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Le député du XII e arrondissement de Paris et son retour dans l’Ain (1898-1900)

C’est seulement à sa seconde tentative que Pierre Baudin va entrer à la Chambre des députés. Un premier essai infructueux en 1893 ne l’a pas découragé. Il faut y revenir rapidement avant de décrire ce qu’a été sa première victoire aux législatives en 1898 et son activité au Palais-Bourbon. Une fois élu, P. Baudin va essayer – sans réussir - de se donner un instrument supplémentaire pour diffuser ses idées radicales-socialistes : la direction politique d’un journal dont le tirage restera malheureusement confidentiel : la Volonté et qui ne tardera pas à péricliter en quelques mois. Une autre déception atteindra notre héros dans ses fonctions de député : celle de rapporteur d’un projet de loi qui sera transformé en… décret. Mais auparavant, pendant la procédure engagée sur le texte, il aura eu le bonheur d’être nommé ministre. Ceci compensera cela. C’est le début d’une vie trépidante d’autant plus que le jeune parlementaire a une vie familiale peu harmonieuse1. Il va d’ailleurs quitter la capitale en juillet 1900 pour Belley où il est élu lors d’une élection législative partielle dans son département d’origine.

A.- Rappel : L’échec aux élections législatives des 20 août et 3 septembre 1893 dans le 12e arrondissement

On a cru d’abord (en particulier la police) que Pierre Baudin se présenterait dans la première circonscription du 12e arrondissement qui comprend les quartiers de Bercy et des Quinze-Vingts2. Il serait « chez lui ». Cela paraît à première vue naturel, mais à première vue seulement, car le sortant se représentait. Or, il avait été élu confortablement lors des élections de 1889. Ce député sortant n’était autre qu’Alexandre Millerand. Présenté comme radical

1 Il va divorcer en 1902.

2 L’arrondissement en comporte deux. La seconde circonscription comprend les quartiers de Picpus et Bel-Air.

socialiste1, il avait obtenu, 5 358 voix, au 2e tour, contre 4 277 à Élie May, le boulangiste, une vieille connaissance de Pierre Baudin.

D’après la police, en 1893, Millerand doit être élu à une forte majorité2. P. Baudin considère à juste titre que se présenter contre Millerand, c’est aller vers la défaite. Il lui faut donc changer de circonscription. Grave handicap. Il ne peut se présenter que chez ses voisins de Picpus et de Bel-Air, dans la deuxième circonscription.

La lutte électorale y promet d’être très vive, selon les renseignements généraux, entre P.

Baudin, John Labusquière3, socialiste broussiste, et Paschal Grousset4, radical-socialiste.

Labusquière et Caumeau (possibiliste ou broussiste) se promettent d’attaquer Grousset (rédacteur en chef de Germinal) avec « une violence inouïe », et M. Baudin « aurait déclaré que quels que fussent les résultats au premier tour, il ne se désisterait pas en faveur de M.

Grousset, même si celui-ci arrivait en tête de la liste5 ».

A l’occasion de ces élections, P. Baudin va bénéficier de l’aide de la Petite République.

Il y a en effet, un projet d’alliance entre les radicaux et les socialistes. Le journal va faire le portrait durant le mois d’août de dix-huit candidats qui ne sont pas tous socialistes. On compte onze indépendants, deux radicaux (Goblet et Pierre Baudin6), deux CRC7 (Eugène Baudin et Vaillant), deux POF8 (Guesde et Lafargue), un POSR9 (Dumay). Seuls, les broussistes ne sont sont pas représentés10.

Une note de la police du 1er août11, précise que « Baudin s’intitule républicain socialiste sur ses affiches, ajoutant que tous les autres candidats se présentent sous l’étiquette socialiste avec certaines variations de nuances. C’est ainsi que M. Jules Thiessé, ancien député républicain, est patronné par l’Union socialiste de Picpus et Bel-Air. M. Élie May est également patronné par un comité socialiste. M. Paschal Grousset est soutenu par l’Union des Comités radicaux républicains socialistes. John Labusquière est le candidat du parti ouvrier socialiste révolutionnaire et de la Fédération des Travailleurs socialistes de France. Autrement dit, dans cette circonscription, tout le monde se réclame plus ou moins du socialisme !

