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3. Médiation toucher en psychomotricité, auprès des patients polyhandicapés

3.2 Les différents processus mis en jeu

Le toucher met en jeux divers processus auxquels il est important de rester attentif.

a) Distance relationnelle

T. HALL (1996), à partir de l’étude des distances d’attaque et de fuite chez les animaux, a déterminé huit niveaux de distances interpersonnelles entre les humains. La distance publique lointaine (supérieure à 7,50 mètres) est la plus éloignée, suivie par la distance publique rapprochée, la distance sociale lointaine et rapprochée, la distance personnelle lointaine et rapprochée, et enfin la distance intime lointaine et rapprochée.

C’est cette dernière, distance intime rapprochée (moins de 15cm), qui est mise en jeu lors d’une proposition de toucher à un patient, dans un portage, dans un appui corps à

corps... C’est également celle que l’on retrouve dans une relation mère-enfant. Le contact

est donc très proche, chaque sujet peut ressentir la chaleur du corps de l’autre, son odeur… La communication verbale peut se faire par des chuchotements, la vision des détails est très bonne. Nous sommes donc dans une proximité corporelle qui nécessite une confiance

mutuelle, et qui met en jeu les sens des deux personnes et donc un échange corporel.

b) Différentes façons de toucher, pour différents ressentis du patient

Le toucher peut être vécu de différentes manières, suivant l’intention qu’il représente, la façon dont il est réalisé. Il peut consister en un toucher ferme, un effleurage, une caresse, une palpation, un pétrissage, un frottement … Il est fonction de l’expérience et de la créativité du professionnel qui le donne. Dans le deuxième tome du manuel d’enseignement de la psychomotricité, un répertoire gestuel en terme de toucher est proposé, de façon non exhaustive. Pour commencer, quelques touchers provoquant un vécu négatif :

Il peut être objectivant. C’est-à-dire « déshumanisant, dépersonnalisant », si la personne qui offre ce toucher ne prend pas en compte le patient.

54 Le toucher peut être carençant si les gestes « s’exercent dans l’automatisme de leur répétitions et abandonnent l’autre dans sa passivité d’objet ».

Un toucher dans la retenue, flou, est celui « qui renvoie l’impression de fragilité et de menace ».

Il peut être invasif si les gestes « n’affirment pas clairement leur direction et leur pression ». Il s’agit là d’un toucher qui ne respecte pas les limites.

Un toucher excitant se caractérise par « des gestes agités qui provoquent l’inquiétude ».

Enfin, il peut être surprenant s’il n’est pas annoncé.

Nous pouvons particulièrement rencontrer ce genre de toucher chez les professionnels travaillant auprès de personnes polyhandicapés. Dans les soins quotidiens, répétitifs, certains professionnels peuvent être amenés à ne plus prendre en considération la personne, ne plus la rendre actrice de ce qu’elle vit, ou encore ne pas accompagner le toucher du cadre contenant et sécurisant nécessaire. De plus, leur fragile construction psychique doit pousser tous les professionnels à d’autant plus prendre en compte leur vécus, leurs ressentis, afin de ne pas leur apporter quelque chose de déstructurant.

Cependant, le toucher réalisé avec les bonnes intentions peut être bénéfique au patient, comme l’indique la suite de l’ouvrage :

Un toucher peut être structurant, contenant, si le geste « réaffirme la cohérence et l’unicité de l’image du corps ».

Le toucher réalisé de manière ferme vient « confirmer la solidité et la permanence du corps ».

On parle de toucher profond quand les gestes « malaxent et font raisonner volume et intériorité ».

Le toucher différenciant peut permettre de souligner « certaines parties tout en en laissant d’autres dans l’ombre », ou encore d’aider le patient à prendre conscience de la différence dedans/dehors, du moi/non moi.

Un toucher ajusté est celui « dont les gestes progressifs essaient de respecter les indispensables barrières défensives ».

