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Des répercussions à l’âge adulte : une image du corps fragilisée

1. Généralités sur la psychomotricité

2.2 Des répercussions à l’âge adulte : une image du corps fragilisée

Chez le sujet polyhandicapé, l’image du corps est souvent très fluctuante. Ils n’ont pas forcément vécu les expériences nécessaires en lien avec leur environnement, durant la petite enfance, pour l’édifier.

Dans son ouvrage La clinique de l’image du corps, E.W.PIREYRE nomme neuf sous- composantes de l’image du corps, en lien avec les différentes stimulations sensorielles et notamment tactiles. Nous allons voir comment elles peuvent être entravées chez le sujet polyhandicapé, et quelles en sont les manifestations. Ces composantes sont les suivantes.

47 a) Le sentiment de continuité d’existence

L’absence d’un holding adapté altère ce sentiment de continuité d’existence. PIREYRE cite WINNICOTT (2015, p. 55), qui le définit comme « un « sentiment suffisant d’exister » qui

repose sur la structuration du Moi ».

Il cite également A. BULLINGER (2015, p. 56) qui de son côté, évoque une « recherche envahissante de sensations organisatrice de l’image corporelle ». Nous pouvons donc mettre du sens sur les nombreuses stéréotypies, ou accrochages sensoriels observés chez les sujets polyhandicapés. Celles-ci seraient là pour leur apporter les sensations corporelles nécessaires à leur sentiment d’exister de façon continue. Ces recherches de sensations peuvent être poussées jusqu’à une douleur intense pour le sujet : BULLINGER poursuit en disant que « les personnes gravement déficientes recherchent cette frontière entre le plaisir et la douleur car elle créait, par la charge émotionnelle, un sentiment d’existence toujours en train de se dissoudre ».

b) L’identité :

Il s’agit là aussi d’une étape fondamentale et très archaïque du développement, en lien avec la sensorialité. Mais elle nécessite un holding « suffisamment bon », les sujets polyhandicapés vont donc y rencontrer des difficultés. Elle s’acquiert lors du développement

psychoaffectif, en s’appuyant sur le corps même du sujet, et sur la relation aux objets

parentaux. En effet le rôle des parents est primordial puisque, d’après PIREYRE (2015, p.62), « l’enfant ne pourra se construire comme sujet que s’il est représenté, dans l’esprit de ses parents comme différent et séparé de l’adulte ».

Le patient polyhandicapé souffre donc souvent de troubles de l’identité, puisque la relation aux parents a été entravée. Il peut alors produire des échopraxies, des écholalies…

C’est dans l’imitation de l’autre qu’il parvient partiellement à une réassurance identitaire.

L’utilisation particulière des pronoms personnels est également un indice majeur. Souvent, les patients souffrant de troubles de l’identité n’utilisent pas le « je », mais emploient la seconde personne pour parler d’eux car ils ont du mal à se décentrer… Cela témoigne d’une indifférenciation soi/ non soi.

La sensation, la perception sont centrales dans l’acquisition de l’identité. La surface du corps, la peau, rencontre les objets dans l’environnement et participe au dialogue tonique. Grâce à cette sensorialité le corps du sujet peut être délimité, PIREYRE cite BOUBLI (2015, p. 63) qui dit que « Plutôt que la perception elle-même, c’est ressentir l’expérience de la

48 perception qui pourrait apporter le sentiment d’identité » (BOUBLI, cité par PIREYRE, 2015, p. 68). C’est donc par le biais de la peau, que le sujet peut ressentir ses contours et différencier le dedans et le dehors, le soi et le non soi.

Donc souvent chez les patients polyhandicapés, la représentation des limites

corporelles, la conscience du dedans/dehors et la différenciation de son corps et de celui

de l’autre sont défaillants.

Jean-Louis parle parfois de lui à la seconde personne. Ou bien, parle d’autrui pour exprimer ses propres sentiments.

Lorsqu’un professionnel complimente un autre résident que lui :

-« T’es jaloux ! »

-« C’est Jean-Louis qui est jaloux par ce que je complimente quelqu’un d’autre ? »

-« Oui. »

c) L’identité sexuée :

Le processus de différenciation sexuée a une base biologique, mais l’identité sexuée se construit, elle, dans les premières années de vie (période œdipienne), à la fois grâce aux

sensations corporelles et par les comportements (conscients et inconscients) des parents

envers l’enfant. Cette identification à un genre est très en lien avec l’image du corps dont parle DOLTO.

Nous pouvons donc imaginer que chez certaines personnes polyhandicapées, cette identification n’est pas acquise.

d) La peau physique et psychique :

Ceci est très en lien avec la question de portage. Si le développement du bébé est altéré, que l’étayage corporel est insuffisant à la construction d’une enveloppe corporelle solide, cela ne permet pas à la peau psychique de se développer, et les conséquences sont importantes : La construction du Moi-Peau, avec ses différentes fonctions décrites précédemment, peut être défaillante, pouvant entrainer des troubles psychiques, avec des

difficultés relationnelles et affectives. L’enfant ne développe pas correctement une notion

de son enveloppe corporelle, et donc psychique. Le sujet peut alors manquer de

49 Les angoisses archaïques (sur lesquelles nous reviendrons) ne seront pas réellement surmontées. Le sujet, très perméable aux afférences venant de l’environnement, est dans un état d’alerte permanent. Cela est donc très invalidant au quotidien.