Il y a donc une réunion le 10 août, au préau des écoles de la rue Bignon, pour départager Élie May, Baudin et Labusquière qui sont présents. Il y a 600 personnes. On met aux voix et c’est la candidature Labusquière qui est adoptée12… Mais cela ne porte guère à conséquences pour les intéressés. Il s’agit d’un rite et tout peut être remis en question à une époque où les partis ne sont pas structurés.

1 On voit combien l’étiquette des hommes politiques est fluctuante à l’époque où les partis n’existent pas officiellement.

2 APP. Ba 646, f° 2486.

3 John Labusquière est l’auteur d’une Histoire socialiste de la Troisième République, 1871-1900.

4 Né en Corse, à Corte, en 1844, il est l’un des fondateurs de la Marseillaise (1869) et de la Revanche de Bastia.

Membre de la Commune, délégué aux Affaires étrangères, il a été déporté en Nouvelle-Calédonie mais s’est évadé en 1874. Il a été amnistié.

5 APP. Ba 646, f° 2507. Note de la police du 28 juillet 1893.

6 Le portrait de Pierre figure dans le numéro du 13 août et celui de son homonyme, Eugène, dans le numéro du 3 août 1893.

7 Comité révolutionnaire central.

8 Parti ouvrier français.

9 Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.

10 Voir Sylvie Rémy, Les socialistes indépendants de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, p. 270.

11 APP. Ba 646, f° 2509.

12 APP. BA 102, f° 41.

Très optimiste au début sur les chances de P. Baudin, la police le place en tête au premier tour. Son véritable concurrent serait M. Paschal Grousset, ex-ministre de la Commune, aujourd’hui rédacteur en chef de Germinal. M. Thiessé est un ancien député de la Seine-Inférieure où il fut élu en 1885. En 1889, il était le candidat « estampillé » du général Boulanger dans la 2e circonscription du 4e arrondissement. Il fut battu. Élie May a échoué sous l’étiquette boulangiste en 1889. La police rappelle son appartenance à la communauté juive et à la Commune où sa gestion a fait l’objet de critiques1.

En définitive, il n’y a pas moins de neuf candidats dans cette seconde circonscription, où Baudin, rappelons-le, fait figure de demi-parachuté.

Dans la première, Millerand a quatre candidats contre lui, dont deux ne comptent pas.

Baudin2, en a huit dans la seconde. Ce sont : Élie May, négociant, républicain révisionniste ; John Labusquière, publiciste, possibiliste (broussiste), Paschal Grousset, publiciste, républicain socialiste3 ; Jules Thiessé, ancien député de province, révisionniste, Louis Valette, Valette, ouvrier mécanicien, présenté par la Fédération des peuples (sic) ; Amédée Denéchère, anarchiste, abstentionniste ; Daniel Coutures, employé, républicain socialiste et Louis Chalain, publiciste, révolutionnaire indépendant.

Devant le nombre de candidats, la police se fait beaucoup plus prudente. Une note datée d’août (le jour est ignoré, ici aussi par prudence), indique que « les plus favorisés au premier tour, seront, croit-on (sic), MM. Baudin, Grousset, May et Labusquière4. »

Il y a 8 884 votants et 445 nuls, donc les suffrages exprimés sont 8 439. Ont obtenu : Paschal Grousset, radical socialiste : 2 508 ; John Labusquière, socialiste (broussiste) : 2 339 ; Pierre Baudin, radical socialiste : 1 747 (c’est-à-dire 20,7 % des voix) ; Élie May, socialiste révolutionnaire : 1 247 ; Thiessé : 418 et Marlot, socialiste : 220.

Pierre Baudin n’est que troisième. Il ne voudrait pas se retirer. Mais la majorité de son comité le contraint à se désister5. Il n’a que 30 ans et tout l’avenir devant lui.

Pour le second tour du 3 septembre, Pierre Baudin se désiste en faveur de John Labusquière6, Élie May en faveur de Paschal Grousset.

