entreprise familiale. D’autres journaux ou revues furent imprimés à Nantua chez les Arène : l’Écrevisse, de 1886 à 1940, le Haut-Bugey, de 1887 à 1909. Louis Cognat, ancien élève de l’École normale supérieure y publia les Annales nantuaniennes en 1902.

Sur la place d’Armes devant l’Église a été élevée une statue d’Alphonse Baudin, l’oncle de Pierre, tué sur les barricades à Paris, le 3 décembre 1851. Celui-ci a donné son nom à la petite rue en pente du quartier de la Pierre qui descend vers la place. Au numéro 13, une plaque a été apposée, marquant la maison natale d’Alphonse et de Pierre, 52 ans plus tard. A proximité immédiate se trouvent la sous-préfecture et le tribunal d’instance. Aujourd’hui, la cité semble endormie malgré l’aménagement des abords du plan d’eau et la présence d’un hôtel de bon confort fréquentés par des touristes. Depuis l’esplanade, on jouit d’une belle vue sur le lac d’une profondeur maximale de 45 m et dont la longueur atteint trois kilomètres et la largeur 600 m3.

Les Baudin n’apparaissent dans la cité qu’à l’extrême fin du 18e siècle ou au début du 19e.

B.- L’héritage familial

Selon l’Encyclopédie des noms de famille4, Baudin dérive du nom de baptême Baldo, construit à partir de la racine bald qui signifie audacieux. On l’aurait donné à des hommes de mer, de guerre ou d’aventure… Il est relativement répandu, aujourd’hui, dans toute la France, avec une dominante dans l’est du pays et notamment en Saône-et-Loire. Dans l’Ain, les Baudin sont assez nombreux. On en compte aujourd’hui 48 sur la liste des abonnés au téléphone5.

1 Un martyr de Saint-Sébastien de Delacroix y est conservé.

2 La petite ville sera même en 1848 le siège de la préfecture de l’Ain.

3 Informations émanant de la Grande Encyclopédie, du Larousse du XIXe siècle et de nos visites sur place.

4 Archives et Culture. 2002. p. 51.

5 Auxquels il faut ajouter ceux qui sont sur la liste rouge. Dans les départements voisins, ils sont plus nombreux dans le Rhône (63), en Savoie (85) et surtout en Saône-et-Loire (164), mais seulement 49 dans l’Isère, 39 en Haute-Savoie, 12 dans le Jura.

Pierre Baudin descendrait d’une lignée d’Italiens, les Baldini, originaires de Florence et qui auraient rejoint la région de Lyon avec les armées de François 1er, de retour des guerres d’Italie1. Le nom aurait été francisé en Baudin. Selon une autre source, un nommé Félix Baudin (ou Baldini) serait parti de Milan à la suite d’un duel pour s’établir à Vienne dans le Dauphiné, à une date non précisée2.

Le nom Baudin apparaît dans l’Ain à plusieurs reprises, à partir du 16e siècle, sans que l’on puisse attester s’il s’agit de la même famille. On le rencontre en 1529 à Saint-André d’Huiriat dans le canton de Pont-de-Veyle3 ; à Saint-Jean le Vieux4 en 1540 ; à Nantua en 1616, à Montluel5 en 16476.

Le premier de la lignée dont on peut certifier la parenté avec notre Pierre Baudin est Georges-René né à Lyon le 22 janvier 17437, mais décédé à Nantua le 2 janvier 1818 où il était receveur de l’octroi. Il épouse Ursule-Victoire Tournier. Ils ont plusieurs enfants dont Pierre-Camille né en 1779, à Pont-de-Vaux. Celui-ci a eu une vie peu ordinaire. Il est le grand-père paternel de notre héros.

1.- La vie romanesque du grand-père Pierre Camille.

Celui que nous appellerons Pierre-Camille s’engage, adolescent, dans la marine militaire8. Nous sommes en 1793 : il a 14 ans. Deux ans plus tard, il fait l’objet d’une lettre en en date du 8 ventôse an III (26 février 1795) retrouvée au château de Sassenage9 dont nous extrayons l’essentiel car elle éclaire ce personnage hors du commun. Elle émane de Pont-de-Vaux et est adressée aux « citoyens composant la commission de santé à Paris » Il s’agit d’une attestation précisant que « le citoyen Pierre Baudin, natif de Pont de Vaux, département de l’Ain, âgé de 16 ans, depuis trois années consécutives, travaille à acquérir les connaissances relatives à la chirurgie (sic). Les certificats des citoyens Groguet, officier de santé à Pont-de-Vaux et Pacotte, chirurgien en chef de l’hôpital civil et militaire de Tournus, témoignent de l’exactitude et de l’activité qu’il a mis en usage, soit pour son instruction, soit pour le service des malades. Déjà, il fut employé à la satisfaction des officiers de santé en chef Dunaud et Gantet, à l’ambulance de Villefranche lors du siège de Lyon. Désirant se perfectionner dans son art et saisissant tous les moyens par lesquels il peut se rendre utile à la République, il voudrait employer ses faibles talents à essuyer les blessures de nos généreux frères d’armes. Il vous demande, citoyens, à ce qu’il vous plaise vouloir bien accorder et désigner un emploi dans les armées ou dans une ambulance, où il puisse remplir l’objet de ses