Le contenant n’étant correctement intégré, le contenu est alors non investi. Nous retrouvons chez ces patients des troubles dans la construction de leur intériorité, du

sentiment de soi, des limites.

e) Le tonus

Le tonus est influencé par la maturité neurologique, et celle-ci peut être ralentie dans le polyhandicap. Hors, nous avons déjà traité l’importance du tonus dans la relation. De plus, PIREYRE (2015, p.107) nous apprend que selon GAUBERTI « La fonction tonique soutient les expressions affectives, les communications corporelles». Chez le patient polyhandicapé, le

dialogue tonique peut donc être plus compliqué dans la relation. Parmi les patients à l’âge

adulte, nous retrouvons très fréquemment des hypertonies ou des hypotonies. Pour E.W.PIREYRE (2015, p. 108), une hypertonie correspond à « une forme de matérialisation corporelle des distorsions relationnelles précoces. », et selon GAUBERTI, les hypotonies marquent « la non-intégration de la fonction tonique dans les expressions corporelles ». Les

syncinésies, pararonies et dystonies sont aussi extrêmement fréquentes chez cette

population.

GAUBERTI (2015, p. 108) ajoute que ces troubles du tonus sont « le plus souvent associés à des altérations gravissimes de la relation corporelle ». Ils sont des traces, inscrites dans le corps, des expériences relationnelles parents/ enfants plus ou moins défaillantes.

Ils mettent en jeu le dialogue tonico émotionnel, nous développerons cela plus tard.

f) La sensorialité :

Au cours du développement normal, l’enfant devient capable de confronter les différentes informations sensorielles venant des canaux correspondant, sur un même objet pour en avoir une représentation globale. Ensuite, il va pourvoir le manipuler, le reconnaître, se l’approprier, et l’investir par les systèmes cognitifs et affectifs. C’est ainsi qu’il arrive à l’élaboration d’un système de représentation du monde.

Dans le cadre du polyhandicap, nous relevons des troubles très autistiques chez de nombreux patients, concernant l’intégration sensorielle. PIREYRE (2015, p. 122) parle du concept de MELTZER sur le « démantèlement ». Il explique que chez ces sujets, chaque sens

50 pourrait « errer chacun vers son objet le plus attractif de l’instant », ce qui entrainerait que le sujet laisse « son organisation mentale passivement tomber en morceaux ».

g) Les angoisses corporelles

Comme nous l’avons vu, le nourrisson vit, au moment de la naissance, d’importants changements (de milieu, de sensations…), amenant de nouvelles sensations. Ceux-ci provoquent chez lui des angoisses, le « malaise initial » dont parle WINNICOTT. Cependant, les différents soins prodigués par la mère à l’enfant sont à l’origine du développement de certaines fonctions psychiques permettant par la suite à l’enfant de dépasser ces angoisses grâce au refoulement et à la représentation de celles-ci. Nous avons donc tous vécu ces angoisses étant nourrisson.

Chez les personnes polyhandicapées, nous retrouvons régulièrement un sentiment de continuité d’existence et une construction du Moi qui font défaut, une perturbation du tonus musculaire, associée à un défaut d’intégration de l’axe corporel, donc de l’arrière fond. Nous pouvons donc fréquemment retrouver chez eux des angoisses primaires, qui sont pour eux de l’ordre de l’irreprésentable.

Nous pouvons retrouver des angoisses :

- D’effondrement. C’est la plus archaïque des angoisses. Elle représente une crainte de l’anéantissement.

- de chute. Elle est en lien avec le ressenti d’apesanteur à la naissance. Elle correspond à une peur d’être aspiré, de chuter sans fin.

- de liquéfaction. Elle s’explique par la fragilité des représentations des limites corporelles et de la peau. Cela implique une crainte de dissolution, liquéfaction du corps.

- de morcellement. Le corps est perçu en plusieurs « morceaux » séparés, et non pas unifié.

- de vidage. Elle est moins archaïque puisqu’elle témoigne d’un début de construction d’enveloppe psychique, perçue alors comme contenant. Mais celle-ci est vécue comme poreuse, perforée. Le sujet peut alors ressentir des sentiments d’intrusion.

51 Thomas, dont nous avons déjà parlé pour ses recherches de sensations, semble vivre des angoisses de liquéfaction et de vidage. En effet, il lui arrive par exemple d’ingérer ses scelles après avoir déféqué, comme s’il avait peur de perdre une partie de lui-même.

Pour l’apaiser, il est possible de passer par notre toucher en lui offrant un appui ventre-dos, ou encore des enveloppements.

Du fait de ces particularités, un accompagnement psychomoteur auprès de ces patients me semble indispensable. Le toucher peut être une approche pertinente pour les aider à mieux investir leur corps, en relation à l’environnement et à autrui, et ceci de manière sécure.

3. Médiation toucher en psychomotricité, auprès des patients