D’après la police, « malgré la propagande que fait le comité Labusquière, ce dernier ne passera pas. C’est Paschal Grousset qui sera élu à une faible, très faible majorité7. »

Les résultats sont les suivants : Paschal Grousset est élu avec 4 001 voix, contre Labusquière : 3 578 ; Valette, 216. Bien que non présenté, Pierre Baudin recueille 10 voix de consolation… et May 3 voix comme Thiessé. La police avait vu assez juste.

Notons au passage que dans la circonscription voisine, Millerand a été élu au premier tour par 6 448 voix contre 1 195 à Ribanier (socialiste broussiste), sur 8 860 votants et que dans la 1ère circonscription du 11e, M. Faberot (socialiste allemaniste) a battu au 2e tour l’ancien ministre et député sortant Charles Floquet par 4 379 voix contre 3 229. On reparlera bientôt de cette circonscription…

Après sa déception des législatives, Pierre Baudin va se marier un mois après1.

1 APP. BA 646, f° 2513.

2 Son domicile est annoncé 54, avenue Daumesnil.

3 Et parfois, radical-socialiste.

4 APP. Ba 644, f° 1752.

5 APP. Ba 643, f° 303.

6 APP. BA 102, f° 57.

7 APP, Ba 644. f° 1782.

B.- L’élection à la Chambre des députés (22 mai 1898)

1.- Pierre Baudin, candidat dans le 11e arrondissement de Paris

Les élections législatives ont lieu les 8 et 22 mai 1898. Après son échec de 1893 dans le 12e arrondissement, Pierre Baudin se présente cette fois dans le 11e 2 . Il y trois circonscriptions. Il choisit la première qui correspond au nord de l’arrondissement et au quartier de la Folie-Méricourt. Il est patronné par le comité républicain démocratique socialiste de ce quartier, mais il n’est plus soutenu par la Petite République.

Le 11e arrondissement (361 hectares) est situé entièrement dans le Paris de Louis XVI, alors que le 12e chevauche l’ancien Paris et le territoire annexé en 1860. Les quatre quartiers sont : La Folie-Méricourt (41e), Saint-Ambroise (42e), La Roquette (43e), et Sainte-Marguerite (44e). La population totale est importante : 225 325 habitants3.

Le quartier de La Folie-Méricourt doit son nom à un ancien chemin qui conduisait à une folie, c’est-à-dire à la maison de campagne d’un personnage se nommant Moricourt, déformé en Méricourt. Le quartier est compris entre le boulevard de Belleville, la rue Oberkampf qui le sépare de la Roquette, le boulevard du Temple et le faubourg du même nom.

Autour de ce faubourg, il y avait des jardins où les Parisiens avaient bâti des maisonnettes appelées courtilles. On y buvait beaucoup. Tout cela a presque disparu quand Pierre Baudin se présente aux suffrages des électeurs. Depuis, le 27 mai 1891, au même endroit, circule le funiculaire de Belleville. Dans ce quartier populeux, on a construit dans les années 1860 une église dédiée à Saint-Joseph sur l’emplacement d’une caserne située entre les rues Parmentier et Saint-Maur. L’avenue Parmentier est « le boulevard des Italiens » du quartier.

Le député sortant est Fabérot, chapelier, (allemaniste) qui l’a emporté en 1893 au second tour avec 4 380 voix sur Charles Floquet (radical) qui avait obtenu 3 231 suffrages, lui-même sortant à l’époque. Floquet avait d’ailleurs été en tête au premier tour avec 2 913 voix contre 2 078 à Fabérot. Celui-ci se représente. Il a trente ans de plus que P. Baudin4. Le Matin en fait un portrait sympathique. Gaston Leroux écrit : « Le jeune vieillard de 65 ans à la bonne face encadrée de barbe grise, aux yeux doux, ne me reçut point parmi les accessoires de chapellerie, mais à côté d’un petit dictionnaire Larousse et d’une feuille de papier blanc où il s’apprêtait à inscrire le résultat de ses pensers révolutionnaires. Il abandonnait la moitié de ses émoluments au parti5. »

1 Il épouse Alice Lafargue, à la mairie du 12e arrondissement, le 9 octobre 1893. Elle est née à Fontenay-aux-Roses, le 26 juin 1869. Elle a donc six ans de moins que lui. L’ancien communard Alphonse Humbert est l’un des témoins du marié. Il vient d’être élu député radical-socialiste du 15e arrondissement et préside, en cette année 1893, le Conseil municipal. Le cousin de Pierre, Émile Baudin, docteur en médecine, est l’autre témoin. Une petite fille, Pierrette, naîtra l’année suivante, le 9 août 1894. P. Baudin divorcera en 1902 et se remariera en 1907. (Papiers P. B-S.)