1 Entretien avec M. l’abbé Marion, descendant de Georges Baudin, frère d’Alphonse Baudin. (été 2007).

2 Arbre généalogique sommaire retrouvé à Sassenage.

3 Arrondissement de Bourg.

4 Canton de Poncin (arrondissement de Nantua).

5 Chef-lieu de canton de l’arrondissement de Trévoux (à l’époque de Baudin), aujourd’hui de Belley.

6 Note sur l’ancienneté des familles du département de l’Ain par un dombiste. Bourg. 1878.

7 Nous possédons son certificat de baptême (paroisse Sainte-Croix de Lyon).

8 Les exemples de deux fils de Pont-de-Vaux, engagés volontaire de l’Ain pendant la Révolution, en 1791, ont peut-être donné envie à Pierre Camille de les imiter : il s’agit de Barthélémy Joubert, né en 1769 comme Bonaparte et de Claude Marie Joseph Pannetier. Le second sera d’ailleurs l’aide de camp du premier qui sera tué, brillant général à Novi en 1799. Pannetier deviendra général lui aussi, et ayant eu la chance de vivre, sera même comte d’empire et, sous la Monarchie de Juillet, comte de Valedotte. Il mourra à Pont-de-Vaux en 1843.

9 Carton en cours de classement (papiers P. B-S)

vœux. Il ne cessera de renouveler tous ses efforts pour bien mériter de sa patrie et obtenir la bienveillance de ses supérieurs. »

Cette demande ne reste pas sans réponse puisque l’année suivante, Pierre Camille participe à l’expédition d’Irlande en 1796, sous les ordres de Hoche. On le retrouve ensuite à Brest, officier de santé à l’hôpital principal de la Marine où lui arrive une lettre de son père en date du 22 vendémiaire an VI (13 octobre 1797) :

« Mon cher fils,

(…) ton cousin Georges, de Nantua, vient de nous venir voir pour nous faire ses adieux, il part pour l’armée d’Italie. Il m’a chargé de te dire bien des choses de sa part. Adieu, mon cher fils, je t’attends avec impatience et suis pour la vie le meilleur de tes amis1. »

Puis Pierre Camille est désigné comme aide-chirurgien militaire à bord d’une frégate et accompagne Bonaparte en Égypte. Sa vie ressemble alors à un roman. Lors de son retour d’Égypte, après la bataille d’Aboukir, il est capturé par les Turcs. Emmené à Constantinople, il met à profit ses études de chirurgie en s’occupant des Français qu’il retrouve en grand nombre, malades ou blessés dans les bagnes. Il se dévoue pour ses compatriotes en créant, grâce à l’appui du consul de Hollande, un petit hôpital d’une vingtaine de lits. Le pacha de Constantinople l’invite alors à prendre la direction des hôpitaux de la ville. Il se consacre à cette tâche pendant quatre ans. Libéré en 1801, il rejoint la France et est nommé chirurgien-major dans un hôpital à Paris. Il y reste le temps d’y être reçu médecin puis se dirige vers son département d’origine. En 1802, il dirige l’hôpital de Nantua. La même année, il se marie le 28 avril avec Marie Marthe Martine Barbe originaire également de Nantua. En 1814, il est chargé des fonctions de maire de sa ville. Très patriote – ce sera une constante de la famille – il se fait remarquer par sa fermeté face à l’ennemi autrichien qui occupe Nantua. D. Saint-Pierre2 rapporte qu’en mars 1815, il fait partie avec son collègue J. F. Béatrix et l’avocat César Bonnet de la délégation envoyée à Paris pour saluer le retour de l’empereur. Durant les Cent-Jours, Pierre Camille devient administrateur de l’arrondissement de Nantua et remplace le baron de Chaponay3 à la mairie jusqu’au 15 juillet. Il meurt le 5 avril 1853 après avoir eu trois épouses et six enfants.