55 Enfin, un toucher apaisant est celui dont les gestes sont « calmes et transmettent l’harmonie ».

Le toucher au quotidien avec les patients doit être pensé en fonction de leurs capacités à le recevoir, leur tolérance, et donc la manière dont ils le vivent. En séance de psychomotricité, les qualités du toucher que nous venons d’énoncer de manière non exhaustive peuvent s’intégrer dans un projet de soin en lien avec la problématique d’un

patient.

En l’occurrence, les patients polyhandicapés que j’ai eu l’occasion de rencontrer sur mon lieu de stage présentent fréquemment des vécus corporels perturbés, avec des

perceptions fragiles de leur corps, et des constructions psychiques plus ou moins archaïques. Ainsi, le toucher peut être indiqué, s’il est réalisé de manière adaptée et

délimité par un cadre, en fonction des difficultés que rencontre le patient.

Cependant, ce médiateur nécessite du temps et une réflexion. Il doit être proposé de manière progressive, en respectant les limites que le patient apporte. De plus, il peut être inapproprié avec certains patients pour qui il peut même devenir déstructurant. Nous reviendrons là-dessus plus tard.

c) Entrer en communication

Par les nombreux troubles qu’il présente, dont souvent l’absence de langage, l’entrée en

relation avec un patient polyhandicapé n’est pas évidente. « Plus il est démuni, plus nous le

sommes dans notre capacité à communiquer avec lui et à le comprendre », nous dit O. LEGRAND (2008, p. 317).

Afin de comprendre le patient, il nous faut sortir de nos codes de communication

habituels, s’ouvrir aux siens. Ce processus de « synchronie relationnelle », pour reprendre

les termes d’O. LEGRAND, prend du temps et demande au thérapeute de faire preuve de patience.

Le psychomotricien se doit d’être attentif à tout ce que peut lui renvoyer le patient, le prendre en considération et y donner du sens dans la relation. Cette attention, aux

expressions faciales, aux postures, au tonus, aux attitudes du patient, amène le thérapeute

à trouver une porte d’entrée dans la communication. Cependant, la communication étant très corporelle, les biais d’interprétation sont importants. Le thérapeute doit donc rester

56 vigilent et remettre en question ses interprétations qu’il fait des signes que lui envoie le patient.

d) Dialogue tonico émotionnel

Le toucher implique l’engagement corporel du psychomotricien. Des échanges toniques, des vibrations, des contagions émotionnelles lors de cette médiation, sont donc majeurs. Il convoque chez le patient des registres archaïques, et amène des phénomènes transférentiels et contre transférentiels entre le patient et le thérapeute. C’est ce que l’on appelle le dialogue tonico-émotionnel. Cet échange tonique permet de mettre en place un réel dialogue, efficient, avec le sujet, et de l’amener à intégrer et symboliser ses ressentis.

D’une part, nous ne pouvons pas toucher sans être touché. Ainsi le thérapeute transmet, par son tonus, des informations sur son état émotionnel au patient qu’il touche. C’est pourquoi il est indispensable que le psychomotricien fasse un travail préalable sur ses

ressentis émotionnels, corporels : il doit en prendre conscience pour maitriser ce qu’il va

transmettre au patient, être capable de s’apaiser, abaisser son propre tonus musculaire.

A l’inverse, le psychomotricien ressent également, dans ce contact corporel, les

mouvements tonico-corporels et émotionnels du patient, et doit s’y ajuster.

J. SARDA (2002, p. 86) considère le dialogue tonico-émotionnel comme « l’outil de travail central du psychomotricien ». Elle explique que c’est grâce à lui, dans le cadre des séances de psychomotricité, que « l’enfant va devenir acteur et sujet de sa motricité ». Elle ajoute que « se trouve favorisée une émergence des ressentis, des éprouvés, d’une densité émotionnelle enfin présente, des états et mouvements toniques » et que tout cela permet une différenciation « Moi mon corps » (Durey, 2001) /« toi ton corps », ainsi que dedans/dehors.