2 Appelé aussi Popincourt.

3 Recensement de 1896.

4 Il est né en 1834, en Espagne.

5 27 juin 1898. Signalons qu’un monument sera élevé à sa mémoire le 6 octobre 1912, au cimetière du père Lachaise. APP, Ba 910 (dossier Fabérot).

Selon la Lanterne, son poulain, Pierre Baudin ne devrait être menacé que par deux candidats : Fabérot, et Parisse, conseiller municipal du quartier. Ce dernier (parfois écrit Paris) est un ingénieur nouvellement élu au Conseil après avoir battu le sortant, un représentant de commerce allemaniste, Joseph Weber. Eugène Parisse est présenté tantôt comme radical1, tantôt comme radical-socialiste. Le journal lui donne peu de chance. En revanche, bien que soutenant fortement Baudin, bien connu de ses lecteurs, la Lanterne ne néglige pas pour autant son opposant Fabérot.

Le journal rappelle « la place considérable » tenue au Conseil municipal par Baudin et lui prévoit, dès le premier tour, un nombre de suffrages supérieur à celui qui sera obtenu par Fabérot. Mais il ajoute que celui-ci jouit de l’estime générale et qu’à la Chambre, il a su, « en maintes occasions, se faire écouter par une majorité opportuno-conservatrice, à laquelle, pourtant, il a parfois dit de dures vérités ». Il est resté sympathique au collège électoral qui l’a envoyé à la Chambre en 1893. Son allure, « d’une franchise quelque peu brutale et la fermeté inébranlable de ses convictions socialistes, justifient la popularité du citoyen Fabérot dans les milieux socialistes », selon La Lanterne qui pronostique la victoire de Pierre Baudin au second tour2.

a)- Le premier tour (8 mai 1898)

Il y a, en réalité, pas moins de 12 candidats pour ce premier tour. Outre Fabérot, Baudin, et Parisse, retenons H. Soulière, un publiciste, socialiste, et Eugène Protot, un ex-membre de la Commune, socialiste également. La campagne est animée, voire violente. Ainsi, le 23 avril, boulevard de Belleville, en présence de Protot et d’Élie May; « ce n’a été que huées, cris, coups de sifflets et aucun orateur n’a pu prendre la parole. Le concierge a éteint le gaz à 9 h 303. »

Le même jour, avenue Parmentier, devant 600 personnes, le parti ouvrier socialiste révolutionnaire allemaniste présente Fabérot qui attaque très vivement la candidature Baudin.

On blâme, dans l’ordre du jour qui est voté, les radicaux « qui font le jeu du ministère en combattant un socialiste révolutionnaire.4 »

Le 27 avril, au même endroit, le comité républicain socialiste de la Folie-Méricourt a attiré environ un millier de personnes. P. Baudin a réclamé la création d’une caisse de retraite, l’impôt sur le revenu et le service militaire réduit à deux ans.

Fabérot l’a accusé de « vouloir accaparer les réformes qu’ont obtenues les révolutionnaires au Conseil municipal » et déclaré que le groupe socialiste de la Chambre, tout entier, blâmait sa candidature dans le 11e arrondissement.

Protot, Meiss et Paul Dupont, autres candidats, ont développé leur programme « au milieu du bruit ». Deux ordres du jour ont été mis aux voix. L’un en faveur de Baudin, l’autre en faveur de Fabérot. C’est ce dernier qui a obtenu la majorité.

Les réunions se succèdent à un rythme soutenu. Le 28 avril, autre séance organisée par le comité républicain socialiste indépendant pour soutenir Soulière. Il y a 600 personnes.

1 C’est l’étiquette avec laquelle il a été élu aux municipales.

2 La Lanterne du 8 mai 1898.

3 APP. BA 106.

4 Id.