La première, Marie Barbe, née à Nantua en 1785, lui donne trois enfants : Georgette née en 1807, qui meurt la même année, Georges, né en 1808, qui sera docteur en droit et avoué à Nantua et vivra jusqu’en 18804, et Jean-Baptiste-Alphonse-Victor, né le 23 octobre 1811, le futur héros des barricades (voir plus loin) qui meurt, comme on sait, le 3 décembre 1851.

La deuxième épouse, Agathe Baron, née à Meximieu, en 1800, lui donne également trois enfants. Ce sont Camille, un garçon, le père de notre héros. Né en 1827, il mourra la même année que son fils Pierre, le 1er février 1917, à 89 ans. Puis viennent Paul (1828-1854), célibataire, notaire et avoué comme son demi-frère Georges et Adèle (1830-1865) qui sera religieuse de la Visitation à Gex.

1 Papiers P. B-S.

2 Dictionnaire des hommes et des femmes politiques de l’Ain.

3 Nommé maire de Nantua lors de l’arrivée des Autrichiens, le 3 mai 1814.

4 Il sera candidat aux élections législatives à Paris en 1869, dans la 5e circonscription et sera largement battu.

(voir plus loin).

Enfin, la troisième épouse Marie Alleyre, née en 1794, veuve de Philibert Auger, de Lagnieu, ne lui donne pas d’héritier. Elle meurt en 18561.

Revenons sur les trois membres de la famille qui auront le plus d’influence sur Pierre Baudin par leur héritage politique : son père Camille et ses oncles : Jean-Baptiste-Alphonse qu’il n’a pas connu mais qui va rendre célèbre le nom de Baudin dans la France entière et le frère de celui-ci, Georges qui sera candidat au Corps législatif, à Paris, en 1869. Il est d’ailleurs hors de doute que dans une certaine mesure – ses ennemis politiques l’ont souligné à plaisir – Pierre Baudin bénéficiera à ses débuts électoraux de la notoriété de son oncle martyr républicain dans les milieux populaires de sa circonscription parisienne et plus tard quand il sera candidat dans son département d’origine.

2.- L’oncle Alphonse, héros des barricades de décembre 1851

Commençons donc chronologiquement par l’oncle Jean-Baptiste-Alphonse-Victor, l’aîné puisque né le 23 octobre 18112. On l’appelle le plus souvent Alphonse. Il fait ses études d’abord au collège de Nantua de 1821 à 1827. Mais c’est à Lyon, au collège royal (l’actuel lycée Ampère) qu’il obtient son diplôme de bachelier ès-lettres en juillet 1828. La même année, il devient bachelier ès-sciences, en novembre, à Grenoble, pour faire ensuite médecine.

Il est à Lyon quand éclate la révolution de 1830. Il n’a pas 19 ans et s’enthousiasme lors des Trois glorieuses. Le 19 septembre 1830, à Nantua, lors d’un banquet, on chante une chanson patriotique de sa composition qui commence ainsi : « Un nouvel astre a brillé dans les cieux… »

Comme son père, il a le goût de la médecine. Pour l’aider, il postule la place de chirurgien-élève à l’hôpital militaire d’instruction du Val de Grâce dès 1831. Il est ensuite promu à Toulon et enfin à Strasbourg jusqu’en janvier 1835. Le 26 juin 1837, il obtient son diplôme de médecine et il est affecté au 3e bataillon de zouaves en Algérie où il reste un an et où il rencontre Cavaignac alors chef de bataillon.

Il démissionne le 2 avril 1838, fait un court séjour dans l’Ain et s’installe à Paris, médecin à Montmartre comme le fera plus tard Clemenceau. En contact quotidien avec le monde ouvrier, il peut apprécier à sa juste valeur la vie des humbles. Ses idées généreuses en sortent raffermies. En juin 1842, il adhère à la loge maçonnique Le Temple des Amis de l’Honneur français. Il lui arrive de fréquenter Michelet, Quinet, originaire de l’Ain lui aussi, et même Lamennais.

Le 23 avril 1848, il est candidat à la Constituante dans l’Ain. Son programme est clair:

« Républicain dès mon enfance, je demande l’éducation nationale gratuite et obligatoire (…), l’organisation progressive du travail industriel et agricole …, l’abolition de l’esclavage, la liberté absolue des associations et de la presse. » Il échoue, n’étant que 14e sur 9 élus. Son homonymie avec le monarchiste Bodin de Montribloud, qui a été élu (8e sur 9), lui a sans doute coûté de nombreuses voix. Cavaignac lui propose le ministère de l’Instruction publique qu’il refuse.

1 En plus de nos recherches personnelles aux archives de Lyon et dans l’Ain, nous devons des renseignements précieux sur cette généalogie aux dossiers de la famille Arène obligeamment prêtés par Mme Arène de Nantua et à l’ouvrage de M. Pierre Foras sur Alphonse Baudin (voir bibliographie).

2 Pour les années de jeunesse d’Alphonse, nous renvoyons à la thèse (de médecine !) de Pierre Foras.

Les battus d’avril organisent le 5 juin une manifestation dont l’échec va entraîner l’arrestation et l’exil des meneurs dont Blanqui. Mais Baudin se présente aux élections du 13 mai 1849 et cette fois, est élu (5e sur 8) avec 46 739 voix, entrant à la Législative1 où il rejoint son compatriote Edgar Quinet, déjà élu l’an dernier à la Constituante, et siège avec les Montagnards. En 1850, il s’élève contre les pouvoirs des préfets qui peuvent révoquer les instituteurs.

Après le coup d’État du 2 décembre 1851, il se retrouve avec une soixantaine de Montagnards et Victor Hugo, rue Blanche. Avec le célèbre poète, Baudin rédige le manifeste mettant hors la loi Louis-Napoléon Bonaparte. Des barricades s’élèvent faubourg Saint-Antoine malgré la lassitude des Parisiens.

La troupe survient. Quelques députés dont Victor Schoelcher et Baudin essaient de parlementer mais l’armée tire et tue Baudin et un ouvrier qui se trouvaient sur les barricades, le 3 décembre. L’annonce de ces deux morts provoque la levée d’autres barrières avant que l’insurrection ne soit écrasée le lendemain.

A une femme qui se posait la question devant Baudin de savoir si les ouvriers devaient se faire tuer pour que les députés conservent leurs 25 francs par jour d’indemnités, il aurait répondu : « Restez et vous verrez comment on meurt pour 25 francs ». Son corps est transporté à l’hôpital Sainte-Marguerite où son frère Camille vient le reconnaître avant de le faire inhumer au cimetière Montparnasse.

Bien que l’Histoire d’un crime ne soit pas un modèle de rigueur historique, on peut relire la deuxième partie – La lutte – et le chapitre intitulé : Le cadavre de Baudin. La prose de V. Hugo est toujours très suggestive, comme par exemple ce portrait du représentant de l’Ain quand il était à la tribune : « Sa parole, hésitante dans la forme, était énergique dans le fond. Il siégeait à la crête de la montagne. Il avait l’esprit ferme et les manières timides. De là dans toute sa personne, je ne sais quel embarras mêlé à la décision. (…) Baudin penchait la tête sur son épaule, écoutait avec intelligence et parlait avec une voix douce et grave. Il avait le regard triste et le sourire amer d’un prédestiné2. »

Pour entrer un peu plus avant dans la psychologie du personnage, il suffit de citer quelques extraits de lettres à son père ou à son frère Georges, son aîné de trois ans.

« Ma piété filiale, mon dévouement sans borne ou plutôt mon idolâtrie pour mon père…

Je te supplie de croire que ma vie à donner pour toi ne me paraîtrait même pas un sacrifice3. Après le décès de la deuxième épouse de son père, le 15 janvier 1836, il écrit à Georges le 20 janvier : « Faisons de toutes les bribes de notre avoir une masse commune et que là, les trois petits enfants4 puisent éducation et bien-être. Qu’ils deviennent presque nos propres enfants et que leur avenir nous soit plus cher que le nôtre… Je fais d’avance tous les sacrifices. »

Quand son père se marie avec sa troisième épouse, en 1840, il lui écrit, le 20 octobre :

« Il m’est bien doux de posséder la certitude qu’une protection est désormais acquise à l’enfance et à la jeunesse de mes frères et de ma sœur. Dans le triste présent qui m’étreint,

1 Situation inverse de l’an dernier : son homonyme Bodin est cette fois battu (11e pour 8 places).

2 V. Hugo, Histoire d’un crime, p. 117

3 Lettre du 12 mars 1836.

4 Il s’agit de Camille, né en 1827, Paul, né en 1828 et Adèle, née en 1830. Ils ont respectivement 9, 8 et 6 ans.

Alphonse se souvient qu’il a perdu lui aussi sa mère très jeune : il avait 9 ans.

dans le sombre avenir qui doit m’épouvanter à si juste titre, je souffrais pour eux encore plus que pour moi, car j’avais l’affreuse conviction que dans l’impossibilité de pourvoir à mes

dans le sombre avenir qui doit m’épouvanter à si juste titre, je souffrais pour eux encore plus que pour moi, car j’avais l’affreuse conviction que dans l’impossibilité de pourvoir à mes